ds_gen N. 6 – 2007 – Tradizione Romana

 

http://www.acad.ro/cv2006/img/BerindeiDan_cv.jpgDan Berindei

Académie Roumaine

 

Garibaldi et les Roumains*

 

 

 

 

Giuseppe Garibaldi occupe une position de faîte non seulement dans l'histoire de l'Italie moderne, mais dans celle de l'humanité. Sa puissante personnalité et son nom se retrouvent présents à maintes reprises dans divers pays du monde. Après deux siècles Garibaldi reste encore un symbole. Courage, sacrifice de soi, désintéressement, patriotisme, ouverture vers toutes les nations, bonté, intelligence pragmatique, l'art d'entraîner les autres ont caractérisé l'héros italien. Il est encore un modèle rarement suivi par les hommes politiques et d'ailleurs il est presque impossible que tous ces traits caractéristiques et ces aptitudes puissent se retrouver dans un autre être humain.

Parmi les peuples qui ont provoqué l'attention de ce grand italien et qui eux-mêmes ont accordé une attention à l'héros se retrouvent aussi les Roumains. Garibaldi a appartenu au XIXe siècle, siècle où se forgèrent les Etats nationaux italien et roumain. On assista, par ailleurs, maintes fois à une histoire parallèle. Il suffit de souligner que l'année 1859 représenta pour les deux nations le moment du début d'un irréversible processus d'unification. Quand eut lieu dans les principautés de Moldavie et de Valachie la double élection d'Alexandre Jean Cuza, ce fut Cavour qui considéra l'événement en tant que «triomphe de la politique de la France et de la Sardaigne en Orient»[1] et c'est toujours lui qui exclama, en recevant Basile Alecsandri, le premier ministre d'affaires étrangères du prince Cuza: «L'Union des Principautés ... représente le commencement d'une nouvelle ère dans le système politique de l'Europe». Il avait ajouté que cette unification allait préparer «l'union de tous les Italiens en un seul corps, car aujourd’hui personne ne peut que le fait miraculeux qui a eu lieu aux pieds des Carpates ne se réalise pas aussi aux pieds des Alpes»[2]. C'est, d'ailleurs, ce qui advint quelques mois plus tard.

Le processus de constitution et d'organisation de l'Etat national roumain se déroula en étroite liaison avec le processus similaire qui avait lieu en Italie. Cavour prêta son soutien aux dirigeants roumains et ce furent également Mazzini et Garibaldi qui se retrouvent dans le mental de maints Roumains pendant ces années où sur la carte de l'Europe se sont retrouvés les deux Etats nationaux.

L'attention que Garibaldi accorda aux Roumains s'explique en premier lieu par l'intérêt qu'il a porté à toutes les nations qui luttaient pour leur affirmation, mais à cela s'est ajouté sans doute les liens qui existaient entre les Roumains et Rome. Il a évoqué maintes fois «la colonia di Traiano» et évidemment que le nom que portaient ces parents lointains des nations romanes occidentales et en premier lieu des Italiens n'a pas pu laisser indifférent le grand héros. On doit ajouter qu'à leur tour les Roumains se sont trouvés sous l'impact de Garibaldi et de ses actions.

Garibaldi a connu le lointain espace de la Mer Noire à 25 ans, quand il navigua sur le vaisseau “Constanza”. C'est à Constantinople et à Odessa qu'il a pris contact avec des théories qui allaient l'influencer au cours de son existence et avec la “Giovine Italia”. Il participa à la lutte de libération en Amérique du Sud, il marqua par sa puissante personnalité la révolution et la guerre de libération italienne en 1848-1849.

Toutefois, les moments décisifs des processus de constitution des Etats nationaux italien et roumain allaient encore tarder une décennie. La guerre de Crimée et surtout le Congrès de Paris ont préparé les évolutions ultérieures. Le Piémont gagna par suite de sa participation à la conflagration un nouveau statut international, comptant parmi les sept grandes puissances, quant aux Roumains des Principautés ils furent soumis à la garantie collective des puissances et non plus à une protection exclusive. Par la Convention de Paris du 7/19 août 1858 la Valachie et la Moldavie furent dotées d'une loi fondamentale modernisant et indirectement on leur a offert la possibilité de s'unifier, ce qui advint au début de 1859 par la double élection du colonel Cuza. Grâce aux puissances bienveillantes aux voeux des Roumains, en premier lieu la France et le Piémont, cette double élection sera ratifiée par le concert des puissances.

Cependant, le processus de construction de l'Etat national et moderne roumain  fut loin d'être facile. Il s'agissait tout d'abord d'unifier les institutions des deux pays, donc de parachever leur unité dans le cadre du nouvel Etat et à faire face aux positions hostiles d'une partie des puissances. Le concours prêté aux deux principautés par les puissances bienveillantes fut essentiel à cet égard. Le Piémont et à partir de 1861 l'Italie comptèrent parmi elles.

En plus, le Piémont représentait aussi pour les Roumains le pays modèle et ses grands dirigeants étaient perçus par eux en tant que personnalités marquantes de l'humanité. Ce fut le cas de Cavour, de Mazzini et surtout celui de Garibaldi. Démètre Brătianu, l'un des chefs radicaux roumains, avait travaillé de longues années avec Mazzini au sein du Comité démocratique de Londres[3], tandis que C.A. Rosetti, un autre chef radical roumain relatait à un ami en 1851, quand il était exilé, que sa petite fille ayant 5 ans prononçait le nom de l'héros italien et montrait son portrait[4]; d'ailleurs, quelques décennies plus tard, à Bucarest, le bureau de Rosetti était orné des portraits de Mazzini et Garibaldi[5]; une estampe de ce dernier avec une dédicace à Rosetti se trouve à la Bibliothèque de l'Académie Roumaine.

Une décennie après la révolution de 1848, Garibaldi devint l'un des principaux dirigeants du processus de libération et d'unification italien. Il seconda tacitement Cavour et il fut l'un des grands artisans de la constitution de l'Italie moderne. C'est à la fin du printemps et pendant l'été 1859, quand à son tour le prince Cuza avait espéré engager son pays dans la guerre afin de hâter l'unification des provinces à majorité roumaines de l'empire d'Autriche, que Garibaldi devint l'un des héros des journaux roumains. «Garibaldi, écrivait-on dans le journal “Românul”, a forcé le Tessin et il est entré en Lombardie lui le premier», quelques jours plus tard on évoquait «les victoires éclatantes» de l'héros et dans un autre numéro on commentait: «Les victoires de Garibaldi ont comblé les espoirs de tous les admirateurs de cet homme qui croyaient seulement dans sa vaillance et non dans la force de son étendard. Le courageux chef des volontaires ou mieux dire l'étendard de la liberté et de l'indépendance italienne, est entré ... à Como, au son des cloches»[6]. Dans plusieurs journaux fut publié une biographie de Garibaldi[7] et le mazzinien Marcantonio Canini, rédacteur du journal “Buletinul resbelului din Italia”, publié pendant l'été 1859 à Bucarest, commentait dans un article: «Si le jour de l'insurrection, de l'union de tous les Roumains va sonner prochainement, que Dieu fasse qu'aussi la Roumanie ait un Garibaldi!»[8].

Mais tout comme le processus d'unification des Roumains, celui des Italiens continua. En novembre 1859 dans un article du journal bucarestois “Românul” on montrait que la question italienne préoccupait «toute l'Europe», mais qu'elle devait occuper en ce qui concernait les Roumains «la première place», non seulement à cause des «liens de sang qui sont si étroits entre l'Italie et la Roumanie», mais aussi comme un exemple, l'Italie jouissant «de la sympathie et du respect de tous les peuples»[9]. L'Italie centrale se rattacha au royaume du Piémont. Quelques jours plus tard, le 12/24 mars 1860, eut lieu une manifestation devant le consulat général du Piémont, à laquelle prirent part quelques milliers de Bucarestois, où retentirent des cris enthousiastes tels que: «Vive l'Italie unie!» et «Vive Cavour et Garibaldi!»[10].

Ensuite, à partir du mois de mai 1860, Giuseppe Garibaldi démontra ses extraordinaires capacités et son patriotisme, dans la campagne des “mille” qu'il dirigea à main sûre. “Românul” nommait alors Garibaldi «le général de l'indépendance», pour “Naţionalul” il était «l'illustre homme d'Etat de l'Italie» et «le célèbre général», pour “Dâmboviţa” «le vieux héros de la liberté» et pour “Steaua Dunării” «le grand partisan» et «l'intelligence et le bras d'un peuple assoiffé de liberté», les organes de la presse roumaine le couvrant de leurs éloges[11]. Au moment quand l'action des Mille commença en Sicile, le moment était ainsi décrit par la “Steaua Dunării” dans un style ampoulé, mais plein de sentiment: «Garibaldi, ce soldat audacieux, ce vaillant Italien, protégé par le génie de la civilisation qui le défend afin de lui permettre de combattre pour la liberté des peuples, Garibaldi, ce grand général, ce grand marin, tout aussi habile à défendre une forteresse qu'à se jouer d'une escadre, Garibaldi, l'un de ces héros qu'un peuple produit de temps en temps lorsqu'il veut se libérer, se délivrer sans autre concours que celui du destin de sa patrie, sans autre espoir que la justice et le droit des peuples, passe en Sicile pour affronter les troupes régulières d'un vaste royaume...»[12].

La lutte des volontaires de Garibaldi fut suivie pas à pas, avec une pleine confiance dans le succès final de leur action, car, comme l'écrivait “Românul”, «pour ceux qui combattent sous un tel étendard, combattre et vaincre ne font qu'un»[13]. Des colonnes entières y furent consacrées dans toute la presse roumaine, où les informations étaient interrompues pour céder la place à des commentaires enthousiastes. A mi-juin, “Românul”, prenant de nouveau attitude en faveur de Garibaldi, déclarait que cet homme «donne la liberté aux opprimés, la justice aux déshérités, le pain aux affamés, des vêtements aux pauvres, dévêtus par le gouvernement de droit divin, et à tous l'allégresse, la joie et son amitié». On ajoutait: «le révolutionnaire convoque le Parlement sicilien et bientôt il convoquera aussi la Parlement napolitain aux fins de décréter l'union avec le Piémont» et de former ainsi l'Etat italien «fort et indivisible». «Voilà, concluait le journal, ce que fait Garibaldi et tout le monde est et sera avec lui»[14]. Les mois suivantes, “Naţionalul” commentait le 21 juillet/2 août 1860 que «l'illustre Garibaldi s'achemine à pas gigantesques vers la victoire et la complète unité italienne», tandis que “Steaua Dunării” annonçait que «Garibaldi poursuit sa marche triomphale à travers la Calabre»[15] et que “Românul” parlait «des miracles que le génie de la liberté fait avec les Italiens placés sous l'étendard de Garibaldi» et profitait de l'occasion pour affirmer que «l'Italie a besoin d'une capitale naturelle et cette capitale ne saurait être autre que Rome»[16].

Tandis que l'armée garibaldienne prenait possession de tout le royaume du roi des Deux Siciles que Garibaldi allait offrir à Victor Emmanuel II, le publiciste radical roumain C.D. Aricescu lui dédia des vers publiés en septembre dans le “Românul”:

 

«Mais qui est donc celui dont le nom sonore

Inspire la terreur, l'épouvante aux despotes du monde?

C'est le brave Garibaldi, le soldat démocrate,

C'est le glaive de l'Italie, son étendard sacré...

Giuseppe Garibaldi, héros immortel,

Tu es pour ce peuple un dieu, un sauveur!...

Ô, puisse les Roumains s'enthousiasmer

Pour tes faits héroïques et les imiter!»[17].

 

Dans les rangs des combattants garibaldiens les Roumains n'y manquèrent pas, étant identifiés au moins 70[18]. Quelques officiers et des dizaines de soldats, ainsi que des sous-officiers roumains, des Transylvains, ont combattu sous la bannière de la légion hongroise, à eux s'ajoutant aussi d'autres soldats et officiers roumains dans d'autres unités de l'armée garibaldienne. «En Sicile, écrivait C.A Rosetti en 1861 à ses amis Paul Bataillard et J.A. Ubicini, demandez et on vous dira que c'étaient des Roumains ceux qui combattaient sous le drapeau hongrois et que ce sang versé d'une manière tellement noble que Garibaldi le saluait avec reconnaissance était même son sang, du sang romain»[19]. D'ailleurs l'impact exercé sur les Roumains par la campagne des Mille et surtout par le comportement de Garibaldi fut puissant. Une année plus tard, c'est Jean Brătianu, chef des radicaux, qui exprimait son admiration pour «l'héroïque courage de Garibaldi», car, montrait-il en évoquant ce qui s'était passé, «Garibaldi, chevalier et héros de la démocratie, arma l'Italie et mis sur pied comme par miracle des légions de volontaires»[20].

Pour maints Européens Garibaldi était, d'ailleurs, le symbole de la lutte de libération. C'était aussi le cas des Roumains, surtout qu'on discutait le projet d'une action de libération de l'Europe du Sud-Est dirigée par l'héros de Caprera. En plus, les Roumains ne représentaient pas une inconnue pour Garibaldi. En juillet 1861, il s'adressait Dora d'Istria - pseudonyme littéraire de la princesse roumaine Hélène Ghica - lui sollicitant de soutenir une entente roumano-hongroise et lui confessant ses sentiments envers son peuple. «Tra la patria vostra e il popolo italiano, écrivait-il, esistono tanti motivi di affezione»[21].

          En mars 1862, Garibaldi reçoit la visite d’un groupe de jeunes Roumains. L’un des visiteurs a tenu un discours enflammé. «Général, nous voyons en vous un grand citoyen; les historiens de Grèce et de Rome – notre mère patrie – ne nous ont pas montré l'un plus grand». Au nom de dix millions de Roumains, donc aussi à celui qui se trouvait sous la domination des empires autrichien et russe, il déclara à Garibaldi: «Pour notre peuple, comme pour tous les autres, vous êtes un mythe, un symbole de la grandeur, de la bonté, de la gloire, sans aucune ombre de basse ambition ou d'intérêts mesquins. Les nations qui geignent sous le joug des tyrans vous implorent en tant que libérateur, tendent leurs bras vers vous  en tant que sauveur». «N'importe où apparaîtra la chemise rouge, continua-t-il, où luira l'épée de Garibaldi, nous sommes sûrs que les droits des Roumains seront défendus». À son tour, le général s'adressa aux jeunes Rouamins, leur promettant son soutien pour le renforcement de la “nationalité” roumaine et leur demandant à propager «surtout la fraternité, l'alliance, la concorde des peuples», l'ennemi commun étant dans sa vision l'empire d'Autriche[22]. Deux jours après cette visite, Garibaldi adressa un message à ses jeunes visiteurs. «Les Roumains restant fermement à leur poste dans l'assemblée des nations, vous méritez leur fraternité et surtout celle de l'Italie, avec laquelle vous avez une communauté de sang, une communauté d'origine.... que nous donnons ensemble le dernier coup à la tyrannie»[23].

Les plans d'actions balkaniques ne se réalisèrent pas, ni en 1861, ni en 1862, par contre Garibaldi tenta en été 1862 la libération de Rome. Blessé à Aspromonte et ensuite consigné à Varignano, le sort de l'héros impressionna ses partisans du monde entier. En apprenant la nouvelle de la tentative de Garibaldi, C.A. Rosetti manifesta toute son inquiétude par rapport au sort de l'héros dans une lettre à son disciple et ami Eugeniu Carada[24]. Ensuite il lui adressa les lignes suivantes par l'intermédiaire de son journal “Românul”: «Salut à toi, porteur du saint étendard de l'indépendance et de l'unité nationale! On dit que tu est tombé, mais ton sacrifice te rend plus grand que jamais et la Roumanie, qui a entendu et compris les battements de ton cœur, s'enhardit maintenant  à lever sa voix vers toi pour te dire qu'elle te reconnaît, te respecte, t'aime, te vénère, te comprend...»[25]. Pendant plusieurs mois, les numéros du journal consigneront le nouvelles qu'Augusto Vecchi, l'aide de camp de Garibaldi, envoya régulièrement à Rosetti. En octobre, Vecchi télégraphiait plein d'optimisme. «Il est alerte donnant l'impression qu'il n'est pas blessé. Il vous remercie pour votre amour et vous prie de saluer à sa place le peuple roumain»[26]. Dans un autre numéro, Rosetti écrivait enthousiaste: «Vive notre général! Vive Garibaldi!»[27]. L'année suivante, allaient arriver à Bucarest deux messagers de Mazzini, que celui-ci recommandait «au nom de Garibaldi» et de soi-même[28]. Dans une lettre adressée de Bucarest à l'héros, le lieutenant-colonel Frigyesi lui décrivait Rosetti en tant qu'«excellent patriote qui vous est très dévoué»[29]. L'héros italien écrivait lui-aussi à C.A. Rosetti: «Je reçois régulièrement ton journal et je dois te remercier pour cela»[30]. D'ailleurs, treize ans plus tard, en 1876, Garibaldi montrait au député roumain Negură qu'il recevait toujours “Românul” et qu'il comprenait même «quelque peu de la langue roumaine»[31].

