N° 2 - Marzo 2003 - Memorie 

Ivan Biliarsky

Accademia delle Scienze di Bulgaria - Sofia

 

 

Saint Constantin, Mont Athos et l’idée de la

sainteté de l’Empire durant la Turcocratie

 

 

Pendant l’époque de la Turcocratie le Mont Athos obtient une signification politico-idéologique très importante pour le monde orthodoxe tout entier. Bien évidemment, c’est un héritage dont les racines on doit chercher à l’époque médiévale où il trouve matérialisation en protection particulière pour la communauté monacale de la part des basileis constantinopolitains ainsi que des autres souverains orthodoxes. Après 1453 la capitale de l’Empire œcuménique – et de l’Œcumène même – était déjà entre les mains des infidèles. La Polis perd au moins une partie de son importance idéologique en tant que «Ville sauvée par Dieu» bien que la chaire patriarcale soit restée là. De telle façon la république monacale de la Sainte Montagne reste une des rares endroits qui gardaient presque intouché leur statut de l’avant la conquête ottomane. Voilà une des raisons pour la conservation dans les milieux monacaux des idées de l’époque antérieure. Il s’agit des certains cultes impériaux par lesquels on argumente la sainteté de l’Empire et de son rôle dan l’histoire mondiale, dans l’histoire du Salut de l’Humanité. Dans la recherche actuelle j’essaierai commenter certains textes, créés durant l’époque moderne, dans lesquels on retrouve un carrefour de la vénération du saint Constantin en tant que l’idéal du souverain chrétien et de la vénération de la Vierge en tant que protectrice de l’Empire.

Une attention particulière il faut consacrer à la légende de la visite de la Mère de Dieu à Mont Athos durant laquelle elle reçut la montagne en tant que sa possession terrestre. Ce texte, accompagné par la légende dite de Kastamonitou, est présenté dans deux manuscrits qui se trouvaient dans la bibliothèque de ce monastère. Je voudrais attirer l’attention justement sur eux. On doit les premières informations sur ceux-ci à l’évêque Porphyre Uspensky qui utilisa le plus ancien des codes (donc du XVIIe siècle) lors de sa visite à Mont Athos en 1845[1] et puis l’emporta en Russie.

Le deuxième manuscrit est encore à la bibliothèque de Kastamonitou, classé sous No 114. Il est assez nouveau, étant accompli au même monastère en 1844 par le moine Dosithée de Lésbos. Le contexte dans lequel s’y trouvent les légendes hagiorites est très important pour notre étude et on lui consacrera une attention à part plus bas. Ici je me limiterai de noter seulement la présence dans le code des ces textes dont l’auteur est probablement le moine Grégoire de Kastamonitou qui les termina vers 1698 d’où date le manuscrit plus ancien (celui qui fut emporté en Russie). Ce Grégoire était un personnage avec des destins très intéressants: il devint prôtosyncelle du patriarcat œcuménique et puis l’exarque patriarcal pour la Moldavie où il trouva la fin de sa vie à Iassy[2].

Quel est le contenu de l’histoire elle-même? Je le présenterai brièvement plus bas en communiquant en parenthèses les pages du manuscrit suivant ce que N. Oikonomidès a écrit[3]. Le texte commence par l’affirmation que le monachisme athonite a ses racines aux temps des apôtres (p. 102-104). Après sa victoire, le saint empereur Constantin remplace les Tsakones depuis le Mont Athos à la Péloponnèse pour libérer de la place pour les moines dans le désert athonite (p. 104-107). St. Macarios, l’évêque d’Erissos, visite le saint Constantin à Salonique et lui raconte que le Mont Athos est l’Héritage terrestre et le Jardin de la Vierge qui visita autrefois la péninsule et baptisa ses habitants; alors l’empereur ordonne la construction des églises de la Dormition de la Vierge au Prôtaton et de l’Annonciation à Vatopédi; au même temps fut nommé le premier Protos de la Sainte Montagne avec ses droits et privilèges particuliers (p. 107, 118-130). Après la translation de reliques du saint Etienne à Constantinople, l’empereur Constantin commence le bâtiment du monastère, consacré à ce prôtomartyre, à la partie australe de l’Athos; en ce moment l’empereur est décédé (337) et les travaux de la construction sont terminés par son fils Constans qui édicta, après les avoir achevés, que la fondation s’appelât à son nom, donc "Kwvnstantoj monhv", "Kostantos moni" = "monastère de Constans" d’où provient le nom de "Kastamonitou" (p. 109-111). Au temps de l’empereur Julien l’Apostat, Macarios d’Erissos se cachait pour éviter les persécutions et n’apparut de nouveau que quand l’empereur Théodose vient au pouvoir; c’était cet évêque qui restaura le monastère et l’église de saint Etienne et y resta jusqu’à la fin de ses jours (p. 111-112, 116-118, 141-142, 266).

Je me limiterai de présenter seulement cette partie de la légende car les autres dépassent le cadre de la recherche actuelle, concentrée sur le culte du saint empereur Constantin. Je ne crois pas qu’il faille argumenter l’avis du caractère légendaire du récit suscité[4]. Pour notre thèse il est important non pas en tant que source d’information sur les événements du IVe siècle, liés aux activités réelles de l’empereur Constantin le Grand mais en tant que renseignement sur son culte. Il est à noter qu’il s’agit de sa vénération comme l’exécuteur de la volonté de Dieu concernant la protection particulière du Mont Athos de la part de la Vierge. Ce fait est important en deux aspects: Primo, il faut souligner la liaison entre les deux cultes (celui de la Vierge et celui du saint Constantin) qui possèdent une importance extraordinaire pour l’idéologie politique de l’Empire. Il faut ajouter ici la portée singulière en ce sens de la communauté monacale hagiorite malgré l’origine assez tardive des textes qui la prouvent. Secundo, le contexte dans lequel ces histoires nous sont arrivées (surtout dans le code No 114 de Kastamonitou que l’on verra plus bas) témoigne en faveur de l’argumentation par les anciens cultes impériaux des luttes visant la restauration de l’Etat chrétien et la libération nationale du peuple hellénique durant l’époque moderne.

Quant au premier sujet, il faut avant tout souligner la valeur idéologique de la république monacale de la Sainte Montagne non seulement pour l’Empire mais aussi pour le monde orthodoxe tout entier. Il s’agit de l’importance du Mont Athos pour la légitimation du pouvoir dans les pays de la communauté dite "Byzantine" qui se démontre surtout comme une légitimation de l’affiliation du souverain aux traditions impériales de Constantinople. On dispose de beaucoup de données pour une telle conclusion. Le problème a déjà été sujet des recherches historiques. En ce sens, je voudrais attirer l’attention sur les nombreux ouvrages, consacrés à ce thème, du savant roumain et grec Dimitri Nastase[5]. Dans ses articles il lance l’idée visant le Mont Athos en tant que microcosme, symbole de l’Empire Orthodoxe et image de l’Univers. Ce lieu sacré obtient ces qualités par la présence dans ses monastères des moines provenant de la plupart des peuples orthodoxes, donc Grecs, Géorgiens, Bulgares, Serbes, Roumains, Italiens. De telle façon la domination sur le microcosme se transforme en légitimation du pouvoir sinon sur le monde chrétien tout entier (durant cette époque ce ne pouvait être qu’une prétention doctrinale) au moins dans un seul Etat dont l’idéologie politique reflète l’universalisme constantinopolitain.

Cette thèse est intéressante et mérite notre attention. Sans doute, explique-t-elle certains des mécanismes de la légitimation du pouvoir par l’aide et la protection de la Sainte Montagne. Malgré cela, je voudrais attirer l’attention non autant sur les racines politiques de l’importance du Mont Athos dans la communauté orthodoxe que sur celles spirituelles. Elles sont liées d’un côté à la portée vraiment remarquable du monachisme dans la Chrétienté Orientale et de l’autre au culte de la sainte Vierge en tant que protectrice de l’Empire, de la capitale et du Mont Athos, donc de son Jardin terrestre.

Il faut chercher les origines du culte marial en tant que principal à Constantinople dans le développement de la société romaïque durant la seconde moitié du VIe et le début du VIIe siècle. Sans doute, était-il le résultat de la christianisation de la vie publique et de sa liturgification[6], lors de laquelle les visions du monde purement religieuses devenaient non seulement prédominantes, mais presque uniques. Evidemment, le pouvoir n’est pas exclu de ce courant et les idées religieuses se présentaient en tant qu’essentielles pour la perception des réalités de la vie publique et étatique. Cela concerne non seulement l’Empire durant sa route historique millénaire mais aussi les autres pays se trouvant sous son rayonnement.

La théocratie romaïque conçoit l’Etat comme une structure, pareille à l’Eglise en sa mission. C’est la mission de préparer les hommes pour leur libération du pouvoir du Prince Malin et pour leur Salut au Dernier Jugement. Justement de cette mission provient l’importance spéciale du culte marial, du culte de celle qui a donné la vie terrestre du Sauveur, visant la Theotokos en tant que protectrice céleste des hommes. Il est hors de doute que le Sacrifice et la Rédemption qui ouvrent la voie vers le Salut sont nécessairement liés à l’Incarnation. Seulement le Fils de Dieu véritablement incarné, seulement le Verbe véritablement devenu Homme peut vraiment souffrir et vraiment expier les péchés de l’Humanité tombée. Et l’Incarnation s’effectua dans le monde par la Mère de Dieu, par la Theotokos et Vierge Marie! La Vierge très sainte est celle qui donna la chair au Divinohumain, elle est l’être humain qui était plus proche à Lui et à cause de cela elle est la protectrice et l’intercesseur des hommes, de l’Humanité; c’est elle qui priera en faveur de notre salut au jour du Dernier Jugement. Justement dans ce contexte on doit étudier l’apparition de son culte en tant que Protectrice-de-la-Ville durant la seconde moitié du VIe et le début du VIIe siècle ainsi que son développement postérieur[7]. Cette idée se trouvait au fondement de la théocratie romaïque et sans l’apprécier on ne peut pas comprendre l’essence de la conception du pouvoir des basileis de l’Empire romain d’Orient. Justement à cause de la mission salvatrice de l’Empire et en tant que protectrice de l’Humanité non seulement au Dernier Jugement mais aussi au cours de l’histoire, la Theotokos est la défenseur céleste de l’Empire et de la Ville.

Le développement du culte marial est habituellement lié aux événements de l’an 626 et le siège de Constantinople par les Perses et les Avars. Sans doute, est-ce un moment très important bien qu’il soit plutôt résultat que la cause du culte. Dans ce contexte je voudrais attirer l’attention sur une source très intéressante. Il s’agit de la fameuse homélie de Théodore Syncelle dans laquelle l’auteur proclame la signification de Constantinople l’appelant l’oeil du monde chrétien, affirmant que chaque attaque contre la Ville est un obstacle sur la voie vers le Salut et empêchement pour la mission salvatrice de Jésus Christ[8]. Je voudrais attirer l’attention aussi sur l’influence de l’Hymne Acatiste qui est très lié aux ces événements dans la tradition orthodoxe malgré le fait que ce texte eût été préparé avant eux. Sans doute, s’agit-il des textes très importants pour chaque étude sur la signification politique du culte marial. Alors, pour faire la liaison avec le Mont Athos je me permettrai de citer un document du prince de Valachie Jean Vladislav de l’an universel 6878 (= 1369) où Mont Athos est appelé «la merveilleuse et Sainte Montagne qui est l’oeil de tout l’Univers»[9]. La même expression, que l’on doit évidemment au plume de l’hégoumène Chariton, est citée aussi dans son testament[10]. Evidemment c’est une citation directe de l’homélie de Théodore Syncelle susmentionnée, consacrée au sauvetage merveilleux de Constantinople par la Vierge en 626[11]. En général, cette expression était utilisée pour la capitale des basileis, conçue comme un lieu spécialement protégé par Dieu dont l’importance pour l’histoire du Salut est évidente[12]. C’est un emploi permanent et habituel, enregistré dans les textes du VIIe siècle ainsi que dans tels créés seulement une cinquantaine d’années avant la chute de la Polis en 1453[13].

Or, le Mont Athos est appelé en même manière que les Romaioi appellent Constantinople. Ce fait ne peut pas être fortuit et sans doute a-t-il ses racines dans l’appréciation identique des deux topoi en tant que lieux sacrés de l’Orthodoxie. En ce sens je voudrais expressément rappeler que l’homélie de Théodore Syncelle est liée directement au culte marial de protection de la Vile en tant que créée justement après le siège de la Ville en 626 et sa sauvegarde miraculeuse par la Mère de Dieu. Il est lié aussi à la tradition de l’Acatiste au texte duquel on a ajouté des additions très importantes lors de ces événements[14]. Voilà pourquoi ces deux ouvrages forment un complexe qui devrait être étudié ensemble. Toutes ces observations nous obligent de chercher les traces du culte marial dans la tradition hagiorite aussi. Elles sont donc évidentes et bien connues car le Mont Athos est un lieu sacré pour l’Orthodoxie justement en tant que possession terrestre de la Vierge, ou bien, en tant que "Le jardin de la Theotokos".

J’essayerai de présenter plus bas en résumé la légende qui est à la base du culte marial hagiorite. Elle raconte la visite de la Vierge au Mont Athos et explique le mode d’obtenir la péninsule en son héritage[15]. Elle nous communique justement comment la Mère de Dieu est devenue protectrice de l’Athos[16]. Selon la tradition la Theotokos, accompagnée par st. Jean le Théologien, partit pour Chypre pour visiter st. Lazar qui était l’évêque là. Sur la route une terrible tempête tomba soudain sur leur bateau et l’amena au littoral de l’Athos où il accosta près de l’endroit où puis se trouvait jusqu’aujourd’hui le monastère d’Iviron. La Vierge était très impressionnée par la beauté du lieu et demanda de son Fils à le lui donner bien que les habitants étaient encore païens. Dans ce moment on écouta une voix qui disait: «Que cet endroit soit ton héritage et ton jardin, paradis et ciel pour tous ceux qui cherchent le Salut!». Tellement le Mont Athos est devenu l’héritage terrestre et le Jardin de la Theotokos.

Revenons donc au textes de Grégoire de Kastamonitou, préparés vers la fin du XVII siècle! Il faut alors noter que cette légende est présentée dans l’histoire se trouvant dans le code No 114. C’est l’évêque Macarios qui l’a raconté à saint Constantin. Et voilà elle est directement liée à la légende du saint Constantin en tant que protecteur et aménageur du Mont Athos. Il l’organise donc et jette ses fondements par le transfert des Tsakones ainsi que par le bâtiment des églises et fondation de la communauté, dirigée par un prôtos ce qui met le début de son statut particulier après la conversation entre l’empereur et l’évêque Macarios. On ne s’intéresse pas de l’authenticité de cette histoire. Pour la recherche actuelle il est suffisant de noter que le premier empereur chrétien devient l’exécuteur de la volonté de Dieu visant la portée particulière de la montagne comme Jardin de la Mère de Dieu. On retrouve dans cette histoire un essai de réunir, de collecter de sainteté en faveur de la toute communauté monacale hagiorite et pour le monastère de Kastamonitou plus particulièrement. Cela se réalise par la jonction de la participation du premier souverain chrétien à la protection de la Vierge. Je voudrais attirer l’attention sur cette jonction dont les résultats forment le sujet de l’étude actuelle. Dans ce contexte il faut rappelé que le saint Constantin est l’Evangélisateur de l’Empire et l’idéal du souverain chrétien, mais il est également le fondateur de la capitale qui porte son nom. On doit tenir compte aussi que justement par la protection de la Ville de Constantinople de la part de la Vierge se réalise également la sauvegarde céleste de l’Empire tout entier et d’ici du monde chrétien.

Sans doute ces deux aspects sont-ils liés entre eux en nous présentant le saint Constantin en tant que le Rénovateur de l’Empire par la foi chrétienne. C’est lui qui est le fondateur de la nouvelle capitale et l’évangélisateur de la Pax Romana. Sur cette question j’ai déjà lancé mes idées lors du colloque de l’année dernière à Sassari, celui de 2001. Sans doute, le saint Constantin est-il le Rénovateur de l’Empire et en ce sens son œuvre peut être comparée avec celle du Logos, du Fils, Jésus Christ, donc du Nouvel Adam, venu pour effectuer le Renouvellement et Salut de l’Humanité. De telle façon le modèle du souverain chrétien se bâtit à l’archétype divin ainsi que le modèle de l’Empire chrétien est le Royaume Céleste. En ce sens il est important de noter que dans l’histoire en question le Mont Athos est démontré comme domaine terrestre et le "Jardin de la Vierge" et en même temps c’est justement le saint Constantin qui est son organisateur et son aménageur. Je crois que c’est la manière juste de comprendre non seulement le récit sur le bâtiment des églises, mais aussi ceux du transfert de Tsakones pour vider la place pour les moines ainsi que la nomination du premier prôtos de la Sainte Montagne avec ses insignes et privilèges[17].

