CONSTANTIN LE GRAND ET LES ROUMAINS
Pendant la huitième décennie du IIIe siècle, au cours des années
271 à 275, la province romaine de
Cependant, l’évacuation n’avait pas été considérée en tant qu’une solution
définitive, surtout que l’intégration de la province de Dacie au sein de
l’empire avait été parachevée. Dans la zone sud-est européenne du continent
s’était constituée «une puissante et large communauté de civilisation et de
langue romaine» et dans celle-ci les Daco-Romains, aïeuls des Roumains,
occupaient près du Danube et dans les Carpates les positions nordiques. On a
retrouvé en Dacie 3000 inscriptions latines par rapport à seulement 35 grecques.
Des 3150 anthroponymes qu’on peut constater, environ 75% sont romains, 15%
grecques et seulement 4% thraco-daces. D’ailleurs, on doit ajouter que
«D’ailleurs l’évacuation, nous montre justement Maurice Besnier, ne fût pas
complète. Seuls les soldats et les fonctionnaires romains furent ramenés
d’office sur la rive droite... Quant à la population civile - je cède la parole
toujours à Maurice Besnier! - elle ne fut pas tout entière entraînée dans ce
repli. Elle dut être laissée libre de rester dans les villes et les villages
auxquels les Romains renonçaient, ou aller s’établir au Sud, à l’abri de la
barrière du fleuve. Il est certain qui si beaucoup de citadins et de grands
propriétaires aimèrent mieux émigrer, la masse des paysans ne bougea pas; elle
s’organisa spontanément en communautés autonomes, se fondit avec les nouveaux
occupants barbares de souche gothique et les gagna peu à peu à sa propre
civilisation». «Ainsi s’explique, ajoute encore Besnier, la persistance si
tenace de la race et de langue latines dans la contrée que Trajan avait
conquise et qui porte encore aujourd’hui le nom de Roumanie».
Le titres honorifiques de Dacicus
Maximus et surtout celui de Carpicus
Maximus a été octroyés à presque tous les empereurs des dernières décennie
du IIIe et du début du IVe siècles, ce qui met en
évidence leurs efforts militaires de l’époque postérieure à l’évacuation dans
la zone du Bas Danube et au delà du fleuve. Galienus, Dioclétien et Galère
(dont la mère était Dace) ont combattu dans la zone, ont entretenu les têtes de
pont romains du côté gauche du Danube, ont maintes fois vaincus les Carpes ou
les Goths, en procédant aussi à des colonisations de ceux-ci dans l’empire.
La romanisation a continué d’ailleurs en Dacie après le repli. D’un côté
s’est produite une symbiose entre les Daco-Romains et les Daces d’au-delà des
limites de la province romaine, d’un autre côté les fouilles archéologiques
prouvent les contacts entre les deux parties de la romanité orientale séparées
par le fleuve et par le repli. La présence des produits venant du Sud du Danube
et qui se répandaient dans toute l’aire dace, pas seulement dans l’ancienne
province, ainsi que les découvertes numismatiques - quelques centaines, dont
une soixantaine de trésors - démontrent indubitablement ces liens qui se
poursuivent et à la fois la continuité au nord du fleuve de la population
romanisée et qui par ailleurs, romanisait, à son tour, les Daco-Gètes libres.
Paradoxalement, d’un certain point de vue, l’évacuation a offert un cadre plus
large au processus de romanisation!
Pendant les dernières décennies du IIIe siècle et au début du IVe
les Illyriens Dioclétien et Constantin le Grand ont contribué au redressement
de l’empire. Fils de Constance Chlore, Constantin, dont «le nez aquilin, le
regard fier et brillant» donnait «une impression de force et de beauté». Formé
«à l’école de Dioclétien», qu’il avait suivi en Egypte, il s’était imposé dès
sa jeunesse à ses contemporains. Il avait ensuite démontré ses qualités à
Galère, en luttant, entre autres, dans la zone du Danube. En 306, il avait
réussi à rejoindre son père à l’Ouest de l’empire, le secondant dans la
campagne que celui-ci menait. Mais, Constance mourut et devant le jeune
Constantin s’ouvrit la porte des grandes destinées. Dioclétien s’était retiré
et Galère tardait de reconnaître à Constantin le titre d’Auguste. Comme Jules
César, Constantin allait trouver en Gaule les ressources nécessaires qui
allaient lui permettre d’assumer son grand rôle historique. Galère mort,
Maxence vaincu, Constantin fut reçu à Rome “en libérateur”, il prit le nom de
Maximus Augustus. En février 313, à Milan, il se partagea avec Licinius
l’empire. Le système de la tétrarchie avait pris fin! En automne 314, la
première guerre avec Licinius affirma l’évidente suprématie de Constantin. Le
vaincu dut lui céder les Balkans sauf
En été 315, Constantin se trouva encore une fois à Rome; il était déjà
maintenant Constantin le Grand (Maximus). Mais, comme Albertini l’a remarqué,
maintenant l’empereur «se tenait de préférence dans les provinces qu’il venait
d’acquérir», donc en Europe orientale, surtout qu’il devait défendre la ligne
du Danube soumise presque sans interruptions aux attaques. Mais, il ne cessa
d’administrer très efficacement l’ensemble de ses possessions, surtout quand,
après la seconde guerre avec Licinius il y devint le maître absolu de tout
l’empire. Il consolida l’«absolutisme impérial et acheva d’organiser la
hiérarchie de nombreux fonctionnaires», d’accroître considérablement l’armée
permanente, transformant l’empire dans «un immense camp», d’administrer la
justice, en cherchant d’après le poète Porphyre Optatien «d’adoucir par la
justice la rigueur des lois». En fait, il était dans les limites de son époque
un innovateur et un modernisateur.
