Université Montpellier I
Populus. Eléments romains
d’une restitution doctrinale de la catégorie juridique
Sommaire: I. « Peuple » dans la dernière
manualistique. – II. Insuffisance
de la réflexion en droit et opportunité de la méthode
comparatiste. – III. Essai de restitution de la structure
dogmatique de la catégorie populus. – IV. Mémorandum. – V. Permanence
de l’écran: la théorie générale de
l’Etat. – VI. Populus: terme latin et concept romain d’une technologie
juridique.
Les
dictionnaires étymologiques de latin renvoient
généralement au français « peuple » quand ils présentent
le mot populus. Même utile,
cette traduction suggère toutefois au lecteur une similitude, voire une
confusion, entre deux notions distinctes. Apprécier chacune d’elle
pour ce qu’elle est juridiquement est l’objet de ce travail de droit
comparé dans le temps. Car savoir ce qui réside sous le terme populus, c’est bien sûr
considérer notre « peuple » d’un autre point de vue
(le strict point de vue juridique, en ius)
mais aussi redécouvrir la spécificité doctrinale de la
catégorie antique - la « sincérité » romaine
sur l’argument devant nous prévenir de l’erreur qu’il
y aurait à vouloir fondre les deux concepts de droit, quitte finalement
à historiciser le premier.
1. – Le
peuple, véritable sujet de l’humanité en marche pour Vico
(1725)[1] et
Michelet (1831)[2], est-il
une catégorie juridique? Est-il un lieu, un segment précis du
droit[3]? La
question doit être posée tant il paraît simple au spécialiste
des sciences politiques de conclure que le peuple, cela n’existe pas. Sur le fond, l’ordre juridique ne
désavoue pas pleinement ce type d’affirmation si l’on
s’en tient aux grandes catégories qui le structurent et l’
« habitent »: Etat, nation, population... Le spécialiste
aurait même bel et bien raison face à l’histoire puisque ce
sont ces catégories qui ont concurrencé le peuple[4] et qui
(à la fin) le battent au sein de l’ordre, lequel reste une
hiérarchie. Or précisément: le juriste - s’il lui reste
quelques lumières héroïques et monumentales imprimées
sur la rétine - ne doit pas oublier que cette situation d’avantage
est le résultat d’une lutte pour la domination, un produit de
l’histoire. Ce qui signifie que les catégories victorieuses sont
d’abord historiques et politiques. Se pose alors une question:
qu’est-ce qui fait qu’une catégorie est juridique ou ne
l’est pas? A ce stade, aucun doute en revanche à avoir sur un
point: le peuple existe - il est - en droit positif[5] quand bien
même ne s’agirait-il que d’un être théorique. Ce
qui par contre reste obscur (mais, on le verra, à l’image du
centre de création des rêves, des fictions), c’est le
rôle technique qu’il occupe à l’intérieur de
l’ordre juridique de l’Etat, sa raison d’être dans
l’âge démocratique. En somme, ce qu’il s’agit de
déchiffrer, car peu d’informations sont finalement livrées,
c’est moins l’idée de peuple (son concept) que la raison de
son affectation à telle ou telle place d’un plus vaste ensemble
(sa fonction) - premier pas pour que cette donnée puisse être
libérée de l’histoire constitutionnelle et politique et
rendue à la science juridique.
2. – Avant
d’établir la fonction du peuple, il faut s’interroger sur
l’ensemble qui le contient: à quelle structure se rattache-t-il? Nous
entendrons ici le mot « structure » au sens étymologique
comme la manière dont les parties d’un ensemble sont
arrangées entre elles (lat. structura,
de struere: assembler[6]).
C’est sous cet angle matériel et pratique que les ensembles, les
constructions concrètes ou abstraites peuvent être définis[7]. Ainsi la
table: meuble composé d’un plateau horizontal posé sur un
ou plusieurs pieds; ainsi l’Etat: entité politique
constituée d’un territoire délimité par des
frontières, d’une population et d’un pouvoir institutionnalisé[8]. Ce
n’est pas évident a priori, mais le peuple se rattache à ce
dispositif majeur du droit public moderne que l’on nomme « Etat
». L’Etat: il s’agit là d’une catégorie
que la doctrine juge incontournable et par là-même universaliste.
A lire les auteurs, cette charge morale qui lui est attachée en tant que
système (d’organisation) est apportée par la notion de
Constitution[9]. En effet,
puisque la constitution se définit comme la norme fondamentale de
l’Etat (et, vice versa, que l’Etat-Nation se conçoit comme
le cadre du droit constitutionnel classique[10]), on
comprend que l’Etat soit aujourd’hui présenté comme
un fait immuable et indiscutable[11] (ce qui,
techniquement, revient à en faire un dogme[12]).
3. – Donc:
à l’intérieur de cette structure qu’est l’Etat,
quelle est la fonction de l’unité de construction « peuple
»? Pour répondre de façon efficace, le mieux est
d’envisager le peuple dans les manuels à disposition, dans la
dernière « manualistique » - autrement dit, le peuple en
droit. La consultation des manuels destinés à la jeunesse est en
effet une bonne méthode pour se représenter les idées
admises à telle ou telle époque dans une société
donnée. L’Université, même concurrencée, reste
à la pointe de l’entreprise de formation comme de persuasion[13]. Et la
France, depuis la Révolution, a une longue histoire en la matière
qu’il ne nous importe pas ici de retracer: car nous n’envisagerons
pas la question de l’intégration (des valeurs) mais plutôt
celle de leur résistance, sous le ciseau de la philologie et du droit
romain (cf. J.-B. Vico: De
l’antique sagesse de l’Italie retrouvée dans les origines de
la langue latine, 1710 [14]). Cette
investigation, réalisée à partir des ouvrages de
référence aujourd’hui à disposition des
étudiants en droit, ne doit toutefois pas nous leurrer sur un quelconque
particularisme français. La théorie générale de
l’Etat, systématisée en Allemagne à la fin du XIXe
siècle (l’Allgemeine Staatslehre), reçue en France et
en Europe au XXe siècle et largement adaptée depuis la seconde
guerre mondiale par un constitutionnalisme renouvelé, rend en effet les
données qui suivent relativement universelles (même si chaque
ordre national dispose, à la marge toutefois, de sa
spécificité). Il faut donc toujours garder à
l’esprit ce que l’Etat a retenu et développé pour lui
dans ses écoles du vieux principe de l’Eglise[15]. Et plus
encore garder au cœur le monde d’hier: non pas la nostalgie
d’un monde vieux et périmé mais l’enchantement du
monde dans son premier mouvement et la tension vitale pour s’en
rapprocher à toute époque: l’âge héroïque
n’est-il pas le seul qui convienne naturellement à la jeunesse
dès l’instant où l’on n’a pas commencé
la démolition de ses instincts, dès l’instant où
l’on n’a pas entrepris méthodiquement sa déformation[16]?
4. – La
manualistique[17],
fidèle à la science de l’Etat, conçoit que le peuple
n’a qu’une existence intellectuelle, fictive: qu’il
n’existe pas dans la réalité physique. Seule existerait la
nation, c’est-à-dire le peuple structuré et rendu digne par
l’Etat, qui trouve là son substrat humain. Cela étant dit,
du point de vue des catégories, c’est la population (pas la
nation) qui est le critère humain de l’Etat[18]. Si tout
est donc fait en doctrine pour dépersonnaliser le peuple[19], quitte
à le réifier (en tant que « matière première
», il ne pourra ainsi agir seul, d’où le recours à
des technologies représentatives), c’est fondamentalement pour que
la plus haute « personne » publique, elle-même fictive mais
non moins agissante, qu’est l’Etat soit en mesure de submerger le
peuple[20], de se
l’attacher et, à l’intérieur de la Staatslehre, de le priver de son
autonomie conceptuelle. Résultat: par lui-même, le peuple
n’existe pas dogmatiquement. Plus simplement: il n’est pas une
catégorie à part entière, un compartiment clair du droit.
Or, si le peuple est ainsi subjugué à l’intérieur du
raisonnement par la personne morale par excellence, quelle est, en tant que
pièce, sa fonction positive au sein du mécanisme? Quelle est sa
fonction en droit? Questionnement purement fonctionnaliste (qui fait
défaut dans la littérature) et relativement libre par rapport
à la technique constitutionnelle, qui ne doit pas servir
d’épouvantail à l’observation physique. On peut dire
que le peuple est fonctionnel à l’Etat moderne à deux
niveaux: il est sa substructure démocratique (et par
là-même morale: car les humanités grecques et romaines qui
logent en ce fondement sont porteuses d’un modèle) et en
même temps l’argument technique pour le dépasser, s’en
abstraire: pour - expression chère à Y. Thomas[21] - le
« subsumer » et s’imposer ainsi (sur ce substrat humain[22]) comme
structure et superstructure. La construction théorique est
d’ailleurs admirablement servie par cette pièce (usinée,
manufacturée) qu’est le peuple. Autrement dit, à
l’intérieur de la théorie générale de
l’Etat-personne, le peuple - certes présent mais placé en
bas de la construction - a pour rôle de justifier la subsumption
qu’est l’Etat: l’expliquer et l’autoriser. Il lui offre
l’accès au rang de catégorie juridique personnelle (et
majeure), ce qui suppose d’avoir auparavant postulé que le peuple,
parce qu’il est incapable, ait besoin d’un tuteur. Seule une
étude de droit comparé dans le temps - car l’espace ne
cesse de se réduire - nous permettra de comprendre qu’il
s’agit là d’une inversion des pôles.
