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L’achat-vente dans le droit romain de la fin du Ier s. av. J.-C. et le début du Ier s. apr. J.-C.

(d’après les vers d’Horatius Flaccus)[1]

 

Maria Kostova

Université Libre de Varna

Bulgarie

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ABSTRACT: Buying and selling of goods in the Roman law at the end of the 1st century BC and the beginning of the 1st century AD (in the poems of Horace).

Sources of Roman law attest to different kinds of buying and selling goods. Of particular importance are indirect testimonies in the no juridical literature. Certain ancient Roman writers had a good juridical culture and the law situations in their works would be considered as reliable and authentic source for different practices. The poet Horace is undoubtedly such a writer. In this article are examined his verses, which contain testimonies for emptio-venditio with vices, auction and emptio-venditio spei.

 

 

Le mode le plus répandu d’acquisition de biens est l’achat-vente. Dans les vers du poète Horace nous découvrons des témoignages de certaines des formes de l’achat-vente à l’aide desquelles les romains acquéraient des objets différents.

La forme la plus ancienne d’achat-vente d’objets précieux était bien compliquée et c’est l’ainsi nommée vente par la mancipation. Un vers des Epistulae II est indubitable et représente clairement une des exigences plus caractéristiques de ce moyen – la présence d’un citoyen romain tenant dans ses mains une balance[2]. Le symbole c’est que le prix, sous la forme de morceau de bronze déposé sur la balance, doit être adéquat et juste:

 

Si proprium est quod quis libra mercatus et aere est,

quaedam, si credis consultis, mancipat usus.

(Epist. II.2. 157-158)

 

Le deuxième vers, cependant, suggère un autre moyen d’acquisition de propriété sur des biens de mancipation (res mancipi) et c’est le mode d’acquisition de la propriété par usucapion – un mode originaire. Ce vers et surtout l’expression mancipat usus a provoqué une polémique considérable parmi les traducteurs. Le célèbre commentateur et traducteur de l’œuvre d’Horace, R. Heinze, trouve qu’ici le poète romain s’est compromis et ‘s’est trompé’ ou ‘a confondu’ la mancipation et l’usucapion[3]. Au fait, le texte témoigne que probablement le verbe latin mancipare a été utilisé avec la signification ‘acquérir la propriété sur des res mancipi’, quel que soit le mode d’acquisition. En vue d’une telle interprétation, il est inacceptable de considérer qu’Horace ‘s’est trompé’ en cela[4].

Un passage d’Ars poetica nous donne aussi une attestation vraisemblable de la pratique de l’encan organisé par les magistrats[5]. Les conditions de cette vente étaient préalablement signalées par les censeurs da la lex censoria. La réalisation des ventes aux enchères elles-mêmes était confiée à des questeurs. Dans ce texte, Horace fait une comparaison intéressante entre le poète qui cherche des claqueurs payés et le héraut qui est occupé avec la proclamation d’une vente aux enchères:

 

Ut praeco, ad merces turbam qui cogit emendas,

assentatores iubet ad lucrum ire poeta

dives agris, dives positis in faenore nummis.

(Ars poet. 419-421)

 

Partout dans la poésie d’Horace nous trouvons des comparaisons avec des situations de droit. La deuxième épître (Epistulae II.2) adressée à son ami Florus est un exemple brillant du talent littéraire du poète qui combine sa grande maîtrise dans l’art poétique avec ses connaissances en droit. L’épître est dédiée à des questions littéraires en sens général. Horace exprime son opinion sur la capacité des jeunes poètes et le niveau de la poésie mais en même temps il y entremêle habilement des idées et figures de droit.

Il s’agit d’un des cas pas tout à fait ordinaires du contrat d’achat-vente consensuel, déjà pratiqué au Ier s. av. J.-C.[6]. Le cas est présenté et décrit d’une façon qui révèle une très bonne connaissance de l’institut de l’achat-vente de la part d’Horace et il est dénué de fondements de croire que le poète était mal informé en matière de droit, comme R. Heinze l’écrit dans son commentaire concernant le contenu de cette épître[7].

A l’aide de quelques analogies et déviations liées toujours à son modus vivendi bien connu, Horace fait dans cette épître artistique une brève rétrospection de sa vie et explique où se cachent les raisons de ‘l’oisiveté’ qui l’a envahi, de son refus de continuer à écrire de la poésie et aussi qu’il ne fallait pas l’accuser pour cela. En commençant par une de ces raisons qui consiste en la circonstance qu’il était un peu paresseux, il s’efforce d’insinuer à son ami Florus qu’il était pourtant innocent. Florus, qui se trouvait loin de Rome, se plaignait que le poète n’était pas créatif et ne lui envoyait pas de vers[8].

Dans le début-même de la lettre, Horace stupéfait le lecteur avec sa description détaillée d’un cas d’achat-vente au marché d’esclaves à Rome. Le cas traite la vente d’un esclave avec des défauts[9] que le vendeur annonce correctement à l’acheteur mais il l’achète malgré tout. Ceci privait l’acheteur de la possibilité de déposer plus tard une requête s’il subirait des pertes résultant des vices de l’esclave. La description du cas englobe les 25 vers initiaux. Il devient évident des vers suivants qu’Horace recourt à cette situation de droit pour comparer avec elle les relations entre lui et son ami. Le lecteur doit imaginer Horace dans le rôle du vendeur et Florus dans le rôle de l’acheteur. Le désir du poète est d’expliquer à Florus à l’aide d’une situation de droit qu’il l’avait averti de ses ‘vices’, c’est-à-dire de sa paresse et du manque de volonté pour créer des œuvres. C’était celle la raison pour ne pas lui avoir envoyé des vers ni écrit de la poésie. C’est pourquoi Florus ne devait pas se fâcher avec lui ni l’accuser et ‘l’appeler au tribunal’, ainsi comme l’acheteur ne doit pas déposer de requête contre le vendeur consciencieux qui l’avait averti qu’il lui vendait une marchandise de pas bonne qualité[10]. Cette plaisanterie raffinée au début-même de l’épître démontre la maîtrise incroyable du poète en la combinaison d’un thème sérieux – écrire de la poésie à laquelle il dédie la propre lettre de 216 vers, avec un autre thème sérieux – le cas de droit, et tout cela pour arriver à l’effet humoristique. Ce passage mérite d’être présenté en sa totalité:

 

Flore, bono claroque fidelis amice Neroni,

siquis forte velit puerum tibi vendere, natum

Tibure vel Gabiis, et tecum sic agat: 'Hic, et

candidus et talos a vertice pulcher ad imos,

fiet eritque tuus nummorum milibus octo,

verna ministeriis ad nutus aptus heriles,

litterulis Graecis inbutus, idoneus arti

cuilibet; argilla quidvis imitaberis uda;

quin etiam canet indoctum, sed dulce, bibenti.

Multa fidem promissa levant, ubi plenius aequo

laudat venalis qui vult extrudere merces.

Res urget me nulla; meo sum pauper in aere.

Nemo hoc mangonum faceret tibi; non temere a me

quivis ferret idem: semel hic cessavit et, ut fit,

in scalis latuit metuens pendentis habenae';

des nummos, excepta nihil te si fuga laedat,

ille ferat pretium poenae securus, opinor.

Prudens emisti vitiosum, dicta tibi est lex;

insequeris tamen hunc et lite moraris iniqua?

Dixi me pigrum proficiscenti tibi, dixi

talibus officiis prope mancum, ne mea saevus

iurgares ad te quod epistula nulla rediret.

Quid tum profeci, mecum facientia iura

si tamen attentas? Quereris super hoc etiam, quod

expectata tibi non mittam carmina mendax.

(Epist. II.2.1-25)

 

La phrase dicta tibi est lex (v. 18) provoque l’intérêt des traducteurs mais surtout celui des chercheurs juristes. Probablement, ici Horace a employé le mot lex dans un sens juridique spécifique, notamment comme une “clause accessoire” à un contrat principal. Dans les sources juridiques les expressions lex venditionis et lex emptionis sont témoignées, utilisées souvent par rapport à l’obligation d’annoncer les vices cachés lors des achats-ventes ou à l’égard de la protection contre le manque d’avertissement de tels vices[11]. L’autre hypothèse est qu’Horace pouvait tout simplement avoir en vue la loi ou la norme légale relative à l’obligation d’annoncer les vices cachés. Le lecteur ne se surprendrait pas s’il rencontrait cet emploi spécial de lex chez Cicéron, mais dans une œuvre poétique, dans une lettre artistique, ça paraît insolite. Cet emploi ne doit pas quand même être conçu comme inhabituel puisqu’il est connu que l’ami d’Horace était aussi juriste, à part de poète. En outre, le romain bien formé avait obligatoirement des connaissances en droits, entre autres. De la troisième lettre des Epistulae I, adressée de nouveau à Florus, il devient clair qu’il s’était déjà présenté comme avocat à des procès civils[12]. Par conséquent, nous sommes en face d’une épître dédiée à des questions littéraires mais écrite par le juriste Horace et adressé au juriste Florus. En considérant ces circonstances, il est facile d’expliquer les comparaisons avec les figures de droit et le discours métaphorique.

 

Le fait que les romains pratiquaient aussi des achats-ventes dont l’objet était la simple chance – emptio-venditio spei – s’avère intéressant. Pas toute vente de chance était cependant autorisée à l’époque d’Horace. Ce qui ne contrariait pas au droit étaient par exemple les paris sur des compétitions sportives car on concevait que le gain de l’enjeu dépendait de l’esprit sportif, des qualités et aptitudes des joueurs et pour cette raison une telle vente de chance ne contenait pas de causes à reprocher. Le pêcheur avait le même droit de vendre par avance sa pêche matinale. Ces transactions avaient la nature de hasard[13]. Mais les jeux de hasard eux-mêmes, les paris, les jeux d’argent étaient interdits. Pour que ces interdictions expresses et normes obligatoires soient apparues, cela veut dire que la société romaine était profondément infectée par le vice du hasard. Les enfants aussi avaient commencé à imiter les adultes. Les sources témoignent que les poètes romains soutenaient les mesures légales prises par le pouvoir public contre ce type de contrat de vente aléatoire. Horace, bien-sûr, faisait partie d’eux:

 

Nescit equo rudis

haerere ingenuus puer

venarique timet, ludere doctor,

seu Graeco iubeas trocho

seu malis vetita legibus alea.

(Carm. III.24.54-58)

 

Quelquefois, lors des achats-ventes, il était possible de faire une erreur dans la matière ou la substance de l’objet à vendre. Cette omission entraînait naturellement un dommage (damnum) pour l’acheteur[14]. Un tel cas est visé dans les vers suivants où Horace explique qu’un acheteur expérimenté pouvait reconnaître la laine avec du pourpre de Sidon en face de celle ayant absorbé du pourpre d’Aquin, et il ne serait pas endommagé:

 

Non qui Sidonio contendere callidus ostro

nescit Aquinatem potantia vellera fucum

certius accipiet damnum propiusve medullis

quam qui non poterit vero distinguere falsum.

(Еpist. I.10.26-29)

 

La situation en matière de droit décrite a servi à Horace comme un moyen ou un modèle convenable pour faire des comparaisons avec des notions et des occurrences du domaine de la philosophie, dans ce cas. Le moment de droit peut être ici référé à un des vices des contrats, notamment error in materia vel substantia. L’erreur du matériel qui formait la marchandise faisant objet de l’achat-vent menait, dans le droit romain, au contrat nul. Ceci pouvait mener à des dommages pour l’acheteur mais selon le poète, ils ne seraient pas si considérables que si l’homme n’était pas en condition de reconnaître le mensonge de la vérité. Le moment de droit est entremêlé bien naturellement mais il peu simultanément soumettre à l’épreuve l’attente et la conception de la situation de la part du lecteur non préparé.

 

Les œuvres des poètes romains anciens sont une source de droit romain exceptionnelle. Leur valeur consiste en ce que dans les textes avec des situations de droit la réalité de vie est réfléchie sans interpolations. Et nous pouvons compter sur un poète comme Horace qui possédait une haute culture juridique[15].



 

[1] Extrait du livre de M. Kostova, Le droit dans la poésie d’Horace (en bulgare), éd. Sibi, 2010, 111-121.

 

[2] Gaius, I.119 ; D. 18.1.2.1 (Ulpianus 1 ad Sab.): Sine pretio nulla venditio est: non autem pretii numeratio, sed conventio perficit sine scriptis habitam emptionem.

 

[3] R. Heinze, Horazens Buch der Briefe. - In: Vom Geist des Römertums, Leipzig, 1938, 271.

 

[4] Cf. la phrase très intéressant et métaphorique mancipatus luxui chez l’historien Tacitus, Hist. II.71. Suivant la biographie de Tacite il reçut une education très soignée. Il se prépara à la carrière d’avocat.

 

[5] Cf. M.A. Bouchaud, P.-T. Durand de Maillane. Dictionnaire universel raisonné de justice naturelle et civile, Volume 1. s.v. auctio. Marta García Morcillo, Las ventas por subasta en el mundo romano: la esfera privada. Barcelona, Univ. Barcelona, 2005.

 

[6] Sur le contrat consensuel et son origine Cf. M. Kaser, Das römische Privatrecht, I, München, 1955, 456-457; A. E. Giffard, Précis de droit romain, Paris, 1946, 53-54; Pringsheim, Lorigine des contrats consensuels, Revue historique de droit français et étranger, 1954, 475 ss.; M. Andeev, Rimsko tchasno pravo, Sofia, 1975, 352 ss. R. Tcholov, Prix et propriété de la vente romaine ancienne, Sofia, 1986, 213 ss.

 

[7] R.Heinze, op. cit., 268.

 

[8] Horace adresse la lettre à son ami Iulius Florus, qui accompagne Tibère pendent ses marches militaires au Nord (Pannonie) à la frontière dEtat (18 apr. J.-C. comme écrit R. Heinze).

 

[9] Cf. Sermones II.3.286. Avec le progrès de l’institut de l’achat-vente, les juristes romains développent la question des vices cachés du bien à vendre et adoptent la règle que le vendeur est obligé d’annoncer les défauts du bien avant de conclure le contrat d’achat-vente. Au cas contraire, l’acheteur avait le droit de requérir la dissolution du contrat ou la diminution du prix, etc. Cf. М. Andreev, op. cit., 359 ss.

 

[10] Il semble que ce type de vente était naturel au marché d’esclaves à Rome, comme par exemple la vente d’un esclave habitué à la fuite. Dans cette situation le vendeur avait lobligation dinformer expressément sur les vices de lesclave à lheure de lachat-vente. Cf. D. 19.1.13.1 (Ulpianus 32 ad ed.): Item qui furem vendidit aut fugitivum, si quidem sciens, praestare debebit, quanti emptoris interfuit non decipi: si vero ignorans vendiderit, circa fugitivum quidem tenetur, quanti minoris empturus esset, si eum esse fugitivum scisset, circa furem non tenetur: differentiae ratio est, quod fugitivum quidem habere non licet et quasi evictionis nomine tenetur venditor, furem autem habere possumus.

 

[11] Cf. Cicero, de orat. I.39.179; M. Kostova, La frase lex mancipii, Revue Philologia, Sofia, 1992, № 24, 23-26; D. Ulp. 8.4.13:...per stipulationis vel venditionis legem obligantur; C. 8.27.8. (Imp. Gordianus A. Maximo)...Quod si prius, quam offerres, legem venditionis exercuit...; M. Jacques-Henri, L'influence de la lex venditionis sur les règles du contrat de vente, in RIDA, 13, 1966, 325-340; G. Franciosi, Il divieto della piscatio thynnaria: unaltra servitù prediale?, RIDA, 49, 2002, 101-108; Christoph Krampe, Paulus/Alfenus D.18.1.40pr. : une réponse d’Alfenus à propos d’une ‘lex dicta venditionis’, SIHDA, 2003.

 

[12] V. Seu linguam causis acuis seu civica iura respondere paras, seu condis amabile carmen (Epist. I.3.23-24).

 

[13] D. 18.1.8 pr. (Pomponius 9 ad Sab.): Nec emptio nec venditio sine re quae veneat potest intellegi. et tamen fructus et partus futuri recte ementur… Aliquando tamen et sine re venditio intellegitur, veluti cum quasi alea emitur. quod fit, cum captum piscium vel avium vel missilium emitur: emptio enim contrahitur etiam si nihil inciderit, quia spei emptio est: et quod missilium nomine eo casu captum est si evictum fuerit, nulla eo nomine ex empto obligatio contrahitur, quia id actum intellegitur. М. Andreev, op. cit., 353; I. Bazanov, Cours de droit romain, I, Sofia, 447.

 

[14] D. 18.1.9.2 (Ulpianus 28 ad Sab.): Inde quaeritur, si in ipso corpore non erratur, sed in substantia error sit, ut puta si acetum pro vino veneat, aes pro auro vel plumbum pro argento vel quid aliud argento simile, an emptio et venditio sit.

 

[15] Voir R. Hassan, La poesia e il diritto in Orazio. Tra autore e pubblico, [Dipartimento di Scienze Giuridiche, Università degli Studi di Roma La Sapienza, 91] Napoli, Jovene, 2014.