Comme son père Constance, Constantin s’était aussi montré ouvert au
monothéisme, mais surtout ils avaient été attirés par “le culte solaire”. Se
trouvant encore en Gaule, il avait une vision dans un temple d’Apollon, qui,
selon Piganiol, avait subi ultérieurement un «réarrangement chrétien». En tout
cas, après la terrible étape de persécutions dioclétiennes, Galère avait émis
en 311 un édit de tolérance pour les chrétiens, leur ordonnant seulement «de
prier leur dieu pour lui-même et pour l’Etat». En 312, Constantin «a été
conquis au culte de la croix» et il arriva évidemment à la conviction «que la
religion chrétienne» était «la forme éminente de la religion universelle dont
il était déjà l’adepte». Le baptême il ne le recevra qu’au seuil de sa mort, en
337, mais cela ne l’empêcha pas à soutenir et même à diriger la nouvelle Eglise
et à organiser le concile de Nicée de 325.
Les dernières décennies de son règne il les passa surtout dans la partie
orientale de l’empire, où, d’ailleurs, il allait construire une nouvelle
capitale. C’est ainsi que les Daco-Romains, ancêtres des Roumains, dont les
premiers allaient former le noyau principal de constitution, furent compris
directement et indirectement dans ses actions. Son rôle fut d’une certaine
manière essentiel, lors d’un moment décisif d’un processus historique
concernant l’un des peuples romans. Il est bien vrai qu’aussi ses précurseurs à
la direction de l’empire avaient été préoccupés du maintien de la présence
romaine au Danube, mais Constantin s’impliqua d’une manière toute particulière.
Il déplaça sa résidence principale à Sirmium (à l’ouest de Belgrade) jusqu’en
319 et ensuite à Serdica (Sofia d’aujourd’hui). En 322 il mit fin en Pannonie à
une invasion des Sarmates et ensuite refoula et tua Rousimond, roi des Goths
qui avait franchi le Danube. L’année suivante il allait être engagé dans une
campagne contre les Goths au nord du Danube. Constantin se montra préoccupé non
seulement de la frontière du Bas-Danube, mais aussi il fut préoccupé d’affirmer
plus avant les droits de l’empire dans la zone. Vaincu, Lepidus avait dû lui
céder une partie de ses possessions et la préfecture du prétoire de l’Italie
comprit dorénavant deux diocèses d’Italie, le diocèse africaine et l’Illyricum,
respectivement les diocèses de Pannonie, des Dacies sud-danubiennes constituées
par Aurélien et le diocèse de Macédoine.
Constantin le Grand créa une nouvelle capitale de l’empire dans sa partie
orientale, à Byzance. Comme Albertini l’a bien remarqué, «assez éloigné du
Danube pour être à l’abri d’un coup de main, Constantinople le surveillait
d’assez près pour permettre de promptes ripostes aux agressions». Il est aussi
vrai que le Bas-Danube représentait le secteur le plus menacé de la frontière
romaine, ce qui motivait l’attention que l’empereur lui accorda. Cependant, il
ne s’agissait pas seulement d’une attitude défensive, car les mesures prises
tendaient à montrer qu’on envisageait même, après avoir constitué «un système
défensif de vastes proportions», à réaliser une reconquête de la province
évacuée par Aurélien et qu’à partir de 328, après avoir constitué au Danube
«une zone de défense stratégique», l’empereur passa à des actions offensives
visant l’intérieur du territoire nord-danubien.
La présence romaine du côté gauche du Danube fut accentuée, ainsi que dans
Les intentions d’avenir de Constantin le Grand, étaient aussi dévoilées par
la construction du grand pont qu’il fit élever sur le Danube entre Oescus et
Sucidava, pont inauguré d’une manière solennelle le 5 juillet 328 et qui avait
une longueur de 2400 mètres. A cette occasion furent battus des médaillons
commémoratifs et des monnaies. La reconstruction de la route de l’ancienne
province au long de la rivière de l’Olt, en partant de Sucidava et Romula
montrait également les intentions de l’empereur. A cela s’ajouta un vallum -
“Brazda lui Novac” - de
Dès 328 se déroulèrent des actions offensives. En 332 une armée battit les
Goths et en 334 les Sarmates et les Vandales ont sollicité et ont obtenu leur
établissement à l’intérieur de l’empire (Albertoni, 359). Mais toutefois,
Constantin le Grand était entré dans la dernière étape de sa vie. Par ailleurs,
dans les années trente, ce fut son fils Constantin II qui entreprit les
opérations dans la zone du Danube; en 332 des monnaies portant l’effigie de
Constantin II et comprenant aussi le pont de Sucidava y font foi. L’empereur a
procédé en 335 au partage de l’empire entre ses descendants. Deux ans plus tard
il est mort. La reconquête au moins partielle qui se profilait n’a plus eu
lieu.
Toutefois, cette présence si active de Constantin le Grand dans la zone du
fleuve, ainsi que les actions qu’il avait réussi d’entreprendre ont eu des
conséquences de marquante importance pour les Daco-Romains. Pendant quelques
décennies leur espoir a pu renaître. En plus, il ne s’était pas agi seulement
d’opérations à caractère militaire. Les fouilles archéologiques confirment
pleinement cela. D’ailleurs, l’évacuation de
Les conséquences de ce raffermissement de la présence de l’empire, quelques
décennies après l’évacuation, la reconquête même de territoires nord-danubien,
marqués par la “Brazda lui Novac”, le vallum
mentionné ont contribué au renforcement du processus de romanisation, auquel
étaient soumis non seulement ceux qui avaient habités une province romaine,
mais également les Daco-Gètes libres, se trouvant maintenant dans une
communauté de vie avec la population romanisée. Le rôle de Constantin le
Grand fut à ce propos des plus importants et on peut même lui attribuer, en
bonne mesure, d’avoir contribuer à un moment décisif - quelques décennies après
le repli - au parachèvement dans son ensemble du processus de romanisation de
l’espace dace, donc au maintien de la romanité orientale, en étant ainsi un
espèce de parrain du peuple roumain constitué au cours du demi-millénaire
suivant, en partant des Daco-Romains.
Mais le rôle du fondateur de Constantinople fut important pour les ancêtres
des Roumains aussi sur le plan religieux. Partisan du monothéisme, il avait
évolué du culte solaire vers le christianisme qui s’affirmait avec tant de
force et avec une capacité de résistance exceptionnelle à l’époque. Sur des
monnaies se rencontraient encore en 312 «deux profils parallèles», celle du
Soleil et «la sienne propre». Une prière de 313 rédigée par l’empereur est
significative quant à ses positions confessionnelles à ce moment-là: «Dieu est
le père de l’univers; le Ciel est le dieu visible (sensibile deus); le Soleil est le démiurge, inférieur au Père». Son
évolution vers la christianisme avait toutefois lieu d’une manière accentuée.
Sous l’influence de Hosius, évêque de Cordoue, l’empereur est arrivé
progressivement à la conviction que la religion chrétienne est “la forme
éminente de la religion universelle”. En 314 on constate déjà sur les monnaies
“une petite croix à branches égales”; D’une certaine manière, Piganiol a
parfaitement raison quand il affirme que Constantin, encore non-baptisé, “était
chrétien sans le savoir”! En tout cas, il se comporta en chrétien bien avant
son baptême.
Des traces des adeptes du christianisme sont constatés dans la province de
Dacie avant l’évacuation, mais c’est certain que le nouveau statut reconnu à la
religion de Christ par l’empereur Constantin a eu des conséquences décisives à
cet égard dans la zone du Bas-Danube et en Dacie, dans l’espace se trouvant
encore dans l’empire, mais aussi dans les territoires voisins, respectivement
dans l’ancienne province évacuée. Peut-être ce n’est pas un hasard qu’une
légende du Ve siècle relatait que Constantin aurait eu sa vision
chrétienne «au cours d’une campagne contre les barbares du Danube»! En tout
cas, les fouilles archéologiques ont relevé un nombre d’objets du IVe
siècle, surtout de la céramique, qui portent le signe de la croix et cela non
seulement dans
Des évêchés furent constitués dans
crux - cruce, christianus - creştin, sanctus - sfânt, angelus - înger, basilica - bisericã
etc. Donc, au rôle que Constantin le Grand a eu concernant le parachèvement
du processus de romanisation des aïeuls des Roumains, s’ajoute aussi celui qu’il
a détenu en ce qui concerne leur christianisation. Evidemment, il ne s’agit pas
d’actions directes, mais de conséquences décisives, même indirectes, de
l’ensemble de ses actions.
Constantin le Grand est resté dans la mémoire collective des Roumains surtout
par l’intermédiaire de l’Eglise. L’une des plus importantes fêtes de celle-ci,
jusqu’à nos jours, est le 21 mai consacré a l’ancien empereur et à sa mère
Hélène. A la fin du XVIIe siècle et au commencement du siècle
suivant, le trône de
Parmi les 28 sermons d’Anthime d’Ivir, métropolite de
Constantin le Grand est aujourd’hui encore présent dans le mental collectif
des Roumains, par la fête du 21 mai qui lui est consacrée, par le nom de
Constantin que portent maints Roumains et également, d’une manière indirecte,
par le souvenir tragique de la mort en martyr du prince valaque Constantin
Brancovan, lui aussi sanctifié par l’Eglise orthodoxe, mais tout d’abord
Constantin le Grand représente pour les Roumains un lien - au delà des siècles
- avec l’éternelle Rome.