5. – Pour
employer un vocabulaire de type marxiste[23], on peut
dire que la théorie moderne de la démocratie a exploité
(de façon incantatoire et extraordinairement idéaliste) la notion
gréco-romaine de peuple comme moyen de sa propre production: de
là, la non existence (autonome) du peuple en droit. Certains ouvrages
semblent même aller plus loin quand ils ne prévoient plus
l’entrée « peuple » dans leur index[24]: comme si
la tendance était à l’oubli, à la « mise
à l’index » pour raisons doctrinales; à croire
qu’il ne faut plus rappeler à l’Etat son fondement populaire
ou démocratique. Quoi qu’il en soit, tel qu’il est
bâti, l’assemblage spéculatif (et bien compliqué)
qu’est la théorie générale de l’Etat laisse
penser que le peuple est une donnée problématique, comme une
épine dans le pied, un caillou (scrupulum)
dans la chaussure de la démocratie moderne. Et toute l’application
des spécialistes pour en maîtriser la portée renforce
l’idée que le peuple reste un point décisif de la
réflexion, un lieu précis où appliquer son effort - ce que
les grands stratèges de guerre allemands eurent qualifié de Schwerpunkt.
6. – Comme
notion, le peuple a une longue histoire intellectuelle qui ne se résume
pas à ce que veulent bien nous en dire le droit public positif et la
théorie générale de l’Etat. On ne peut
sérieusement se limiter à ce qu’ils nous en laissent voir:
car, en abaissant méthodologiquement le peuple - placé tout en
bas du mécanisme et à lui assujetti - ils n’en voient et
n’en comprennent le concept que (si l’on s’autorise bien
sûr l’expression) par le petit trou de la serrure. Cette perception
est lacunaire, déformante et faible - pour ne pas dire
déprimée au sens physiologique du mot - et, c’est le plus
regrettable, prive les contemporains d’une compréhension
scientifique de la catégorie en son principe premier (principium). Pour ne s’en tenir
qu’à l’expérience romaine, il est clair que
même les meilleurs théoriciens de l’Etat ont perdu de vue la
donnée « populus »
(comme donnée achevée du ius)
ainsi que sa fonction dans le cadre général du ius publicum[25]. En
s’appuyant sur la terminologie et l’étymologie latine
(notons qu’à l’inverse de l’allemand Volk, « peuple » provient du
latin populus), on peut ici
présenter le concept de populus dans
ses grandes lignes, un concept juridique visiblement oublié au cours de
l’histoire humaine. Se faire une idée de la solution romaine sur
la foi de ce qu’il nous reste (et un peu d’étude),
c’est nécessairement aspirer à la totalité de
l’information; c’est se contraindre à
l’objectivité car toute sélection est subjective, au
service de ce qui doit être à moment donné. Cette
opération de remontage est bien connue en archéologie -
c’est l’anastylose (gr. anastellein:
remonter) - mais elle est aussi employée dans les sciences humaines,
notamment depuis M. Foucault (l’archéologie du savoir).
7. –
L’écart entre peuple et populus
peut être porté à sa plus grande amplitude si l’on
choisit - en mettant des œillères (recommandation de Max Weber) -
de se passer provisoirement des intermédiaires de l’histoire du
droit[26] pour
appréhender véritablement, sans le truchement explicatif et
souvent rassurant des échelles de gris, le saut réalisé
entre les juristes romains et le droit actuel. Plus exactement entre le Corpus iuris (qui contient la position
des jurisprudents romains - la Iurisprudentia)
et ce que, avec neutralité, on appellera la « doxa »,
c’est-à-dire l’ensemble des opinions
généralement admises, convenues aujourd’hui sur tel sujet:
opinions enseignées, professées, donc aisément
identifiables dans la manualistique (qui est un reflet de la « doctrine
»[27]). Il
s’agit d’un procédé (à strictement parler)
plutôt « extrémiste » puisque ce qui est
recherché, c’est la confrontation des extrêmes dans le temps
pour faire ressortir, certes les continuités plus ou moins trompeuses,
mais surtout les décalages (moins perceptibles si l’on historicise).
Des extrêmes (des plus anciens aux plus modernes) mais surtout des
extrêmes quant aux propriétés, aux qualités
respectives: le système du ius
(système du bon et de l’équitable[28]) et
l’ordre du droit - ius ne
pouvant raisonnablement être traduit par « droit » sans
passer complètement à côté du système. Se
limiter à cette présentation de deux tout synchroniques - un peu
comme deux langues dans la théorie structuraliste (F. de Saussure[29], G.
Dumézil[30]) - permet
de s’émanciper de tout diachronisme: on resserre ainsi
l’analyse sur la technique, ce qui permet de raisonner en absolu.
8. –
S’interroger sur la structure dogmatique d’une catégorie
juridique revient à présenter les éléments
constitutifs (constants) de cette catégorie[31]: ce qui
est la marque du juriste comme de la condition de son application mentale sur
tel ou tel cas de la pratique[32]. Deux
exemples du droit privé suffiront à rappeler la portée de
ce mode opératoire inhérent à la discipline: 1) La novation,
bel instrument du droit dont la complexité s’évanouit
dès l’instant où l’on s’assure de quelques
grands points: une nouvelle obligation (donc l’extinction de
l’ancienne), un élément d’innovation (respectivement
à l’ancienne obligation, ce peut être un nouveau
débiteur), la conservation de l’objet du premier contrat. 2) Le
mandat, dont la structure de base peut se résumer ainsi: consentement
mutuel (pour la genèse de l’obligation), bonne foi (pour
l’accomplissement des affaires), révocabilité (dès lors
que l’obligation n’a pas encore été
exécutée), gratuité (si le service est rendu à
titre onéreux, on tombe selon Gaius dans un autre type
d’obligation et par suite dans une autre catégorie: le louage de
service[33]). Quand
bien même une structure donnée ne serait-elle pas absolument
stable dans le temps (pour des raisons sociales et économiques
notamment, comme c’est le cas pour le mandat[34]), cette
approche de la matière donne toute sa spécificité au
droit: sa spécificité comme sa distinction scientifique puisque
ce sont ses propres règles de l’art, sa « grammaire »
pourrait-on dire, qui vont le tenir à distance (respectable) de ce qui
n’est pas droit: histoire, politique, sociologie, idéologie, etc.
Aussi postulons pour la suite que si telle ou telle notion est une
catégorie du droit, c’est qu’elle dispose (comme la novation
ou le mandat) d’une structure scientifiquement établie[35]. Son
éventuelle dimension publique n’autoriserait d’ailleurs pas
qu’elle s’émancipe de ce critère[36]; au moins
est-ce comme cela que les juristes romains semblent avoir conçu leur ius publicum, si l’on s’en
tient au traitement scientifique qu’ils ont réservé au populus. Face à ces redoutables
ingénieurs, les constitutionnalistes modernes restent de grands
romantiques marqués par le XIXe siècle et son idéalisme
philosophique[37] - ce qui
rend urgent que soient communiqués aux contemporains les cadres
d’exposition et d’enseignement anciens[38].
9. –
J’en viens donc à la structure dogmatique du populus selon les juristes romains, en « ius ». Quels sont les éléments constitutifs de
la catégorie? Au Corpus, les
sources déclinent le concept en fonction d’une vingtaine de
clés terminologiques (qui sont autant d’attributs de la
catégorie attestant de sa forte structuration). Je serai volontairement silencieux
sur la doctrine romaniste et ses discussions pour mieux mettre en relief les
points de droit individualisés par les Romains eux-mêmes
d’une façon si perspicace qu’on ne peut douter qu’il y
ait scientifiquement une « vue » latine du peuple: le populus. Les termes latins
rapportés à populus sont:
cives (citoyens), corpus (corps, terme associé
à universitas), ius (droit, si l’on
s’entête ainsi à traduire le latin car le mot n’a bien
évidemment pas la même amplitude), lex (loi, associé à consuetudo et au couple voluntas/consensus), libertas (liberté, associé en négatif à
rex), magistratus (associé à provocatio et à potestas),
maiestas (associé à deus), religio (associé à ius) - mais aussi actio (popularis), vox (et adclamatio), imperium (et lex de imperio). Pénétrer au cœur de chacune de
ces données (qui sont à lire comme autant de conditions pour
qu’il y ait juridiquement situation de populus) implique un traitement encyclopédique (mais non
moins concis) qui justifiera que l’on empiète sur d’autres
sources et que l’on aborde le sujet de façon globale - comme,
semble-t-il, s’y sont employés les maîtres romains. Le
relevé qui suit pourra sembler aride aux spécialistes du droit;
s’y trouve précisément la sécheresse et la raideur
du vieux génie juridique latin.
10. – V° CIVES. Le populus, c’est l’ensemble des citoyens pris
concrètement (universi cives, tous les citoyens), donc une somme
arithmétique de personnes physiques, d’hommes concrets[39]. En cela, populus est une catégorie personnelle
et civile (ni morale[40] ni
étatique[41]). V° CORPUS (terme associé à UNIVERSITAS[42]). Le populus est conçu comme un corps
(ou, ce qui est la même chose juridiquement, comme une «
universalité » de personnes: c’est-à-dire une
unité dont l’existence même en tant qu’ensemble se
trouve matériellement fondée sur une collectivité de
personnes singulières: voir précédemment universi cives). Très clair sur
ce point est le juriste Pomponius quand il explique que le populus est l’exemple d’une pluralité
d’éléments non indépendants les uns des autres mais
réunis sous un seul nom (nomen)
et formant en cela corpus:
c’est à son avis le cas du populus
mais aussi de la légion (legio)
et du troupeau (grex)[43]. A priori,
les sources ne vont pas plus loin: le populus
n’est pas formellement associé - mais c’est trompeur (voir infra) - à cette espèce
technique d’universitas qu’est
la societas, comme elle l’est
chez Cicéron quand il définit le terme populus[44]; le
rapport populus/persona n’apparait pas non plus même si, selon B. Albanese[45],
l’idée de personne collective
pour penser l’association de personnes aurait pu être implicite
chez Ulpien (lequel s’en tient à opposer l’homme comme persona singularis aux associations de
personnes[46]). Quoi
qu’il en soit, de tout cela retenons provisoirement qu’aucune
idée d’entité, c’est-à-dire d’être
abstrait (forgé par le seul esprit et délié en cela de la
réalité), ne paraît ici investir les notions romaines de
corps et d’université[47].
L’homme théorique semble être depuis passé par
là[48].
11. – V° IUS. Le populus a un ius qui lui
est propre (ius proprium), au sens:
qui est sien, spécial aux citoyens qui le constituent[49]. Cette
matrice civile du ius - pour ne pas
dire origo (car populus est aussi l’origine du ius[50]) - est le
support technique de l’autonomie du populus
(entendue étymologiquement comme sa capacité à poser ses
propres normes de conduite). Ce
rapport dans la civitas entre populus et ius embrasse toutes les formes de production de ce ius: non écrit (non scriptum: mœurs, coutume) et
écrit (scriptum) - avec, en
première ligne des iura populi (notons
le génitif), le populus dans
sa formation comitiale (la lex)[51]. Bref,
pour souligner l’enracinement de populus
dans la physique, nous dirons que ius
est en droit romain tout autant lié à iustitia[52] qu’à populus - peut-être ses deux grands termes de
référence. V° LEX
(associé à CONSUETUDO et
au couple VOLUNTAS/CONSENSUS). La lex, de Gaius à Justinien, est ce que le populus - l’ensemble des citoyens
- commande et établit[53]
(définition à rapprocher de celle de Papinien: la lex est la sponsio, l’engagement solennel commun de ce ceux qui forment respublica[54]). De
façon cohérente, le jurisconsulte Julien insiste sur
l’identité (du point de vue de l’obligation) entre la loi et
la coutume (consuetudo) sur la base
du concept de populus: de même
que la lex ne nous tient (nos) que parce qu’elle a
été reçue par le jugement du peuple, ce qui a
été approuvé par le populus
nous oblige tous (omnes) - donc
quelle que soit la manière (expresse ou tacite) dont le populus a exprimé sa voluntas, son consensus (en l’occurrence: le consensus omnium, celui de toutes les parties formant le corps de
la cité)[55].
C’est toute la structure de l’obligation contractuelle du droit
privé[56] que
l’on retrouve ici formulée par la Jurisprudence (notamment au
titre 3 du Livre I du Digeste dédié aux lois et coutumes[57]). A titre
de conclusion: le « droit civil » ne peut être affranchi du
« peuple », sinon ce n’est pas du « droit civil
». Et il faudra bien qu’un jour les civilistes expliquent ce qui
les fonde à évacuer le peuple de leur discipline.
12. – V° LIBERTAS (associé en
négatif à REX). Le populus est liber quand, conformément au droit privé[58], il
n’est pas soumis à la potestas
d’autrui (d’un autre peuple par exemple: hypothèse de Proculus[59]). De son
côté, Paul distingue, en les opposant, les catégories de populus liber et de rex[60] - ce qui
implicitement, du point de vue romain, renvoie à l’association populus (liber)/res publica, donc
à la capacité pour une pluralité d’hommes, les citoyens,
de se gouverner eux-mêmes suivant un mécanisme sociétaire
de coopération/participation. D’ailleurs, selon Pomponius, le populus Romanus ne se libère du rex
que sur le fondement d’une résolution collective, une lex d’expulsion[61]. V° MAGISTRATUS (associé à PROVOCATIO et à POTESTAS). Toujours selon Pomponius,
c’est pour que le magistratus
républicain ne revendique pas pour lui la puissance du rex (qui serait privative de la
liberté de la cité) que la lex
a institué la provocatio (ad populum) afin que, sans l’ordre du populus, il ne soit pas possible de condamner l’un de ses
membre (civis)[62]. Selon
Paul, les magistrats sont à considérer « en la puissance
» du peuple (en sa potestas)
sur le modèle intra-potestatif du fils de famille ou de l’esclave
vis-à-vis du père ou du maître[63]: ce qui
signifie que, à l’inverse de la théorie étatique de
la magistrature, le « chef » reste le peuple et les magistrats, de
même que l’actor ou le syndicus pour une société
de personnes, sont les « gestionnaires » de la res publica - les « gestionnaires sociaux » si
l’on peut dire en anticipant la suite du développement. Bref: si
le peuple ne peut pas se prononcer sur la cité, il n’est pas
libre; et si les magistrats ne lui rendent pas compte de leur gestion, il y a
inversion des rapports de soumission.
13. – V° MAIESTAS (associé à DEUS). Maiestas marque la grandeur, l’élévation - la superioritas écrit Proculus - du populus Romanus[64]. Cette
qualité supérieure (mais qui, en raison du génie romain
pour les classifications et les hiérarchies, ne peut
s’apprécier que comparativement[65]), populus ne la partage qu’avec deus: la maiestas dei est servie par les prêtres selon Paul[66]. On
pourrait donc dire que les magistrats servent eux la maiestas populi - office républicain qui fonde leur propre maiestas comme maiestas dérivée et subordonnée (au point,
célébré par Tite-Live, que les faisceaux des licteurs
précédant les magistrats soient abaissés devant
l’assemblée du peuple[67]). Ainsi maiestas, comme attribut
privilégié du populus,
place ce dernier au plus haut dans la cité; populus est pour cette raison la catégorie dogmatique la
plus élevée du système. Depuis le supérieur a
été transporté du domaine des personnes (les dieux, le
peuple) à celui des choses[68]: car
qu’est-ce que l’Etat dans la pratique, sinon un instrument
laïc de souveraineté continue à disposition de personnes
fongibles (les gouvernants)? V° RELIGIO
(associé à IUS). Le
populus est dans un rapport juridique
continu avec la religio (et le
passage du polythéisme au monothéisme donne l’occasion aux
Romains de penser, non pas seulement en termes d’abrogation, mais de
continuité avec les anciennes coutumes juridico-religieuses): selon Marcien, le légat du
peuple romain a (comme le tribun de la plèbe) une dimension sainte qui
le rend juridiquement inviolable[69]; selon
Justinien, ce qu’écrit Julien sur la coutume–volonté
tacite du populus
(supériorité de la coutume de la ville de Rome en tant que caput orbis terrarum) doit surtout
s’entendre pour Constantinople-nouvelle Rome qui, par disposition
favorable de Dieu, a été fondée sous de meilleurs augures
(c’est-à-dire sous de meilleurs signes que ceux de
l’ancienne Rome)[70]. Dans un
sens plus systématique[71], rappelons
que la volonté humaine (populaire ou impériale) trouve une limite
juridique et religieuse dans le ius même
et donc dans la iustitia - laquelle
est au sommet du système juridique, avec les jurisconsultes
l’observant comme prêtres (sacerdotes
iustitiae)[72]
(l’empereur Justinien lui-même, iuris
religiosissimus[73]).
14. – V° ACTIO (POPULARIS). L’action populaire, cette action qui «
protège le propre droit du peuple » (suum ius populi tuetur, Paul[74]), est
ouverte à n’importe quel citoyen à son avantage et à
celui de la communauté dont il relève. Ce type d’action[75],
difficilement saisissable et récupérable dans l’univers
juridique actuel fondé sur la séparation nette - qui n’est
pas d’origine romaine[76] - entre
les sphères privée et publique, entre le « sujet de droit
» d’un côté et l’ « Etat » de
l’autre, met au contraire en relief toute la dimension « civile
» (au sens plein du mot: civitas
→ civis, cives → populus) du système juridique romain,
à côté de ses autres aspects (naturel et humain)[77]. V° VOX (et ADCLAMATIO). Le populus a
une voix (vox); il peut
émettre des cris, des clameurs (adclamationes)
pour louer ou blâmer[78], ce qui
atteste de sa capacité en ius
à s’exprimer directement, physiquement[79] - en
deçà d’une forme juridique précise comme peut
l’être la loi (lex). La
catégorie populus est donc
bien humaine, vivante et animée - en un mot: corporelle[80].
15. – V° IMPERIUM (et LEX DE IMPERIO). Enfin, élément décisif de la
structuration dogmatique du populus, l’imperium populi Romani: le commandement suprême du peuple
romain. Le fait qu’à Rome, ce soit le corps des citoyens qui soit
reconnu disposer de l’imperium
est indiscutable au regard des sources, de Tite-Live à Justinien en
passant par Auguste[81]. De
façon cohérente, le populus
communique son empire à des personnes physiques (les magistrats
républicains) par le biais d’une loi d’investiture
votée en comice: la loi curiate de l’empire (lex curiata de imperio)[82]. Ce
mécanisme d’attribution de l’imperium détermine par la suite l’essence même
la magistrature impériale[83], et ce
jusqu’à Justinien. Le Corpus
Iuris mentionne à plusieurs reprises la « loi de
l’empire » (donc l’imperium
transmis par la lex) comme
fondement populaire du pouvoir impérial de produire des actes ayant par
eux-mêmes force de loi (Pomponius, Gaius et surtout Ulpien[84]).
L’adjonction de ius et de potestas (droit et puissance du peuple)
aux côtés d’imperium[85] rend
peut-être compte de la « spécialisation » normative du
vieux mécanisme sous l’empire.
16. –
D’autres termes seraient certainement utiles à la restitution
complète de la catégorie populus,
notamment l’ensemble touchant la défense/résistance
populaire: tribun (de la plèbe), sécession (de la plèbe),
défenseur (de la cité)[86] - des
institutions spécifiquement romaines que la distribution terminologique
du Corpus ne rattache toutefois que
secondairement au populus, et pour
cause (plebs; civitas). Pour mémoire (promemoria),
et en s’en tenant ici à quelques attributs saillants de
l’épitomé, nous dirons que pour qu’il ait
rigoureusement situation de populus
en ius publicum (romanorum), il faut que la catégorie soit:
une catégorie de personnes |
CIVES |
une catégorie sans maître la catégorie du commandement
suprême |
LIBERTAS IMPERIUM |
la catégorie la plus
élevée du système |
MAIESTAS |
Si l’on
souhaite une liste plus exhaustive des éléments constitutifs de
la catégorie, on pourra dire (en schématisant malheureusement les
idées en français) qu’il s’agit d’une
catégorie « civile » (CIVES),
« corporelle »[87] (CORPUS), « autonome » et
« juridique » (IUS),
« volontariste » et « légale » (LEX), « sans maître »
(LIBERTAS), « potestative
» (MAGISTRATUS), «
supérieure » (MAIESTAS),
« juridico-religieuse » (RELIGIO),
« actionnable » (ACTIO),
« animée » (VOX)
et « impérative » (IMPERIUM).
Ce petit inventaire rend compte, du point de vue technique, de ce que le jeune
Hegel[88]
définissait au tout début du XIXe siècle (dans Die Verfassung Deutschlands) comme le
système gréco-romain de la « participation », du
« concours » (Mitwirkung)
— voire de la coopération — du peuple au gouvernement (dans
sa reconstruction, la deuxième forme de l’esprit universel
après le « despotisme » oriental), système à
son avis dépassé dans l’histoire par celui de l’
« organisation » (Organisation)
germanique parachevé par et dans l’Etat moderne[89].
17. –
A en juger par l’exigence et la cohérence de sa structure, populus a, si l’on
s’autorise l’anachronisme, tout d’un impératif
catégorique du ius[90]. Aux yeux des
juristes romains, c’est un concept fort, peu malléable. Pourquoi
a-t-il été oublié en droit? car c’est peu dire que
la notion, en devenant « peuple », a été
débarrassée de ses attributs. A l’évidence parce que
la catégorie de populus,
sortie du Corpus Iuris comme
Athéna parût toute armée du cerveau de Zeus, ne fut pas
assez « docile » pour être accueillie telle quelle -
c’est-à-dire en majesté, « ce caractère de
grandeur qui fait révérer les puissances souveraines »[91] - dans la
publicistique rationnelle qui a choisi, jusqu’à aujourd’hui,
d’intellectualiser la notion pour mieux la faire sienne[92] (et, ce
qui est ici la même chose, pour la « réceptionner » en droit). En l’espèce,
l’altération - rendre autre (alter)
- s’est opérée par soustraction[93], ce qui a
débarrassé, abstrait le peuple de son contenu originel, ce qui a
fini par altérer la forme juridique elle-même: contre les leurres
de la traduction ayant cours aujourd’hui tant en droit privé
qu’en droit public, il faut dire que « peuple » est tout
autre que populus (ce sont comme de
« faux amis »: de même que « mandat » ne recoupe
guère le mandatum[94]). Mais
cette explication, que l’on pourrait mettre sur le compte du
développement scientifique (et de l’histoire des sciences,
notamment sociales et économiques), cache peut-être un aspect plus
idéologique: publicistes et politistes ont en effet compris depuis
longtemps que le peuple est le point précis où il s’agit de
produire l’effort intellectuel - le Schwerpunkt - pour établir, fonder et
structurer en droit l’« organisation » de la personne fictive
(l’Etat). Car qu’est-ce qui est susceptible de contrarier le plus
la souveraineté de l’Etat si ce n’est la majesté du
peuple (et des dieux)?
18. –
Ainsi, quand les juristes romains exposent le concept de populus d’une façon scientifique, presque clinique
(comme des ingénieurs du ius),
la manualistique donne en comparaison le sentiment qu’elle ne «
réceptionne » la notion qu’avec embarras: de là ses
automatismes idéologiques, affectifs, moraux - ce qui est
préjudiciel pour la science juridique. Mais elle peut se le permettre
car le peuple a, en substance, disparu du droit, en a été
évincé (au contraire du populus
selon le ius). On invoquera certes
l’histoire politique moderne et contemporaine pour rendre compte de la
virtuosité (formelle) avec laquelle le droit s’est finalement
montré capable d’absorber et de faire sienne la donnée. Le
principal n’est pourtant pas là: en enregistrant
l’expulsion, quitte à la justifier (en utilisant toutes les
conventions actuelles à disposition: le réalisme,
l’efficacité… la liberté aussi), la manualistique
actuelle fait tout simplement son travail, accomplit ce pourquoi elle est
appelée (Beruf)[95], celui de
professer la Staatslehre - donc la
personnalité juridique (et morale!) par excellence du droit public.
19. –
Démantèlement historique du « peuple » en ius, certes, mais on saurait pour cette
raison conclure au remplacement historique, comme dans l’ordre des choses,
d’une construction (humaine) par une autre. C’est là une
perception moderne, on dira « constructiviste »
(construction/déconstruction), des données à disposition:
une lecture qui, même très précieuse et bien utile
(archéologie, anastylose), n’a pas de résonnance dans la
science juridique. Car c’est une chose de constater l’ «
évolution » (plus exactement: d’apprécier les
transformations sous le prisme de l’évolutionnisme), c’en est
une autre que de changer le sens des mots. On pourra argumenter que les mots
doivent refléter la réalité positive de
l’époque (cette tendance a bien sûr cours chez les juristes)
mais l’on se heurtera toujours au roc, pour ainsi dire «
grammatical », des termes juridiques et des concepts qu’ils
contiennent: les termes, « première et élémentaire
dogmatique juridique » (B. Biondi). Il s’agit là
assurément d’un obstacle à la construction qui implique au préalable de
déconstruire le sens objectif des mots, à les soumettre à
nos modes sinon à nos fantaisies - bref, de changer la grammaire. De
là les erreurs du point de vue de la dogmatique juridique (en se
rappelant que l’error est en
droit la croyance contraire à la vérité qui rend nul ce
qu’elle entache)[96]. On
l’aura compris: la comparaison entre populus
et « peuple » est aussi - si ce n’est d’abord -
à appréhender dans cette perspective sémantique[97].
20. –
En se référant à ce qui a été
individualisé (le système « populus » dans la compilation justinienne), on pourra
rassurer ceux qui doutent de l’existence du peuple: une catégorie
juridique est bel et bien disponible en doctrine[98]! Une efficace présentation de la
catégorie peut d’ailleurs être rappelée, celle du Lexique d’histoire et de civilisation
romaines, V° RES PUBLICA:
« La notion romaine de Res Publica,
ne désigne pas la République au sens moderne du terme, ni
même l’Etat; elle est la ‘chose du peuple’, par
opposition au privé (res privata),
et désigne ce peuple comme une organisation politico-juridique où
chaque citoyen, par son étroite union à la communauté, est
solidaire des autres, et se voit ainsi garantir sa propre liberté et en
même temps celle de l’Etat »[99]. Aussi le
« peuple » de notre ordre juridique constitutionnel, à
strictement parler, n’en est pas un: c’est autre chose, chose
qu’il s’agirait d’ailleurs de nommer. Car le
célèbre argument du juriste Gaius sur le mandat reste valable. En
substance: si tu prévois une rémunération dans le cadre
d’un mandat, c’est en soi possible, mais il s’agit alors
d’une autre obligation, d’une autre catégorie, en
l’occurrence le louage de service (contrat de travail). Bref,
s’agissant de la catégorie « peuple », il semble que
l’argument historique et linguistique — en un mot: humaniste
— soit bien usé et arrivé à son point
d’exploitation maximale, à sa butée: en toute rigueur, la
science historique (traditionnellement encline à répondre aux
dernières sollicitations à des fins justificatrices) ne permet
pas d’aller plus loin. Et par chance, la science juridique des Romains
(le ius associé au droit
comparé dans le temps) permet de repérer ces petites erreurs
accumulées du droit: ce qui implique qu’il n’y ait pas tant
une vue latine du peuple (opposée à une vue germanique)[100] mais
plutôt, et dès l’instant que l’on parle du «
peuple », une seule signification possible, cohérente, solidaire
du point de vue juridique (ius) au
latin populus. Et invoquer
l’équivoque du mot[101] comme seul
argument suppose scientifiquement qu’on ait tenu compte d’une
erreur juridique produite par l’histoire: error felix!
21. –
Insistons et précisons: sous le mot populus,
c’est toute une technologie — une haute technologie — qui est
présente et à disposition. Cette technologie (publique) est
conditionnée, du point de vue juridique, au droit (privé) des
obligations et plus spécialement au contrat consensuel de société
(societas)[102]. Elle est
une réponse aux questions traditionnelles que pose l’association
de plusieurs personnes entre-elles: 1. qu’est-ce que forme ce
regroupement humain? 2. quelle est la modalité de formation de la
volonté de ces associés? Les solutions techniques données
par les anciens ingénieurs latins - à strictement parler: des
solutions sociétaires (respectivement, corpus et consensus →
volonté[103]) - livrent
le sens profond, juridique et appliqué, du terme populus. Dans notre droit moderne et contemporain, les
réponses (d’origine médiévale[104]) se sont
déplacées du droit des obligations au droit des personnes
juridiques (respectivement, persona ficta
et repraesentatio[105]); deux
catégories - l’Etat-personne[106] et la
représentation[107] - qui
suggèrent parfaitement bien la construction tant fondamentale
qu’appliquée attachée au « peuple ». Ce qui
confirme, sans appel possible nous semble-t-il, que populus ne puisse pas/plus être sérieusement traduit
par (et fondu dans) « peuple » (mais aussi par « Volk
», « popolo », « pueblo », « people
»)[108]: ce serait
s’en tenir à la surface des choses, aux apparences, et nier
l’intérieur à la manière des scribes et des
pharisiens hypocrites décrits par l’apôtre Jean[109].
[I contributi della
sezione “Memorie” sono stati oggetto di valutazione da parte dei
promotori del Seminario e dei curatori della sezione, d'intesa con la direzione
di Diritto @ Storia].
[1] Principes de la philosophie de
l’histoire, traduits
de la Scienza nuova de J. B. Vico, Paris, 1827 (traduction française
de Jules Michelet). On ne présentera pas ici le « système
» de Vico. En guise de repères, on livrera néanmoins
quelques clés, celles que Michelet lui-même avait livrées
à son lecteur en 1827: « Répétons donc ici le
premier principe de la Science nouvelle: les hommes ont fait eux-mêmes le
monde social, tel qu’il est » (XLII); « La philologie,
science du réel, science des faits historiques et des langues, fournira
les matériaux à la science du vrai, à la philosophie. Mais
le réel, ouvrage de la liberté de l’individu, est incertain
dans sa nature. Quel sera le criterium,
au moyen duquel nous découvrirons dans sa mobilité le
caractère immuable du vrai?... le sens commun, c’est-à-dire
le jugement réfléchi d’une classe d’hommes,
d’un peuple, de l’humanité; l’accord
général du sens commun des peuples constitue la sagesse du genre
humain. Le sens commun, la sagesse vulgaire, est la règle que Dieu a
donné au monde social» (XV-XVI); «La langue héroïque employa pour noms
communs des noms propres ou des noms de peuples. […] Cette tendance des
hommes à placer des types idéaux sous des noms propres, a rempli
de difficultés et de contradictions apparentes les commencements de
l’histoire. (XXIII-XXIV).
[2] Histoire romaine, Paris, 1831. Dans la Préface de ce livre (datée de 1866),
Michelet revient sur l’esprit qui l’animait à
l’époque, à trente-trois ans: « Je marchais seul,
inexpérimenté, mais très riche de faits et
d’idées, plein d’un grand souffle. Il me semblait sentir en
moi la grande âme des morts. De mon Vico j’avais gardé un
mot profond qui est la vraie lumière moderne:
‘L’Humanité est son œuvre à
elle-même’. C’est-à-dire: Les peuples se font, vont en
se créant de leur énergie propre, s’engendrant de leur
âme et de leurs actes incessants. […]
‘L’humanité se fait’, cela veut dire encore que les
masses font tout, que les grands noms font peu de chose, que les
prétendus dieux, les géants, les titans (presque toujours des
nains), ne trompent sur leur taille qu’en se hissant par fraude aux
épaules dociles du bon géant, le Peuple » (1-2 de
l’édition Belles Lettres, Paris, 2003).
[3] «
Les catégories juridiques sont des compartiments de base de la science
du droit. Elles forment la matière élémentaire du
système juridique » (G.
Cornu, Droit civil. Introduction
au droit13, Paris, 2007, 104).
[4] Pour une
histoire intellectuelle, juridique, des rapports entre le peuple et
l’Etat depuis le Moyen Age jusqu’à l’époque
moderne, l’essai de O. von Gierke
(Johannes Althusius und die Entwicklung
der naturrechtlichen Staatstheorien, Breslavia, 1880 = trad. it. Giovanni
Althusius e lo sviluppo delle teorie politiche giusnaturalistiche, Torino, 1943) reste une
référence précieuse. D’autant plus
que les manuels français d’histoire du droit et des institutions
ne traitent traditionnellement pas l’argument (en raison peut-être
de leur approche institutionnelle): pour exemple A. Rigaudière, Introduction
historique à l’étude du droit et des institutions,
Paris, 2001, ouvrage développant tour à tour l’Empire,
l’Eglise et l’Etat – autant de grandes charnières de
l’histoire monumentale. Voir aussi sous de multiples aspects (notamment
pour le fief et la ville), J.-L.
Harouel-J. Barbey-E. Bournazel-J. Thibaut-Payen, Histoire des institutions de l’époque franque à la
Révolution, Paris, 1987.
[5] Pour le droit
positif français, on peut provisoirement se limiter à quelques
articles biens connus de la Constitution de la Ve République (1958):
art. 3 al. 1: « La souveraineté nationale appartient au peuple,
qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum
»; article 2, al. 6: « Son principe [de la République] est:
gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Voir
généralement Les
Constitutions de la France depuis 1789 (présentation par J.
Godechot), Paris, 1989, 410 ss.
[6] La notion
d’ « ordre » (lat. ordo,
ordinis, rang) communique avec la
« structure » ainsi entendue: l’ordre, c’est la
manière dont les éléments d’un ensemble
organisé sont placés les uns par rapport aux autres, leur
disposition, leur arrangement. De là, l’ordre comme principe qui
va déterminer le rang de chacun des éléments dans une
succession donnée. Du point de vue juridique, ce détail ne change
rien à l’opposition radicale – mais
généralement effacée par les spécialistes qui,
comme H. Kelsen, font le plein emploi de la synonymie – entre «
ordre juridique » (dont le critère de validité est
l’effectivité) et « système juridique » (qui
n’a pas besoin d’être effectif au sens moderne du droit pour
être « valide »). Pour un développement de la
question, voir P. Catalano,
« Identité de la Méditerranée et convergence des
systèmes juridiques », Aspects
1, Paris, 2008, 27-41.
[8]
C’est en substance la définition de l’Etat donnée par
les dictionnaires juridiques. Pourtant, cette définition est aussi
très sociologique. Par exemple, le Lexique
des termes juridiques, Dalloz,
1990, 221, opère plusieurs distinctions: « 1° Au point de vue
sociologique, espèce particulière de société
politique résultant de la fixation sur un territoire
déterminé d’une collectivité humaine relativement
homogène – V. Nation
– régie par un pouvoir institutionnalisé comportant le
monopole de la contrainte organisée (spécialement le monopole de
la force armée). 2° Au point de vue juridique: personne morale
titulaire de la souveraineté. 3° Dans un sens plus étroit et
concret: ensemble des organes politiques, des gouvernants, par opposition aux
gouvernés […]. 4° Selon la conception marxiste: appareil
d’oppression au service de la classe dominante; en régime
capitaliste, instrument de la bourgeoisie en vue de l’exploitation du
prolétariat ». Cette question de la définition est
traitée plus en profondeur par F. Poirat,
V° « Etat » au Dictionnaire
de la culture juridique (sous la direction de D. Alland et S. Rials),
Paris, 2003, 642-648.
[9] Par
exemple P. Ardant-B. Mathieu, Institutions politiques et droit
constitutionnel22, Paris, 2010, 59: « Tous les Etats du monde ont une
constitution. L’un des premiers gestes d’un nouvel Etat est de se donner,
avec un drapeau, un hymne et une monnaie, une constitution. Pourquoi? La
constitution présente à la fois une valeur symbolique, une valeur
philosophique, une valeur juridique ».
[10] J. Gicquel-J.-E. Gicquel,
Droit constitutionnel et institutions politiques20,
Paris, 2005, 51-79. D’autres « cadres » participent
néanmoins à ce « classicisme » constitutionnel:
l’individu, la représentation, les élections
disputées, la constitution bien sûr et la démocratie
(81-199).
[11] V. Constantinesco-S. Pierré-Caps, Droit constitutionnel4,
Paris, 2009, 7-8, semblent convaincus: « Si la forme politique de
l’Etat s’est lentement imposée au monde entier (en
dépit des cultures et des histoires propres de chaque civilisation),
c’est par les avantages que cet agencement pouvait apporter tant aux
dirigeants qu’aux populations, jusqu’à paraître
aujourd’hui une forme immuable et indiscutable. L’Etat nous est
tellement familier qu’on a du mal à imaginer que l’humanité
ait vécu pendant des millénaires sans lui, comme on a du mal
à imaginer que l’Etat que nous connaissons aujourd’hui se
transforme radicalement, voire même puisse un jour disparaître
».
[12] Dogme (gr.
dogma, opinion): point fondamental et
considéré comme incontestable d’une doctrine religieuse ou
philosophique. Cf. L. Gagnebin-R. Picon,
Le protestantisme, Paris, 2005, 164
ss. pour les origines grecques de la dogmatisation dans l’Eglise: «
Les théologiens chrétiens ont utilisé, pour inscrire
l’Evangile dans leur temps, les catégories grecques dont la plus
appropriée au message à transmettre fut le dogme. Ce fut un
effort tout à fait remarquable d’inculturation ou de
contextualisation réussie et grandiose, la synthèse du
christianisme avec la philosophie grecque (Platon via Augustin et Aristote via
Thomas d’Aquin, par exemple) ayant probablement permis alors
d’acclimater le christianisme à un monde qui, sans elle, aurait pu
l’ignorer ou le rejeter ».
[13] Même
très iconoclaste et orienté, le manifeste du jeune Paul Nizan (Les chiens de garde, 1932) est une analyse pertinente de la
question du rôle social de l’Université républicaine.
[14] De
antiquissima Italorum sapientia, ex linguae latinae originibus eruenda (trad.
fr. J. Michelet, 1835), Paris, 1993. Selon B.
Pinchard (présentation et notes de l’ouvrage), « le
but [de Vico] est clair, il s’agit de montrer que le latin
véhicule spontanément des conceptions que la Grèce
n’élaborera que plus tard et sans lien avec sa propre langue.
L’écart entre la langue et le concept est bien vu, mais cet
écart est conçu comme une anticipation par le latin d’un
savoir qui par ailleurs est celui
d’un concept. L’opposition que nous avons déjà
rencontrée entre les abstractions de la philosophie et le fondement
effectif du droit se présente ici, mais nous n’assistons
qu’au conflit de deux philosophies,
l’une qui est la philosophie des écoles, l’autre qui est
l’authentique sagesse. L’ouvrage s’attachera à
développer l’architecture de la sagesse induite de la langue
latine tout en proposant à cette occasion un critère de
vérité qui s’avère supérieur aux
critères de vérité des autres écoles
philosophiques. Le latin donnera ainsi accès à la fois à
une vérité nouvelle et à la méthode qui permet de
l’abstraire de l’histoire » (22-23).
[15]
C’est toute la question du devenir historique de la notion romaine de
sacerdoce (inséparable pour
les Romains de celle d’empire: sacerdotium/imperium) aussi bien dans et hors
l’Eglise catholique. La question est bien sûr largement
renouvelée au cours du XIXe siècle européen, notamment en
France sous la IIIe République quand une « doctrine d’Etat
» (expression de D. Parodi) est mise en place à l’aide de la
philosophie et de la sociologie. Un commentaire critique de Charles
Péguy nous replace immédiatement dans le contexte: « Quand
donc nos Français ne demanderont-ils à l’Etat et
n’accepteront-ils de l’Etat que le gouvernement des valeurs
temporelles?... Quand donc notre Etat, qui a déjà tant de
métiers, qui fabrique des allumettes et qui fabrique des lois […]
comprendra-t-il que ce n’est pas son affaire que de nous fabriquer de la
métaphysique… Nous avons le désétablissement des
Eglises. Quand aurons-nous le désétablissement de la
métaphysique? » (« De la situation faite au parti
intellectuel », Œuvres
Complètes de Ch. Péguy, volume III, Nouvelle Revue
Française, Paris, 1927, 166).
[16] A ce
sujet, on pourra se remémorer le discours latin prononcé en 1732
par J.-B. Vico devant l’Académie de Naples et intitulé De mente heroïca (De
l’esprit héroïque). L’extrait qui suit est une
traduction par J. Guehenno d’un passage de ce discours sur
l’importance de la philologie: « Le monde est dans l’ardeur
de la jeunesse encore. Ne désespérez pas, cœurs
généreux. Dans le vaste sein de la nature, dans le vaste empire des
arts, il est encore de grandes choses qui serviront un jour
l’humanité. Elles gisent jusqu’à ce jour
négligées, parce que l’esprit héroïque ne
s’est pas encore tourné vers elles. Jeunes hommes qu’attend
un beau destin, appliquez-vous à l’étude, d’un esprit
héroïque et d’un cœur courageux […] » (L’évangile éternel.
Etude sur Michelet, Paris, 1927, 59).
[17] On aura
recours ici à quelques-uns des manuels de droit constitutionnel et
d’introduction générale au droit aujourd’hui à
disposition (dont certains ont déjà été
cités plus haut): notamment D.G.
Lavroff, Le droit constitutionnel
de la Ve République3, Paris, 1999, D.
Turpin, Droit constitutionnel,
Paris, 2003, V. Constantinesco-S.
Pierré-Caps, Droit
constitutionnel4, Paris, 2004, J.
Gicquel-J.-E. Gicquel, Droit
constitutionnel et institutions politiques20, Paris, 2005, F. Hamon-M. Troper, Droit constitutionnel31, Paris, 2009, O. Gohin, Droit constitutionnel, Paris, 2009, P. Ardant-B. Mathieu, Institutions
politiques et droit constitutionnel2, Paris, 2010; G. Cornu, Droit civil. Introduction au droit13, Paris, 2007, P. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit12, Paris, 2008,
F. Terré, Introduction générale au droit8,
Paris, 2009 et P. Malaurie-P. Morvan, Introduction générale (droit civil)3, Paris, 2009.
[18] Même
si l’Etat, en tant qu’entité, n’aurait finalement pas
besoin de cette matérialité pour être, ce qui est logique en raison même de recours
à l’existence intellectuelle inhérente à
l’entité (esse - ens, entis
→ entité). Sur cette combinaison entre les notions (peuple,
population, nation, Etat), voir par exemple F.
Hamon-M. Troper, op. cit., 10-13 et différemment D.G. Lavroff, op. cit., 260-261
(éclaircissements conceptuels et historiques).
[19] Cf. les
développements critiques donnés par D. Turpin, op. cit., 189-210 (conceptions littérales
et libérales de la démocratie).
[20] Sur la
« répression » de la démocratie par la superstructure
de l’Etat, D. Turpin, op.
cit., 195.
[21] Y. Thomas, «
Mommsen et l’‘isolierung’ du droit », introduction à
la réédition du Droit
public romain de Th. Mommsen (trad. fr. P.-F. Girard, 1889-1896), Paris,
1984, vol. 1, 5-56.
[22]
Généralement V.
Constantinesco-S. Pierré-Caps, op. cit., 321-346 sur « Le
démos, substrat humain de l’Etat ».
[23] Et sans
faire un absolu de ce vocabulaire comme des ressorts idéologiques
qu’il présuppose. D’ailleurs, l’outil d’analyse
libéral est aussi le bienvenu pour appréhender le plus largement
possible l’historiographie depuis le XVIIIe siècle (de
l’anglais E. Gibbon à l’italien F. De Martino, en passant
par l’allemand Th. Mommsen):
consulter à ce sujet l’étude précise et
détaillée de V.
Giuffre’, Il ‘diritto
pubblico’ nell’esperienza romana, Napoli, 1977 (17-47: «
Il diritto ‘pubblico’ romano nella storiografia »).
[24]
C’est le cas de la plupart des manuels d’introduction
générale au droit (Cornu, Malaurie-Morvan, Malinvaud,
Terré). Absence peut-être plus grave encore dans certains manuels
de droit constitutionnel, qu’ils privilégient les purs
mécanismes juridiques et juridictionnels (Hamon-Troper) ou les
institutions politiques (Ardant-Mathieu).
[25] Ius publicum qui, malgré les apparences, ne recoupe pas exactement notre
« droit public » contemporain: d’ailleurs, les conceptions du
peuple « en ius » et
« en droit » sont différentes. Comme l’a écrit
il y a plus d’un siècle P.
Ellero, La sovranità
popolare, Bologna, 1886, 34, la conception que l’on a du peuple
change selon que l’on s’inscrit dans un système de droit
latin (ius) ou de droit
germanique (division simple et
très pertinente mais non moins critiquable s’agissant du recours
à la notion moderne de personnalité morale, voir infra): « Pour les Italo-Grecs, le
peuple forme une compagnie naturelle et une personne morale par excellence: il
est le maître de lui-même et de lui émane, avec la
cité, le gouvernement, lequel doit toujours lui rester soumis. Pour les
Germains anciens et modernes (comme le révèlent leurs
constitutions et leurs docteurs), le gouvernement est une création
étrangère ou une puissance qui survient de son propre mouvement
et qui obtient l’adhésion volontaire ou involontaire des sujets
».
[26] Ce qui ne
signifie pas qu’il faille ignorer cet « entre-deux », bien au
contraire: la méthode l’impose en quelque-sorte. De solides
traités (points d’entrée vers une bibliographie hyper
spécialisée) sont à cet égard incontournables: par
exemple, pour l’histoire du droit, J.
Gaudemet, Les naissances du droit.
Le temps, le pouvoir et la science au service du droit, Paris, 1997 et,
pour l’histoire des institutions, F.
Saint-Bonnet-Yves Sassier, Histoire
des institutions avant 17894, Paris, 2011 (Ve siècle-1789: origines
médiévales et ancien régime) ou encore J.-M. Carbasse, Manuel d’introduction historique au droit2, Paris, 2002
(ouvrage historique et, en même temps, très au fait de la
modernité juridique: consulter à ce propre la troisième
partie de l’ouvrage (239 ss.) dédiée à la « La
naissance du droit contemporain »).
[27] Outre la
distinction à faire entre Iurisprudentia
(ensemble des opinions des savants en ius)
et la « jurisprudence » au sens actuel (ensemble des décisions
rendues par les tribunaux), il faut aussi distinguer la Iurisprudentia de ce que l’on appelle aujourd’hui
« doctrine »: la première est la science
(téléologique) du juste et de l’injuste (I. 1.1.1: …iusti atque iniusti scientia,
définition provenant d’Ulpien (cf. D. 1.1.10.2): bon commentaire
de D. Dalla, Note minime di un lettore delle istituzioni di Giustiniano. Libro I,
Torino, 1998, 31) quand la seconde est la « pensée des auteurs
» et par extension « l’ensemble des auteurs » (Lexique des termes juridiques8, Paris,
1990, 190).
[28] Ius est ars boni et aequi (Ulpien, D. 1.1.1 pr.), le bonus et
l’aequus étant ici
à concevoir comme deux catégories dogmatiques du ius lui-même: le « bon
» et l’ « équitable » en tant que
qualités objectives (la bonne foi, l’équilibre entre les
plateaux d’une balance ou les flots de la mer), tout en se rappelant
d’ailleurs que la fides
n’est pas étrangère à la possibilité pour le
juge de se décider « en équité » (iudicia bonae fidei).
[29] G. Mounin, op. cit., 30-31: « Saussure
(après sa mort) bouleverse la linguistique par une révolution
copernicienne. Il a posé que la première étape d’une
science du langage doit être l’étude du fonctionnement de
celui-ci, hic et nunc, et non pas
celle de son évolution. Et que la linguistique historique, dont il ne
conteste pas la légitimité, doit être
méthodologiquement seconde par rapport à une linguistique
descriptive plus fondamentale. Jespersen dira, en 1922, que ‘pour la pure
science du langage, commencer par le sanskrit [c’est-à-dire la
linguistique historique], c’était commencer par le mauvais bout,
autant que l’aurait été de commencer l’étude
de la zoologie par [et à travers] la paléontologie’.
C’est l’opposition célèbre entre linguistique
synchronique et linguistique diachronique ».
[30] Selon J. Scheid, Religion et piété à Rome, Paris, 2001, 100:
« ce faisant, Georges Dumézil, se permettait en outre de rompre
avec les méthodes philologiques et historiques. Il a mis entre
parenthèses, comme n’étant pas de son ressort, la tradition
aboutissant à la constitution d’un texte donné: c’est
le résultat, le texte final qu’il soumet à son analyse
».
[31] P. Pichonnaz, Les fondements romains du droit privé, Paris, 2008, 106,
évoque par exemple la « structure dogmatique » de la
servitude à Rome par identification de deux constantes (discutables par
ailleurs): 1. L’exclusion du servus
de la communauté de droit 2. L’assujettissement unilatéral
et absolu (voir aussi 200 pour la structure de la possession et 220 pour celle
de la propriété).
[32] Rapport
romain entre casuistique et dogmatique bien expliqué par E. Chevreau, Introduction historique au droit des obligations, Paris, 2007, 14,
l’auteur justifiant ainsi la nécessité d’une
étude des « catégories dogmatiques du droit des obligations
» (à commencer par la division entre contrat et délit):
« Le terme ‘catégorie dogmatique’ peut de prime abord
sembler déplacé dans un système juridique dominé
par la casuistique. Pourtant il traduit bien l’effort doctrinal –
unique par rapport aux autres droits de l’Antiquité –
amorcé par la iurisprudentia à
partir du Ier siècle av. J.-C. Il se concrétise par la conception
lente hésitante de classification des obligations selon leurs sources,
c’est-à-dire en fonction des actes ou des faits juridiques qui
leur donnent naissance. Cette appréhension intellectuelle –
à l’image du modèle philosophique de l’espèce
et du genre – se poursuit tout au long du droit classique avec un dernier
sursaut chez Justinien ».
[33] Gaius D.
19.5.22 (du mandatum à la locatio-conductio) et Gaius 3.162 (et
plus généralement sur le mandat 155-162).
[34] Evident
dès que l’on compare quelques-unes des grandes sources juridiques
de l’histoire sur le mandat: Institutes de Gaius (3.155-162), de
Justinien (3.27.1-13), Code Napoléon (1984-2010) et plus
récemment le Code civil italien de 1942 (1703-1730), lequel reprend et
complète les dispositions du BGB de 1900. Loin s’en faut toutefois
que ces raisons économiques et sociales ne constituent leur propre
justification du point de vue juridique.
[35] Voir U. Vincenti, Categorie del
diritto romano, Napoli, 2007, qui avertit ainsi son lecteur dès
l’introduction (XI): « Le categorie giuridiche fondamentali del
diritto occidentale derivano dal diritto romano: si tratta di categorie
precisamente definite, costruite con grande rigore logico, capaci di
rappresentate senza contraddizioni le varie entità normative. È
probabile che queste categorie siano, in certa misura, divenute inattuali; ma
per rinnovarle è imprescindibile averne piena padronanza e saperle
vedere, in un certo senso, ‘nude’, senza il corredo delle regole e
regolette che ne integrano il regime normativo. Inoltre, è necessario
avere consapevolezza del bene dell’ordine assicurato attraverso
l’affidamento del diritto a categorie costruite da giuristi sapienti e
affinate dalla tradizione consolidata. Da questo punto di vista non sembra
altrettanto funzionale l’affidamento del diritto a principi vaghi a
cominciare da quello, oggi in voga, della ragionevolezza ».
[36] Notons ici
que Hegel administra dans ses Principes
de la philosophie du droit l’une des critiques (institutionnalistes)
les plus sévères à l'égard des théories du
contrat social en assénant qu’il est absurde de transposer sur la
scène du droit public, l’Etat, des catégories issues du
droit privé comme le contrat (lequel suppose la propriété
privée): Principes de la philosophie du droit, Paris, 1975,
§ 75. Raisonnement philosophique et cohérent
généralement avec la philosophie de l’histoire
proposée par l’auteur (voir infra)
mais qui présuppose néanmoins 1. L’emploi du concept
moderne d’Etat 2. La distinction moderne public/privé. Ce sont
là deux postulats de la pensée libérale (et germanique)
inconnus de Rome et des juristes romains.
[37] Sur
l’approche intellectuelle du droit privé au XIXe siècle, voir
généralement J.-L. Halpérin,
Histoire du droit privé
français depuis 1804, Paris, 1996.
[38] On
pourrait ajouter: avant qu’ils ne meurent (socialement) comme le grec et
le latin. Voir sur ce point J. de
Romilly, Ecrits sur
l’enseignement, Paris, 1991.
[39] Gaius 1.3:
…quod populi appellatione universi
cives significantur. Définition reprise aux Institutes de Justinien:
I. 1.2.3.
[40] «
morale » au sens de personne morale: groupement de personnes ou de biens
reconnu constituer, par fiction du droit, une nouvelle personne (car disposant
de la « personnalité juridique »).
[41] «
étatique » car l’Etat est en droit une personne morale, une
personne qui se distingue des autres personnes morales et physiques -
c’est sa marque - de par sa « souveraineté ».
[42] Pour les
textes du Corpus associant populus à corpus et universitas,
voir généralement B. Albanese,
V° « Persona (storia-diritto romano) », Enciclopedia del diritto XXXIII, Torino, 1983, 180 (et à la
même page, n. 83).
[43] Pomponius
(D. 41.3.30), en se référant aux catégories de la logique
grecque, distingue dans ce passage trois espèces de corps selon la mixtura rerum que chacune d’elle
présuppose: 1. l’unité (l’homme, la poutre, la
pierre), 2. la cohérence (l’édifice, le bateau,
l’armoire), 3. Le nom, sous lequel plusieurs corps, plusieurs parties
distinctes, forment un ensemble composé et, pour cette raison, ne sont
pas disjoints les uns des autres (le peuple, la légion, le troupeau): Tertium, quod ex distantibus constat, ut
corpora plura non soluta sed uni nomini subjecta: veluti populus, legio, grex.
Voir aussi Alfenus D. 5.1.76 qui évoque le populus à la lumière de ce que nous appellerions le
« renouvellement cellulaire ». Comme la légion à ses
légionnaires et le navire à ses planches, le populus est à ses cives
ce que le corps est à ses parties: même après cent ans, et
quoique tous ceux qui vivaient alors n’existent plus, la chose
régénérée, conservée dans la même
espèce, est censée être la même. Sur ces deux textes,
voir récemment E. Chevreau,
« Quelques remarques sur la continuité des ‘personnes
juridiques’ en droit romain classique », Mélanges en l’honneur d’Anne Lefebvre-Teillard,
Paris, 2009, 218-231, particulièrement 225 s. (ainsi que 221 et 224 sur universitas et corpus habere). Plus globalement sur ce thème complexe, on
consultera les ouvrages de référence comme F.M. De Robertis, Il diritto associativo romano, Bari, 1938, B. Eliachevitch, La
personnalité juridique en droit privé romain, Paris, 1942, R. Orestano, Il ‘problema delle persone giuridiche’ in diritto romano,
Roma, 1958 (mais aussi A. Watson,
The Law of Persons in the later Roman
Republic, Oxford, 1967).
[44]
Cicéron, De Republica 1.25.39:
…populus autem non omnis hominum
coetus quoquo modo congregatus sed coetus multitudinis iuris consensu et
utilitatis communione sociatus. La traduction d’E. Bréguet,
Paris, 1980 (coll. Belles Lettres) reste efficace du point de vue juridique:
« …un peuple n’est pas un rassemblement quelconque de gens
réunis n’importe comment; c’est le rassemblement d’une
multitude d’individus, qui se sont associés en vertu d’un
accord sur le droit et d’une communauté
d’intérêts ». Cf. Cic., De Rep. 1.32.49: civitas comme
iuris societas.
[45] B. Albanese, op. cit, 180
(spécialement n. 82). Plus tôt, et dans un autre contexte (tradition
germaniste), O. von Gierke, Das Wesen der Menschlichen Verbände,
Berlin, 1902 avait développé la théorie de la personne
juridique réelle, non fictive.
[47] Trait clair sur ce point B. Albanese, op. cit., 180: « Pur se
non manca del tutto, in Roma, un uso del termine persona in relazione a certe collettività di uomini
[référence est ici faite au passage d’Ulpien
conservé dans D. 4.2.9.1], i giuristi romani non elaborano una teoria
della persona giuridica. Una siffatta teoria, del resto, non poteva essere
elaborata in un ambiente intellettuale che non sentì la necessità
di astrarre concetti più semplici (come quelli di soggetto di diritto, e
di capacità giuridica) che costituiscono evidentemente un presupposto
del concetto stesso di persona giuridica ».
[48] Notamment
depuis ces deux derniers siècles (XIXe et XXe siècles): voir
généralement P. Catalano,
Populus Romanus Quirites, Torino, 1974 (et du même auteur « Alle
radici del problema delle persone giuridiche », Rassegna di diritto civile 4, 1983 (article réimprimé
dans P. Catalano, Diritto e persone. Studi
su origine e attualità del sistema romano I, Torino, 1990).
[49] Justinien
(Gaius D. 1.1.9, I. 1.2.1) reprend ici la célèbre partition
gaiéenne du droit entre ius civile
(leges et mores de la cité) et ius
gentium (ensemble de droits communs fondés sur la naturalis ratio partagée entre
tous les hommes), distinction qui - le détail a son importance - est
établie sur la base du concept de peuple (populus, populi). Selon
Gaius 1.1: Omnes populi qui legibus et
moribus reguntur partim suo proprio partim communi omnium hominum iure utuntur;
nam quod quisque populus ipse sibi ius constituit id ipsius proprium est
vocaturque ius civile, quasi ius proprium civitatis; quod vero naturalis ratio
inter omnes homines constituit, id apud omnes populos peraeque custoditur
vocaturque ius gentium, quasi quo iure omnes gentes utuntur. Et Gaius de
conclure que le peuple romain use en partie d’un droit qui lui est propre
(les célèbres iura populi
Romani exposés dans Gaius 1.2: lois, plébiscites,
sénatus-consultes, constitutions, droit honoraire, réponses des
prudents), en partie d’un droit qui est commun à tous les hommes (populus itaque romanus partim suo proprio,
partim communi omnium hominum iure utitur).
[50] Au Digeste
(Titre 2 du premier Livre consacré à l’origine du ius: De
origine iuris), Pomponius traite longuement de l’origine (origo) et de l’histoire du ius propre au Romains (D. 1.2.2.1-12).
Pour mémoire: au commencement de la cité, sous le gouvernement
des rois, le peuple n’avait pas de droit certain (§1); le ius civile ne commence à surgir
que quand le populus, sur proposition
du roi, délibère dans ses curies sur le soin à apporter
à la chose publique. Ces lois curiates, rassemblées par Sextus
Papirius sous Tarquin le Superbe, forment le premier ius civile, le ius civile
Papirianum (§2). Au début de la République, le peuple
romain recommença à faire usage d’un droit incertain (ius incertus) et de quelques coutumes
plus que de la loi (§3). Le récit de Pomponius se poursuit avec
l’entreprise décemvirale (§4), l’interprétation
des XII Tables par les juristes (§5), le rôle central des
collèges pontificaux (§6), la rupture constituée du droit
civil Flavien (§7), la sécession de la plèbe et la lex Hortensia (§8), le sénat
et le sénatus-consulte (§9), l’édit du préteur
(§10), le pouvoir normatif de l’empereur enfin (§ 11).
[51] Voir
généralement Gaius 1.1-7 (qui définit ainsi la lex: quod
populus iubet atque constituit). La systématique gaienne est reprise
et adaptée par Justinien. Aux Institutes (I. 1.2.3), la grande division
réalisée entre les sources se fait entre droit écrit et
droit non écrit, c’est-à-dire entre les modèles
athénien et spartiate (I. 1.2.10). Pour le ius scriptum, le système des Institutes (inspiré de
l’enchaînement des iura
populi Romani selon Gaius: 1. 2-7) est relativement simple: loi,
plébiscite, sénatus-consulte, constitution impériale,
édits des magistrats, réponses des jurisconsultes (I. 1.2.4-8).
La loi (donc indirectement le peuple) reste comme chez Gaius le paradigme
auquel rapprocher les autres sources du ius,
notamment le plébiscite, le sénatus-consulte, la constitution du
prince (dans cette logique, C. 1.17.1.7 précise le fondement populaire
du pouvoir normatif du prince: par la lex
regia, le populus Romanus a
transmis tout son ius à la
puissance impériale). Pour le ius
non scriptum, les Institutes qui évoquent l’approbation par
l’usage, la reconnaissance par consentement et l’imitation de la
loi (I. 1.2.9) peuvent être complétées par d’autres
sources du Corpus Iuris, notamment la
théorie de la coutume (consuetudo)
par Julien D. 1.3.32.1. La coutume y est entendue comme le « tacite
consentement de tous », au sens d’une volonté du peuple,
certes déclarée autrement, mais qui n’est pas moins
à observer comme une loi. Finalement, la reconnaissance de
l’immutabilité du droit naturel d’origine providentielle
permet à Justinien (I. 1.2.11) de consolider cette thèse vivante
et mobile de Julien sur la définition du droit coutumier.
[52] et
généralement aux dieux: Iustitia
(comme Fides) sont des
divinités relevant plus généralement de Jupiter. Voir G. Dumézil, Idées romaines2, Paris, 1980, 31-45 (« Jus »), notamment 43. Cf. L. Lombardi, Dalla ‘fides’ alla
‘bona fides’, Milano,
1961.
[53] Gaius 1.3:
lex est quod populus iubet atque
constituit, en tenant compte que le populus
est constitué de tous les citoyens (universi
cives). Deux définitions reçues par Justinien malgré
quelques modifications pour des raisons d’ordre systématique (I.
1.2.4: lex est quod populus romanus,
senatorio magistratu interrogante veluti consule, constituebat).
[54] Papinien
D. 1.3.1: communis reipublicae sponsio.
Traduction efficace et très correcte du point de vue juridique par Hulot
(1803): « une obligation contractée par toute la nation ».
Définition qui ne peut être abstraite de la conception romaine,
spécifique du point de vue technico-dogmatique, de la Respublica: car on ne peut comprendre
sérieusement la célèbre équation
cicéronienne entre res publica
et res populi sans la
référence technologique (obligationniste) au contrat de
société (coetus
multitudinis-sociatus).
[55] Julien D.
1.3.32, notamment au § 1: (…) Nam
cum ipsae leges nulla alia ex causa nos teneant quam quod iudicio populi
receptae sunt: merito et ea quae sine ullo scripto populus probavit tenebunt
omnes: nam quid interest suffragio populus voluntatem suam declaret an rebus
ipsis et factis? Quare rectissime etiam illud receptum
est ut leges non solum suffragio legislatoris sed etiam tacito consensu omnium
per desuetudinem abrogentur.
En effet, on pourrait dire que de même que la coutume nous oblige, la
désuétude (par le même consentement tacite de tous) nous
« désoblige ».
[56] On
remarquera par ailleurs, en écho à la thèse de Julien sur
la coutume (volonté tacite), que le contrat de société est
en droit romain un contrat consensuel au sens où l’obligation
naît de la seule rencontre des volontés, indépendamment de
toute forme (verbale, écrite ou réelle).
[58] Rappelons
à ce sujet que, selon le juriste Florentin (D. 1.5.4), « la
liberté est la faculté naturelle de faire, sans entrave, ce qui
plaît, excepté ce qui est empêché par la violence ou
par le droit » (libertas est
naturalis facultas eius quod cuique facere libet ni si quid vi aut iure
prohibetur). Position répétée (I. 1.3.1) et
renforcée par Justinien, notamment dans I. 1.2.2: captivité et
servitude sont deux institutions historiques contraires au droit naturel
« car en droit naturel tous les hommes, à l’origine,
naissaient libres » (… omnes
homines ab initio liberi nascebantur).
[59] Proculus
D. 49.15. 7.1 (Titre sur le postliminium et
les prisonniers de guerre): « un peuple libre est celui qui n’est
soumis au pouvoir d’aucun autre peuple… » (liber autem populus est is qui nullius
alterius populi potestati est subiectus …).
[60] Selon Paul
D. 49.15.19. pr., le droit de postliminium
(qui permet à celui qui se soustrait de sa condition de prisonnier
de retrouver son état antérieur de citoyen) est un droit
partagé « entre nous [le peuple romain], les peuples libres et les
rois » (…inter nos ac
liberos, populos regesque). Voir généralement M. F. Cursi, La
‘struttura’ del postliminium
nella repubblica e nel principato, Napoli, 1996.
[61] Pomponius
D. 1.2.2.3: Exactis deinde regibus lege
tribunicia… (cf. plus loin § 15 sur le tribunus celerum Junius Brutus: …
qui auctor fuit reges ejiciendi). Précisons (§§ 2 à
15): au commencement de Rome, toutes les choses étant gouvernées
de la main du roi, le populus n’avait
dans la cité ni loi (lex) ni
droit (ius) certains. La lex en tant que telle ne surgit que
quand le peuple, sur proposition du roi, délibère dans ses
assemblées, ses curies, sur le soin (cura)
à apporter à la chose publique (res publica). C’est néanmoins sur le fondement
d’une loi que les rois furent chassés (exactis) de la cité. Si c’est Junius Brutus, tribun
des soldats célères, qui fut le réel promoteur de cette
expulsion, il n’est pas faux du point de vue juridique de qualifier le populus comme l’ « exactor » (celui qui chasse, qui
expulse). Par la suite, afin que les consuls ne revendiquent pour eux toute la
puissance royale, une loi institua la provocatio
(ad populum) afin que, sans
l’ordre du peuple, il ne soit pas possible de punir par la mort un
citoyen romain (§16).
[62] Pomponius
D. 1.2.2.16: Qui tamen ne per omnia
regiam potestatem sibi vindicarent lege lata factum est ut ab eis [les
consuls] provocatio esset neve possent in
caput civis romani animadvertere iniussu populi. Cf. A. Magdelain, Jus Imperium Auctoritas. Etudes de droit romain, Paris, 1990,
567-588 (« Provocatio ad populum »).
[63] Paul D. 50.16.215: Potestatis verbo plura significantur: in persona magistratuum,
imperium; in persona liberorum, patria potestas; in persona servi, dominium. Cf.
G. Lobrano, Pater et filius eadem
persona. Per lo studio della patria
potestas I, Milano, 1984 (notamment 71 ss.: « ‘patria potestas’ e ‘potestas
populi’»).
[64] Proculus
évoque au Digeste (D. 49.15.7.1) la majesté du peuple romain, au
sens où ce peuple est au-dessus des autres: en effet, s’agissant
des relations entre les peuples, « majesté » signifie
« supériorité » (…
ut intelligatur alterum populum superiorem esse). Au titre 48.4 du Digeste
(dédié au crime de lèse-majesté), Ulpien D. 48.4.3-4
définit le crimen maiestatis
comme « celui qui commis contre le peuple romain ou contre sa
sécurité » (…quod
adversus populum Romanum vel adversus
securitatem eius committitur); et de préciser qu’un tel crime
est constitué par la collusion avec les « ennemis du peuple romain
» ou encore par le meurtre d’un « magistrat du peuple romain
» (populus décliné
au génitif, petit détail qui souligne encore une fois le type de
rapport existant entre populus et magistratus).
[65] Voir
différemment R.A. Bauman, The crimen Maiestatis in the Roman Republic
and Augustan Principate, Johannesburg, 1967, 1-15 (« The roman
concept of maiestas ») et G. Dumézil, Idées romaines2, cit., 125-152 (« maiestas et grauitas
»), notamment 129 ss.
[66] Selon Paul
D. 4.8.31.4, aux prêtres (sacerdotes)
est confié le culte (sacrum)
de la majesté de Dieu (maiestas
dei). