N° 2 - Marzo 2003 - Memorie
Ivan Biliarsky
Accademia delle Scienze di Bulgaria - Sofia
Saint
Constantin, Mont Athos et l’idée de la
sainteté
de l’Empire durant la
Turcocratie
Pendant
l’époque de la Turcocratie
le Mont Athos obtient une signification politico-idéologique très importante
pour le monde orthodoxe tout entier. Bien évidemment, c’est un héritage dont
les racines on doit chercher à l’époque médiévale où il trouve matérialisation
en protection particulière pour la communauté monacale de la part des basileis constantinopolitains ainsi que
des autres souverains orthodoxes. Après 1453 la capitale de l’Empire œcuménique
– et de l’Œcumène même – était déjà entre les mains des infidèles. La Polis perd au moins une
partie de son importance idéologique en tant que «Ville sauvée par Dieu» bien
que la chaire patriarcale soit restée là. De telle façon la république monacale
de la Sainte Montagne
reste une des rares endroits qui gardaient presque intouché leur statut de
l’avant la conquête ottomane. Voilà une des raisons pour la conservation dans
les milieux monacaux des idées de l’époque antérieure. Il s’agit des certains
cultes impériaux par lesquels on argumente la sainteté de l’Empire et de son
rôle dan l’histoire mondiale, dans l’histoire du Salut de l’Humanité. Dans la
recherche actuelle j’essaierai commenter certains textes, créés durant l’époque
moderne, dans lesquels on retrouve un carrefour de la vénération du saint
Constantin en tant que l’idéal du souverain chrétien et de la vénération de la Vierge en tant que
protectrice de l’Empire.
Une attention
particulière il faut consacrer à la légende de la visite de la Mère de Dieu à Mont Athos
durant laquelle elle reçut la montagne en tant que sa possession terrestre. Ce
texte, accompagné par la légende dite de Kastamonitou, est présenté dans deux
manuscrits qui se trouvaient dans la bibliothèque de ce monastère. Je voudrais
attirer l’attention justement sur eux. On doit les premières informations sur
ceux-ci à l’évêque Porphyre Uspensky qui utilisa le plus ancien des codes (donc
du XVIIe siècle) lors de sa visite à Mont Athos en 1845[1]
et puis l’emporta en Russie.
Le deuxième
manuscrit est encore à la bibliothèque de Kastamonitou, classé sous No 114. Il
est assez nouveau, étant accompli au même monastère en 1844 par le moine
Dosithée de Lésbos. Le contexte dans lequel s’y trouvent les légendes
hagiorites est très important pour notre étude et on lui consacrera une attention
à part plus bas. Ici je me limiterai de noter seulement la présence dans le
code des ces textes dont l’auteur est probablement le moine Grégoire de
Kastamonitou qui les termina vers 1698 d’où date le manuscrit plus ancien
(celui qui fut emporté en Russie). Ce Grégoire était un personnage avec des
destins très intéressants: il devint prôtosyncelle du patriarcat œcuménique et
puis l’exarque patriarcal pour la
Moldavie où il trouva la fin de sa vie à Iassy[2].
Quel est le
contenu de l’histoire elle-même? Je le présenterai brièvement plus bas en
communiquant en parenthèses les pages du manuscrit suivant ce que N.
Oikonomidès a écrit[3]. Le texte commence par l’affirmation que
le monachisme athonite a ses racines aux temps des apôtres (p. 102-104). Après
sa victoire, le saint empereur Constantin remplace les Tsakones depuis le Mont
Athos à la Péloponnèse
pour libérer de la place pour les moines dans le désert athonite (p. 104-107).
St. Macarios, l’évêque d’Erissos, visite le saint Constantin à Salonique et lui
raconte que le Mont Athos est l’Héritage terrestre et le Jardin de la Vierge qui visita autrefois
la péninsule et baptisa ses habitants; alors l’empereur ordonne la construction
des églises de la Dormition
de la Vierge
au Prôtaton et de l’Annonciation à Vatopédi; au même temps fut nommé le premier
Protos de la Sainte
Montagne avec ses droits et privilèges particuliers (p. 107,
118-130). Après la translation de reliques du saint Etienne à Constantinople,
l’empereur Constantin commence le bâtiment du monastère, consacré à ce
prôtomartyre, à la partie australe de l’Athos; en ce moment l’empereur est
décédé (337) et les travaux de la construction sont terminés par son fils
Constans qui édicta, après les avoir achevés, que la fondation s’appelât à son
nom, donc "Kwvnstantoj monhv", "Kostantos moni" = "monastère
de Constans" d’où provient le nom de "Kastamonitou" (p.