Or, on voit l’Evangélisateur de l’Empire comme promoteur de la communauté monacale de Mont Athos; le fondateur de la «Ville sauvée de Dieu», une ville qui se trouve sous la protection singulière de la Vierge et qui est appelée «oeil du monde chrétien» nous est présenté comme aménageur et donateur de la Sainte Montagne donc du Jardin de la même Vierge. Il me semble évident que l’on retrouve un parallélisme dans les conceptions de la Ville et de l’Empire, d’un côté, et du Mont Athos, de l’autre. Il ne nous reste qu’à décider si ce parallélisme est un fruit de la pensée médiévale ou bien il faut chercher ses racines dans l’époque moderne. En cette direction les sources posent beaucoup de problèmes.

Les documents hagiorites et avant tout les édits impériaux ne contiennent pas d’information confirmant la tradition monacale en question. On ne peut trouver que des citations générales de la Vierge ainsi que du désert athonite comme un lieu de sauvetage pour le monde. Sans doute ce fait, témoigne-t-il que le schéma idéologique impérial ne se fonde pas sur la légende susmentionnée mais le culte marial hagiorite est plutôt monacal qu’impérial.

Confirmant ces conclusions je peux dire que la légende de la visite de la Mère de Dieu à Athos se développait surtout dans les milieux monastiques durant la période tardive[18]. Même le texte de l’édit du prince valaque du XIVe siècle n’est pas produit de la chancellerie princière mais de l’hégoumène Chariton. C’est l’époque de la domination ottomane où était la période la plus fleurissante de ces idées.

Malgré cela, il ne faut pas oublier que l’on dispose des textes assez anciens contenant la légende qui nous intéresse. Le premier est la Vita du saint Pierre l’Athonite où elle est expressément citée[19]. On peut affirmer avec une certaine certitude que cet œuvre fut écrit au Xe siècle[20] bien que la copie manuscrite la plus ancienne à nous parvenue soit du XIIe siècle[21]. Toutes ces observations nous mènent à deux conclusions: primo, la tradition du Mont Athos comme domaine terrestre de la Vierge a son origine médiévale et on ne doit pas être tenté de la chercher à l’époque moderne; et secundo, elle fut créée dans et pour un milieu monacal d’où son transfère en sphère politique s’est passé relativement tard, mais de nouveau au Moyen Age, au temps d’avant la conquête ottomane et non après et comme résultat de cette conquête.

La même chose on peut dire pour l’autre tradition légendaire en question - celle qui vise la participation du saint Constantin. Certes, elle est assez tardive et liée aux milieux monacaux, elle aussi. En l’étudiant, il faut toujours tenir compte du caractère symbolique de la figure constantinienne. En tant que premier souverain chrétien et l’Evangélisateur de l’Etat, il comprend en soi l’image du pouvoir chrétien en général ainsi que l’idée de la sainteté de l’Empire. Voilà pourquoi il faut noter le fait que dans notre histoire c’était lui qui s’acquitte de l’exécution de la volonté de Dieu quant au statut spécial du Mont Athos. Ce récit, préparé au Moyen Age dans certains monastères, par et pour moines obtient une importance particulière durant la Turcocratie. La raison est évidente - c’est une des manières pour argumenter l’importance même de la communauté monacale. Lors de l’absence d’une autorité impériale effective (hormis la Russie très éloignée) c’était l’Eglise qui a prit certaines fonctions idéologiques de la Royauté. Bien sûr, c’était principalement le Patriarcat Œcuménique - un fait bien connu que l’on ne discute point ici - mais il ne faut pas méconnaître aussi la Sainte Montagne. C’était là où les autorités chrétiennes, qui restaient encore dans les Balkans, cherchaient la légitimation de leur pouvoir dans les yeux des peuples orthodoxes et l’argument pour la continuation de traditions de Constantinople. De telle façon dans les textes en question on retrouve un mélange des deux traditions de la sainteté - une monacale et une impériale - qui nous présentent l’image du souvenir de l’Empire orthodoxe au temps de la domination ottomane.

Pour s’approcher à la fin de mon étude, je voudrais attirer l’attention sur le contexte dans lequel les légendes de l’Athos et de Kastamonitou nous sont parvenues dans le code No 114 du XIXe siècle. Ces textes, que l’on doit au plume de Grégoire de Kastamonitou et préparés pendant les dernières années du XVIIe siècle, sont englobés par d’autres textes, liés à l’idée de l’Etat chrétien et aux luttes pour sa restauration. Voilà le contenu général du code[22]: 1. Textes, liés au patron du monastère le saint Etienne son martyre et la translation de ses reliques; 2. Les textes que j’ai déjà présentés, racontant l’histoire de l’Athos et de Kastamonitou; 3. Deux textes sur la participation des moines hagiorites aux luttes pour l’indépendance de la Grèce en 1821 et sur leur martyre; 4. Une oraison funèbre pour le patriarche Grégoire V, prononcée par Constantin Oikonomos à Odessa en 1821. Vers la fin il y a d’autres textes qui ne sont pas liés au notre sujet.

On voit alors les textes racontant l’histoire de la Sainte Montagne et du monastère ensemble avec les textes sur la Epanastasis de 1821 pour la restauration de l’Etat chrétien en Hellas et pour la libération nationale. Sans doute, est-ce le point de vue "ecclésiastique" bien qu’il ne faille pas l’opposer à celui "populaire" ou "laïc". Les histoires de la participation des hagiorites aux luttes de la libération ainsi que celles de leur martyre pour la foi et pour le peuple visent sûrement à lier le mouvement national à l’héritage de l’Empire d’Orient et aux traditions ecclésiastiques. Il faut expressément souligner la narration pour le calvaire du patriarche Grégoire V, tué à Constantinople après le commencement de l’insurrection et devenu tellement martyre, puis canonisé par l’Eglise orthodoxe. Je ne crois pas que l’on puisse négliger ce contexte! Sans doute, est-ce une tentative d’obtenir une légitimation pour le rébellion par rappel à la sainteté de l’Empire mais aussi de lui poser des tâches visant un rétablissement, disons de type "byzantin". De telle manière faut-il comprendre son rangement avec l’histoire du Mont Athos comme Jardin de la Vierge qui est la protectrice céleste de l’Humanité et alors de l’Empire universel; le même Empire donc qui était le protecteur et l’aménageur de la Sainte Montagne en personne du saint Constantin et des souverains orthodoxes suivant.

Dans cette étude j’ai essayé à présenter quelques aspects du culte du saint Constantin dans l’Empire ainsi que dans le milieu hellénique durant la période de la Turcocratie. Je ne crois pas que ce soient les aspects les plus importants de ce culte - ils se fondent sur des histoires purement légendaires, liées à la tradition monacale du Bas Moyen Age et l’aube de l’Epoque moderne. Malgré tout on ne devrait pas les méconnaître car il s’agit d’éléments marginaux qui confirment les traits généraux de la vénération de l’Empereur-évangélisateur. Il reste toujours l’idéal d’un souverain chrétien; il est l’image du Rénovateur. En général c’est lié à la préparation de l’Humanité pour le Salut mais dans les textes en question il s’agit de l’établissement et l’organisation de la communauté hagiorite. Après que l’Athos aurait gagné la valeur de légitimation de l’héritage dit "byzantin" et de celui du pouvoir chrétien en général, sa connexion avec le culte du saint Constantin donne à cette idée une importance supplémentaire.

Il est déjà noté que je ne crois pas que j’introduise un aspect exclusif et inconnu du culte du saint empereur Constantin. Au contraire, il ne s’agit que de l’idée de la continuité qui est caractéristique pour sa vénération durant les époques médiévale ainsi que moderne. Il me paraît quand même que les textes suscités nous offrent une bonne possibilité de poursuivre non seulement la combinaison entre les traditions constantiniennes impériale et monacale mais également l’importance du Mont Athos dans ce contexte. Et aussi ces histoires légendaires nous ouvrent le pont entre la culture dite "byzantine" ou "post-byzantine" et les débuts de la pensée politique moderne, liée aux luttes de la libération nationale.

 

 

 

 



 

[1] P. Uspenskij, Istorija Afona, vol. II, Kiev 1877, p. 37 suiv., 44 suiv., 106 suiv.; Idem, Vtoroe puteshestvie po Svjatoj Gore Afonskoj archimandrita, nyne episkopa, Porfirija Uspenskago v gody 1858, 1858 i 1861, i opisanie skitov Afonskih, Moskva 1880, p. 263 suiv.

 

[2] Archives de l’Athos, t. IX (= Actes de Kastamonitou), éd. par N. Oikonomidès, Paris 1978, p. 98.

 

[3] Actes de Kastamonitou, p. 98-99.

 

[4] V.N. Oikonomidès: Actes de Kastamonitou, p. 99 note 7.

 

[5] D. Nastase, Le patronage du Mont Athos au XIIIe siècle, Cyrillomethodianum VII, 1983, p. 71-87; Idem, "Necunoscute" ale izvoarelor istoriei române ti, Anuarul Institutului de istorie "A. D. Xenopol" XXX, 1993, p. 491-495; Idem, Les débuts de la communauté œcuménique du Mont Athos, Suvmmeikta 6, 1985, p. 251-314; Idem, Le Mont Athos et l’Orient chrétien et musulman au Moyen Age, Revue roumaine d’histoire, 1993, 3-4, p. 309-318, et alii.

 

[6] O. Treitinger, Die oströmische Kaiser- und Reichsidee vom oströmischen Staats- und Reichsgedanken, Darmstadt 1956, p. 27; A. Cameron, The Theotokos in Sixth-Century Constantinople, in Journal of Theological Studies, N. S., XXIX, 1, April 1978, p. 80-81.

 

[7] Cameron, The Theotokos in Sixth-Century Constantinople, p. 99 suiv.; R.G. Paun, ‘La couronne est à Dieu’. Neagoe Basarab (1512-1521) et l’image du pouvoir pénitent, L’empereur hagiographe. Culte des saints et monarchie byzantine et post-byzantine, p. 199 suiv.

 

[8] P. Alexander, The Strenght of the Empire and Capital as Seen through Byzantine Eyes, Speculum 37, 1962, p. 355.

 

[9] Archives de l’Athos, II(2), Actes de Kutlumus, ed. Paul Lemerle, Paris, 1988, No 26 p. 103 ligne 10.

 

[10] Ibidem, No 29, p. 113, ligne 221.

 

[11] P. Alexander, The Strenght of the Empire and Capital, p. 355.

 

[12] E. Fenster, Laudes Constantinopolitanae, München 1968, p. 132 suiv.

 

[13] P. Gauthier, Un récit inédit du siège de Constantinople par les Turcs (1394-1402), Revue des études byzantines 23, 1965, p. 110, ligne 25 - "... ton tis oikoumenis ophthalmon".

 

[14] Il s’agit du début du texte qui désigne la Vierge en tant que brève stratège qui protège la Ville: E. Wellesz, The Akathistos Hymn (Introduced and Translated), [= Monumenta misicae byzantinae transcripta, vol. IX], Copenhague 1957, p. LXVIII; C.A. Trypanis, Fourteen Early Byzantine Cantica, [=Wiener byzantinische Studien, Bd. V], Wien 1968, p. 29.

 

[15] En général on cite le livre de Gedeon (Ho Athos, Constantinople 1885, p. 76) qui présente la version de Théodoret d’Esphigmenou de XVIIe siècle; v. R.M. Dawkins, The Monks of Athos, London 1936, p. 87 suiv.

 

[16] S. Kadas, Mount Athos, Athens 1980, p. 10-11; P. Sherrard, Athos. The Holy Mountain, London 1982, p. 12.

 

[17] Actes de Kastamonitou, p. 98-99.

 

[18] D. Papachryssantou, La vie ancienne de saint Pierre l’Athonite, Analecta Bollandiana 92, 1974, p. 19-61.

 

[19] K. Lake, The Early Days of Monasticism on Mount Athos, Oxford 1909, p. 25; K. Pitsakis, À propos des monastères-armateurs à Byzance: les origines athonites, Griechenland und das Mer, Mannheim und Möhnesee 1999, p. 151.

 

[20] Lake, The Early Days of Monasticism on Mount Athos, p. 14-17; Pitsakis, À propos des monastères-armateurs à Byzance, p. 151.

 

[21] Lake, The Early Days of Monasticism on Mount Athos, p. 9.

 

[22] Actes de Kastamonitou, p. 97.