En 1866, année décisive aussi pour les destinées des Roumains, les événements de la guerre et évidemment les nouveaux faits d'armes de Garibaldi furent suivis avec intérêt et même passion par les journaux roumains et en premier lieu par ceux se trouvant sur des positions politiques similaires[32]. En août, “Românul” annonçait que “la mission” de Garibaldi était presque accomplie - après la libération de Venise – et que le problème de Rome restait le seul qui devait encore être solutionné[33]. Tandis que Garibaldi donnait cours à ses sentiments envers les nations sud-est européennes en écrivant dans ses Mémoires «combien d'éléments sympathiques et amis» on y trouvait à l'Est de l'Europe, Dora d'Istria s'adressa au général en lui exprimant sa conviction «che sarà infine permesso ai Romeni, ai Serbi, ai Bulgari, agli Albanesi e ai Greci di lavorare, colle altre nazioni cristiane, al benessere e al progresso del genere umano»[34].

Moins d'une demi décennie plus tard, Rome devenait la capitale de l'Italie moderne. L'événement fut salué avec satisfaction dans la presse roumaine[35]. Cependant, dans le journal de C.A. Rosetti on notait: «Seuls les vieux Garibaldi et Mazzini ne sont pas satisfaits». «Mais, continuait-on, beaucoup de temps ne passera pas et leur idéal, auquel ils ont sacrifié toute leur vie, se réalisera et alors nous allons crier tous: Vive la République romaine rajeunie des Brutus et des Catons!»[36]. Après quelques mois, on salua la participation de Garibaldi à la guerre aux cotées de la France envahie. Le commentaire est significatif, montrant la foi qu'on avait dans sa force et une admiration inébranlable. «Garibaldi c'est l'homme victoire; la cause pour laquelle il a lutté a toujours triomphée, parce qu'elle était celle du droit, de l'humanité, de la liberté. Garibaldi est l'unité italienne, Garibaldi est Rome capitale, les deux accomplies; Garibaldi sera en France le pôle magnétique qui attirera autour de lui des milliers de combattants»[37].

Quand la crise orientale s'est produit en 1875, Garibaldi a suivi les événements avec attention et intérêt, en considérant que c'était le moment propice pour que le drapeau de la liberté soit levé par le nations de la zone. Il était maintenant un vieil homme, mais son âme était restée jeune et ardente. A son disciple et admirateur roumain, le garibaldien Ştefan Sihleanu il donnait le conseil que les Roumains s'engagent aussi dans la lutte commune de libération dans laquelle s'étaient engagés les peuples balkaniques[38]. Le député roumain Negură lui rendit visite. Il fut impressionné par le général. «Devant Garibaldi, décrivait-il l'entrevue, je me suis senti frappé d'étonnement». «Nature dotée, par sa figure, son allure, par ses expressions, par sa voix, par ses gestes, par le costume, enfin par tout ce qui lui appartient à commander au Monde entier», le caractérisait Negură. «Il est de haute taille, continuait-il, beau et sympathique, une voix forte et sonore, des yeux petits et noirs, la figure blonde», en ajoutant: «des manières naturelles et élégantes, d'une simplicité tout à fait démocratique»[39].

Garibaldi transmit des instructions au colonel Sgarellino, commandant de la légion de volontaires italiens luttant en Serbie, le conseillant de lutter aux cotées de l'armée roumaine. «Que vos volontaires disent aux frères roumains que, même de loin, la pensée et le cœur de Garibaldi sont auprès d'eux. Que Dieu fasse que la victoire soit avec eux!»[40]. Le général fut satisfait par le nouvelles qui lui sont parvenues du front balkanique concernant les faits d'armes des Roumains. Il leur adressa un encouragement public, en soulignant les rapports particuliers existants entre Italiens et Roumains: «Les descendants de nos antiques légions, les Roumains, écrivait-il, luttent avec héroïsme sur les rives du Danube pour leur indépendance; je crois qu'il serait opportun faire entendre les applaudissements de la capitale du monde antique et de toute l'Italie, à l'adresse de nos valeureux frères de sang»[41]. A son tour, C.A. Rosetti considéra de son devoir de répondre par un télégramme. «Frère et maître, lui dépêcha-t-il, nous avons étaient contraints à verser notre sang pour reconquérir l'indépendance et pour montrer par les faits à nos calomniateurs que nous sommes encore sur le Danube les colons non dégénérés de Trajan. Le silence de nos frères d'Italie nous avait beaucoup peiné. Votre parole a été pour nous un arc-en-ciel qui nous assure que finalement que Rome a ses regards fixés sur nous. Nous vous remercions et nous allons vous remercier par des actes qui vont prouver que nous avons, comme vous, un foi inébranlable dans le droit et la justice[42]. Un autre télégramme, adressé par Garibaldi à Titus Dunca, toujours un garibaldien qui avait lutté sous ses ordres, réitérait ses félicitations à l'adresse des combattants roumains[43].

Une demi décennie plus tard, le cœur du grand Italien a cessé de battre. Démètre Gusti, le maire de Iassy lui a dédié, à cette occasion, un poème, intitulé “L'Italie” dans lequel était évoqué Garibaldi – l’«héros légende»[44]. Mais plus important fut le message adressé par Démètre Brătianu, président de la Chambre des Députés, à Domenico Farini, le président de la Chambre italienne. «Garibaldi appartient à l'Italie comme aux peuples qui ont lutté pour leur reconstruction nationale», écrivait-il, en exprimant au nom de la Chambre roumaine, «les sentiments de condoléances à l'Italie, patrie de l'illustre soldat de l'unité italienne, de l'infatigable défenseur de sa liberté». Dans la réponse de Farini était évoquée «la solidarité des deux peuples qui ont une origine commune et qui ont lutté pour leur reconstruction nationale et pour la liberté»[45].

Rome a représenté le trait d'union entre Garibaldi et les Roumains. Pour lui il s'agissait des descendants des soldats et des colons romains de l'empereur Trajan, tandis que pour eux Garibaldi était l'héros doté des vertus romaines, disposé à les comprendre et à les soutenir. La Cité éternelle était le point de rencontre, le centre de la latinité, la cité mère des nations romanes, tandis que Giuseppe Garibaldi représentait pour les Roumains, comme pour les Italiens et les autres nations du monde, un héros ressuscité des temps antiques, l'homme légende, celui qui avait été capable de conquérir un royaume avec mille hommes courageux!

 

 



 

* Relazione presentata nella Seduta conclusiva “Bicentenario della nascita di Giuseppe Garibaldi” del XXVII Seminario Internazionale di Studi Storici “Da Roma alla Terza Roma” «Il Popolo nella storia e nel diritto. Da Roma a Costantinopoli a Mosca» (Roma, Campidoglio, 19-21 aprile 2007); seminario organizzato dall’Unità di ricerca ‘Giorgio La Pira’ del Consiglio Nazionale delle Ricerche e dall’Istituto di Storia Russa dell’Accademia delle Scienze di Russia, con il contributo dell’Università di Roma “La Sapienza”.

 

[1] Il carteggio Cavour-Nigra dal 1858 al 1861, Bologna 1927, vol. II, 4.

 

[2] V. Alecsandri, Proză (Prose), édition G.C. Nicolescu, Bucarest 1966, 558-559.

 

[3] Voir Al. Cretzianu, Din arhiva lui Dumitru  Brătianu (L'archive de Dumitru Brătianu), Bucarest 1934, vol. I et II.

 

[4] C.A. Rosetti, Corespondenţă (Correspondance), paru par les soins de Marin Bucur, Bucarest 1980, 264.

 

[5] N. Iorga, Istoria românilor prin călători străini (Histoire des Roumains  par l'intermédiaire des voyageurs étrangers), seconde édition, Bucarest 1929, vol. IV, 140.

 

[6] Românul”, Bucarest, nn. des 21 mai/2 juin, 23 mai/4 juin et 26 mai/7 juin 1859, 237, 241 et 245.

 

[7] Românul”, nn. des 4/16 et 7/19 juillet 1859, 315 et 319 et “Steaua Dunării. Zimbrul et Vulturul”, Iassy, n. 107 du 25 mai 1859, 419.

 

[8] Buletinul resbelului din Italia”, Bucarest, n. 5 du 7 juin 1859, 19.

 

[9] Românul”, n. 125 du 10/22 novembre 1859, 575.

 

[10] Ibidem, n. 75 du 15 mars 1860, 241.

 

[11] Românul”, n. 124 du 5 mai 1860, 373; “Naţionalul”, nn. 43 et 45 des 2 et 9 juin 1860, 169 et 177; “Dâmboviţa”, n. 56 du 11 mai 1860, 219; “Steaua Dunării. Zimbrul şi Vulturul”, n. 87 du 24 mai 1860, 1. Voir aussi Ştefan Delureanu, Românii alături de Garibaldi în expediţia celor o mie, in “Revista de Istorie” 35 (1982), n. 10, 1124-1138.

 

[12] Steaua Dunării, Zimbrul şi Vulturul”, n. 89 du 28 mai 1860, 3.

 

[13] Românul”, n. 124 du 5 mai 1860, 373.

 

[14] Naţionalul”, n. 57 du 21 juillet 1860, 225.

 

[15] Steaua Dunării. Zimbrul şi Vulturul”, n. 99 du 24 août 1860, 1.

 

[16] Românul”, nn. 234 et 239  des 21 et 26 août 1860, 706 et 721.

 

[17] Idem, n. 262 du 18 septembre 1860, 791.

 

[18] Ştefan Delureanu, Românii alături de Garibaldi..., 1135.

 

[19] C.A. Rosetti, Corespondenţă.., 73.

 

[20] Din scrierile şi cuvântările lui Ion C. Brătianu. 1821-1891 (Ecrits et discours de Ion C. Brătianu. 1831-1891), Bucarest 1903, 237-238.

 

[21] Al. Marcu, Romanticii italieni şi românii. Note (Les romantiques italiens et les Roumains. Notes), in “Memoriile Secţiunii Literare a Academiei Române”, Bucarest, série III, tome II (1924), 100-101.

 

[22] Românul”, n. 83 du 23 mars 1862, 266.

 

[23] Ibidem.

 

[24] C.A. Rosetti, Corespondenţă..., 164.

 

[25] Românul”, n. 242 du 30 août 1862, 803.

 

[26] Ibidem, nn. 299-300 des 27-28 octobre 1862, 987.

 

[27] Ibidem, nn. 316-317 des 12-13 novembre 1862.

 

[28] Al. Marcu, Conspiratori şi conspiraţii în epoca renaşterii politice a României. 1848-1877 (Conspirateurs et conspirations pendant l'époque de rennaisance de la Roumanie. 1848-1877), Bucarest 1930, 323.

 

[29] Lajos Paztor, Lo storico ungherese del Risorgimento italiano Gustavo Frigyesi ed il suo carteggio con Garibaldi, in “Janus Pannonius”, Roma, I (1947), n. 1, 195-199.

 

[30] Al. Marcu, ouvr. cit., 331.

 

[31] Idem, Un deputat moldovean la Garibaldi (1876), in “Roma”, VII (1927), 30-31.

 

[32] Voir des détails dans Dan Berindei, L'eco nella stampa liberal-radicale di Bucarest degli avvenimenti italiani dell'estate 1866, Trieste, Istituto Nazionale per la Storia del Giornalismo, 1967.

 

[33] Românul”, nn. des 11 et 16-17 août 1866, 533, 549.

 

[34] Al. Marcu, Romanticii italieni şi românii..., 101.

 

[35] Voir Dan Berindei, La libération de Rome reflétée dans la presse progressiste de Bucarest (1870), in “Revue Roumaine d'Histoire”, XI (1972), n. 3.

 

[36] Românul”, n. du 20 septembre/2 octobre 1870, 823.

 

[37] Ibidem, nn. des 28-29 septembre 1870, 885.

 

[38] Al. Marcu, Conspiratori şi conspiraţii..., 352.

 

[39] Idem, Un deputat moldovean ...., 30-31.

 

[40] Idem, Conspiratori şi conspiraţii...., 352.

 

[41] Ştefan Delureanu, Garibaldi şi independenţa României, in “Secolul XX”, Bucarest, 1977, nn. 4-5, 55.

 

[42] Ibidem, 57.

 

[43] Al. Marcu, Romanticii italieni şi românii..., 101.

 

[44] Ibidem, 102.

 

[45] Atti del Parlamento Italiano. Camera dei Deputati. Discussioni, Roma 1882, vol. XII, 1538-1539.