109-111). Au temps de l’empereur Julien l’Apostat, Macarios d’Erissos se
cachait pour éviter les persécutions et n’apparut de nouveau que quand l’empereur
Théodose vient au pouvoir; c’était cet évêque qui restaura le monastère et
l’église de saint Etienne et y resta jusqu’à la fin de ses jours (p. 111-112,
116-118, 141-142, 266).
Je me limiterai
de présenter seulement cette partie de la légende car les autres dépassent le
cadre de la recherche actuelle, concentrée sur le culte du saint empereur
Constantin. Je ne crois pas qu’il faille argumenter l’avis du caractère
légendaire du récit suscité[4]. Pour notre thèse il est important non
pas en tant que source d’information sur les événements du IVe siècle, liés aux
activités réelles de l’empereur Constantin le Grand mais en tant que
renseignement sur son culte. Il est à noter qu’il s’agit de sa vénération comme
l’exécuteur de la volonté de Dieu concernant la protection particulière du Mont
Athos de la part de la
Vierge. Ce fait est important en deux aspects: Primo, il faut souligner la liaison
entre les deux cultes (celui de la
Vierge et celui du saint Constantin) qui possèdent une
importance extraordinaire pour l’idéologie politique de l’Empire. Il faut
ajouter ici la portée singulière en ce sens de la communauté monacale hagiorite
malgré l’origine assez tardive des textes qui la prouvent. Secundo, le contexte dans lequel ces histoires nous sont arrivées
(surtout dans le code No 114 de Kastamonitou que l’on verra plus bas) témoigne
en faveur de l’argumentation par les anciens cultes impériaux des luttes visant
la restauration de l’Etat chrétien et la libération nationale du peuple
hellénique durant l’époque moderne.
Quant au
premier sujet, il faut avant tout souligner la valeur idéologique de la
république monacale de la
Sainte Montagne non seulement pour l’Empire mais aussi pour
le monde orthodoxe tout entier. Il s’agit de l’importance du Mont Athos pour la
légitimation du pouvoir dans les pays de la communauté dite
"Byzantine" qui se démontre surtout comme une légitimation de
l’affiliation du souverain aux traditions impériales de Constantinople. On
dispose de beaucoup de données pour une telle conclusion. Le problème a déjà
été sujet des recherches historiques. En ce sens, je voudrais attirer
l’attention sur les nombreux ouvrages, consacrés à ce thème, du savant roumain
et grec Dimitri Nastase[5]. Dans ses articles il lance l’idée
visant le Mont Athos en tant que microcosme, symbole de l’Empire Orthodoxe et
image de l’Univers. Ce lieu sacré obtient ces qualités par la présence dans ses
monastères des moines provenant de la plupart des peuples orthodoxes, donc
Grecs, Géorgiens, Bulgares, Serbes, Roumains, Italiens. De telle façon la
domination sur le microcosme se transforme en légitimation du pouvoir sinon sur
le monde chrétien tout entier (durant cette époque ce ne pouvait être qu’une
prétention doctrinale) au moins dans un seul Etat dont l’idéologie politique
reflète l’universalisme constantinopolitain.
Cette thèse est
intéressante et mérite notre attention. Sans doute, explique-t-elle certains
des mécanismes de la légitimation du pouvoir par l’aide et la protection de la Sainte Montagne.
Malgré cela, je voudrais attirer l’attention non autant sur les racines
politiques de l’importance du Mont Athos dans la communauté orthodoxe que sur
celles spirituelles. Elles sont liées d’un côté à la portée vraiment
remarquable du monachisme dans la Chrétienté Orientale
et de l’autre au culte de la sainte Vierge en tant que protectrice de l’Empire,
de la capitale et du Mont Athos, donc de son Jardin terrestre.
Il faut
chercher les origines du culte marial en tant que principal à Constantinople
dans le développement de la société romaïque durant la seconde moitié du VIe et
le début du VIIe siècle. Sans doute, était-il le résultat de la
christianisation de la vie publique et de sa liturgification[6], lors de laquelle les visions du monde
purement religieuses devenaient non seulement prédominantes, mais presque
uniques. Evidemment, le pouvoir n’est pas exclu de ce courant et les idées
religieuses se présentaient en tant qu’essentielles pour la perception des
réalités de la vie publique et étatique. Cela concerne non seulement l’Empire durant
sa route historique millénaire mais aussi les autres pays se trouvant sous son
rayonnement.
La théocratie
romaïque conçoit l’Etat comme une structure, pareille à l’Eglise en sa mission.
C’est la mission de préparer les hommes pour leur libération du pouvoir du
Prince Malin et pour leur Salut au Dernier Jugement. Justement de cette mission
provient l’importance spéciale du culte marial, du culte de celle qui a donné
la vie terrestre du Sauveur, visant la Theotokos en tant que protectrice céleste des hommes.
Il est hors de doute que le Sacrifice et la Rédemption qui ouvrent
la voie vers le Salut sont nécessairement
liés à l’Incarnation. Seulement le Fils de Dieu véritablement incarné,
seulement le Verbe véritablement devenu Homme peut vraiment souffrir et
vraiment expier les péchés de l’Humanité tombée. Et l’Incarnation s’effectua
dans le monde par la Mère
de Dieu, par la Theotokos
et Vierge Marie! La Vierge
très sainte est celle qui donna la chair au Divinohumain, elle est l’être
humain qui était plus proche à Lui et à cause de cela elle est la protectrice
et l’intercesseur des hommes, de l’Humanité; c’est elle qui priera en faveur de
notre salut au jour du Dernier Jugement. Justement dans ce contexte on doit
étudier l’apparition de son culte en tant que Protectrice-de-la-Ville durant la
seconde moitié du VIe et le début du VIIe siècle ainsi que son développement
postérieur[7]. Cette idée se trouvait au fondement de
la théocratie romaïque et sans l’apprécier on ne peut pas comprendre l’essence de
la conception du pouvoir des basileis de
l’Empire romain d’Orient. Justement à cause de la mission salvatrice de
l’Empire et en tant que protectrice de l’Humanité non seulement au Dernier
Jugement mais aussi au cours de l’histoire, la Theotokos est la défenseur
céleste de l’Empire et de la
Ville.
Le
développement du culte marial est habituellement lié aux événements de l’an 626
et le siège de Constantinople par les Perses et les Avars. Sans doute, est-ce
un moment très important bien qu’il soit plutôt résultat que la cause du culte.
Dans ce contexte je voudrais attirer l’attention sur une source très
intéressante. Il s’agit de la fameuse homélie de Théodore Syncelle dans
laquelle l’auteur proclame la signification de Constantinople l’appelant l’oeil du monde chrétien, affirmant que
chaque attaque contre la Ville
est un obstacle sur la voie vers le Salut et empêchement pour la mission
salvatrice de Jésus Christ[8]. Je voudrais attirer l’attention aussi
sur l’influence de l’Hymne Acatiste qui est très lié aux ces événements dans la
tradition orthodoxe malgré le fait que ce texte eût été préparé avant eux. Sans
doute, s’agit-il des textes très importants pour chaque étude sur la
signification politique du culte marial. Alors, pour faire la liaison avec le
Mont Athos je me permettrai de citer un document du prince de Valachie Jean
Vladislav de l’an universel 6878 (= 1369) où Mont Athos est appelé «la merveilleuse et Sainte Montagne qui est
l’oeil de tout l’Univers»[9]. La même expression, que l’on doit
évidemment au plume de l’hégoumène Chariton, est citée aussi dans son testament[10]. Evidemment c’est une citation directe
de l’homélie de Théodore Syncelle susmentionnée, consacrée au sauvetage
merveilleux de Constantinople par la
Vierge en 626[11]. En général, cette expression était
utilisée pour la capitale des basileis,
conçue comme un lieu spécialement protégé par Dieu dont l’importance pour
l’histoire du Salut est évidente[12]. C’est un emploi permanent et habituel,
enregistré dans les textes du VIIe siècle ainsi que dans tels créés seulement
une cinquantaine d’années avant la chute de la Polis en 1453[13].
Or, le Mont
Athos est appelé en même manière que les Romaioi
appellent Constantinople. Ce fait ne peut pas être fortuit et sans doute a-t-il
ses racines dans l’appréciation identique des deux topoi en tant que lieux sacrés de l’Orthodoxie. En ce sens je
voudrais expressément rappeler que l’homélie de Théodore Syncelle est liée
directement au culte marial de protection de la Vile en tant que créée justement après le siège
de la Ville en
626 et sa sauvegarde miraculeuse par la
Mère de Dieu. Il est lié aussi à la tradition de l’Acatiste
au texte duquel on a ajouté des additions très importantes lors de ces
événements[14]. Voilà pourquoi ces deux ouvrages
forment un complexe qui devrait être étudié ensemble. Toutes ces observations
nous obligent de chercher les traces du culte marial dans la tradition
hagiorite aussi. Elles sont donc évidentes et bien connues car le Mont Athos
est un lieu sacré pour l’Orthodoxie justement en tant que possession terrestre
de la Vierge,
ou bien, en tant que "Le jardin de la Theotokos".
J’essayerai de
présenter plus bas en résumé la légende qui est à la base du culte marial
hagiorite. Elle raconte la visite de la Vierge au Mont Athos et explique le mode
d’obtenir la péninsule en son héritage[15].
Elle nous communique justement comment la Mère de Dieu est devenue protectrice de l’Athos[16]. Selon la tradition la Theotokos, accompagnée
par st. Jean le Théologien, partit pour Chypre pour visiter st. Lazar qui était
l’évêque là. Sur la route une terrible tempête tomba soudain sur leur bateau et
l’amena au littoral de l’Athos où il accosta près de l’endroit où puis se
trouvait jusqu’aujourd’hui le monastère d’Iviron. La Vierge était très
impressionnée par la beauté du lieu et demanda de son Fils à le lui donner bien
que les habitants étaient encore païens. Dans ce moment on écouta une voix qui
disait: «Que cet endroit soit ton héritage et ton jardin, paradis et ciel pour
tous ceux qui cherchent le Salut!». Tellement le Mont Athos est devenu
l’héritage terrestre et le Jardin de la Theotokos.
Revenons donc
au textes de Grégoire de Kastamonitou, préparés vers la fin du XVII siècle! Il
faut alors noter que cette légende est présentée dans l’histoire se trouvant
dans le code No 114. C’est l’évêque Macarios qui l’a raconté à saint
Constantin. Et voilà elle est directement liée à la légende du saint Constantin
en tant que protecteur et aménageur du Mont Athos. Il l’organise donc et jette
ses fondements par le transfert des Tsakones ainsi que par le bâtiment des
églises et fondation de la communauté, dirigée par un prôtos ce qui met le
début de son statut particulier après la conversation entre l’empereur et
l’évêque Macarios. On ne s’intéresse pas de l’authenticité de cette histoire.
Pour la recherche actuelle il est suffisant de noter que le premier empereur
chrétien devient l’exécuteur de la volonté de Dieu visant la portée
particulière de la montagne comme Jardin de la Mère de Dieu. On retrouve dans cette histoire un
essai de réunir, de collecter de sainteté en faveur de la toute communauté
monacale hagiorite et pour le monastère de Kastamonitou plus particulièrement.
Cela se réalise par la jonction de la participation du premier souverain
chrétien à la protection de la
Vierge. Je voudrais attirer l’attention sur cette jonction
dont les résultats forment le sujet de l’étude actuelle. Dans ce contexte il
faut rappelé que le saint Constantin est l’Evangélisateur de l’Empire et
l’idéal du souverain chrétien, mais il est également le fondateur de la
capitale qui porte son nom. On doit tenir compte aussi que justement par la
protection de la Ville
de Constantinople de la part de la
Vierge se réalise également la sauvegarde céleste de l’Empire
tout entier et d’ici du monde chrétien.
Sans doute ces
deux aspects sont-ils liés entre eux en nous présentant le saint Constantin en
tant que le Rénovateur de l’Empire
par la foi chrétienne. C’est lui qui est le fondateur de la nouvelle capitale
et l’évangélisateur de la Pax Romana. Sur cette
question j’ai déjà lancé mes idées lors du colloque de l’année dernière à
Sassari, celui de 2001. Sans doute, le saint Constantin est-il le Rénovateur de l’Empire et en ce sens son œuvre peut être comparée
avec celle du Logos, du Fils, Jésus Christ, donc du Nouvel Adam, venu pour
effectuer le Renouvellement et Salut de l’Humanité. De telle façon le modèle du
souverain chrétien se bâtit à l’archétype divin ainsi que le modèle de l’Empire
chrétien est le Royaume Céleste. En ce sens il est important de noter que dans
l’histoire en question le Mont Athos est démontré comme domaine terrestre et le
"Jardin de la Vierge"
et en même temps c’est justement le saint Constantin qui est son organisateur
et son aménageur. Je crois que c’est la manière juste de comprendre non
seulement le récit sur le bâtiment des églises, mais aussi ceux du transfert de
Tsakones pour vider la place pour les moines ainsi que la nomination du premier
prôtos de la Sainte
Montagne avec ses insignes et privilèges[17].
Or, on voit
l’Evangélisateur de l’Empire comme promoteur de la communauté monacale de Mont
Athos; le fondateur de la «Ville sauvée de Dieu», une ville qui se trouve sous
la protection singulière de la
Vierge et qui est appelée «oeil du monde chrétien» nous est
présenté comme aménageur et donateur de la Sainte Montagne
donc du Jardin de la même Vierge. Il me semble évident que l’on retrouve un
parallélisme dans les conceptions de la Ville et de l’Empire, d’un côté, et du Mont
Athos, de l’autre. Il ne nous reste qu’à décider si ce parallélisme est un
fruit de la pensée médiévale ou bien il faut chercher ses racines dans l’époque
moderne. En cette direction les sources posent beaucoup de problèmes.
Les documents
hagiorites et avant tout les édits impériaux ne contiennent pas d’information confirmant
la tradition monacale en question. On ne peut trouver que des citations
générales de la Vierge
ainsi que du désert athonite comme un lieu de sauvetage pour le monde. Sans
doute ce fait, témoigne-t-il que le schéma idéologique impérial ne se fonde pas
sur la légende susmentionnée mais le culte marial hagiorite est plutôt monacal
qu’impérial.
Confirmant ces
conclusions je peux dire que la légende de la visite de la Mère de Dieu à Athos se
développait surtout dans les milieux monastiques durant la période tardive[18]. Même le texte de l’édit du prince
valaque du XIVe siècle n’est pas produit de la chancellerie princière mais de
l’hégoumène Chariton. C’est l’époque de la domination ottomane où était la
période la plus fleurissante de ces idées.
Malgré cela, il
ne faut pas oublier que l’on dispose des textes assez anciens contenant la
légende qui nous intéresse. Le premier est la Vita du
saint Pierre l’Athonite où elle est expressément citée[19].
On peut affirmer avec une certaine certitude que cet œuvre fut écrit au Xe
siècle[20] bien que la copie manuscrite la plus
ancienne à nous parvenue soit du XIIe siècle[21].
Toutes ces observations nous mènent à deux conclusions: primo, la tradition du Mont Athos comme domaine terrestre de la Vierge a son origine
médiévale et on ne doit pas être tenté de la chercher à l’époque moderne; et secundo, elle fut créée dans et pour un
milieu monacal d’où son transfère en sphère politique s’est passé relativement
tard, mais de nouveau au Moyen Age, au temps d’avant la conquête ottomane et
non après et comme résultat de cette conquête.
La même chose
on peut dire pour l’autre tradition légendaire en question - celle qui vise la
participation du saint Constantin. Certes, elle est assez tardive et liée aux
milieux monacaux, elle aussi. En l’étudiant, il faut toujours tenir compte du
caractère symbolique de la figure constantinienne. En tant que premier
souverain chrétien et l’Evangélisateur de l’Etat, il comprend en soi l’image du
pouvoir chrétien en général ainsi que l’idée de la sainteté de l’Empire. Voilà
pourquoi il faut noter le fait que dans notre histoire c’était lui qui
s’acquitte de l’exécution de la volonté de Dieu quant au statut spécial du Mont
Athos. Ce récit, préparé au Moyen Age dans certains monastères, par et pour
moines obtient une importance particulière durant la Turcocratie. La
raison est évidente - c’est une des manières pour argumenter l’importance même
de la communauté monacale. Lors de l’absence d’une autorité impériale effective
(hormis la Russie
très éloignée) c’était l’Eglise qui a prit certaines fonctions idéologiques de la Royauté. Bien sûr,
c’était principalement le Patriarcat Œcuménique - un fait bien connu que l’on
ne discute point ici - mais il ne faut pas méconnaître aussi la Sainte Montagne.
C’était là où les autorités chrétiennes, qui restaient encore dans les Balkans,
cherchaient la légitimation de leur pouvoir dans les yeux des peuples
orthodoxes et l’argument pour la continuation de traditions de Constantinople.
De telle façon dans les textes en question on retrouve un mélange des deux
traditions de la sainteté - une monacale et une impériale - qui nous présentent
l’image du souvenir de l’Empire orthodoxe au temps de la domination ottomane.
Pour
s’approcher à la fin de mon étude, je voudrais attirer l’attention sur le
contexte dans lequel les légendes de l’Athos et de Kastamonitou nous sont
parvenues dans le code No 114 du XIXe siècle. Ces textes, que l’on doit au
plume de Grégoire de Kastamonitou et préparés pendant les dernières années du
XVIIe siècle, sont englobés par d’autres textes, liés à l’idée de l’Etat
chrétien et aux luttes pour sa restauration. Voilà le contenu général du code[22]: 1. Textes, liés au patron du monastère
le saint Etienne son martyre et la translation de ses reliques; 2. Les textes que
j’ai déjà présentés, racontant l’histoire de l’Athos et de Kastamonitou; 3.
Deux textes sur la participation des moines hagiorites aux luttes pour
l’indépendance de la Grèce
en 1821 et sur leur martyre; 4. Une oraison funèbre pour le patriarche Grégoire
V, prononcée par Constantin Oikonomos à Odessa en 1821. Vers la fin il y a
d’autres textes qui ne sont pas liés au notre sujet.
On voit alors
les textes racontant l’histoire de la Sainte Montagne et
du monastère ensemble avec les textes sur la Epanastasis
de 1821 pour la restauration de l’Etat chrétien en Hellas et pour la libération
nationale. Sans doute, est-ce le point de vue "ecclésiastique" bien
qu’il ne faille pas l’opposer à celui "populaire" ou
"laïc". Les histoires de la participation des hagiorites aux luttes
de la libération ainsi que celles de leur martyre pour la foi et pour le peuple
visent sûrement à lier le mouvement national à l’héritage de l’Empire d’Orient
et aux traditions ecclésiastiques. Il faut expressément souligner la narration
pour le calvaire du patriarche Grégoire V, tué à Constantinople après le
commencement de l’insurrection et devenu tellement martyre, puis canonisé par
l’Eglise orthodoxe. Je ne crois pas que l’on puisse négliger ce contexte! Sans
doute, est-ce une tentative d’obtenir une légitimation pour le rébellion par
rappel à la sainteté de l’Empire mais aussi de lui poser des tâches visant un
rétablissement, disons de type "byzantin". De telle manière faut-il
comprendre son rangement avec l’histoire du Mont Athos comme Jardin de la Vierge qui est la
protectrice céleste de l’Humanité et alors de l’Empire universel; le même
Empire donc qui était le protecteur et l’aménageur de la Sainte Montagne en
personne du saint Constantin et des souverains orthodoxes suivant.
Dans cette
étude j’ai essayé à présenter quelques aspects du culte du saint Constantin
dans l’Empire ainsi que dans le milieu hellénique durant la période de la Turcocratie. Je ne
crois pas que ce soient les aspects les plus importants de ce culte - ils se
fondent sur des histoires purement légendaires, liées à la tradition monacale
du Bas Moyen Age et l’aube de l’Epoque moderne. Malgré tout on ne devrait pas
les méconnaître car il s’agit d’éléments marginaux qui confirment les traits
généraux de la vénération de l’Empereur-évangélisateur. Il reste toujours
l’idéal d’un souverain chrétien; il est l’image du Rénovateur. En général c’est
lié à la préparation de l’Humanité pour le Salut mais dans les textes en
question il s’agit de l’établissement et l’organisation de la communauté
hagiorite. Après que l’Athos aurait gagné la valeur de légitimation de
l’héritage dit "byzantin" et de celui du pouvoir chrétien en général,
sa connexion avec le culte du saint Constantin donne à cette idée une
importance supplémentaire.
Il est déjà
noté que je ne crois pas que j’introduise un aspect exclusif et inconnu du
culte du saint empereur Constantin. Au contraire, il ne s’agit que de l’idée de
la continuité qui est caractéristique pour sa vénération durant les époques
médiévale ainsi que moderne. Il me paraît quand même que les textes suscités
nous offrent une bonne possibilité de poursuivre non seulement la combinaison
entre les traditions constantiniennes impériale et monacale mais également
l’importance du Mont Athos dans ce contexte. Et aussi ces histoires légendaires
nous ouvrent le pont entre la culture dite "byzantine" ou
"post-byzantine" et les débuts de la pensée politique moderne, liée
aux luttes de la libération nationale.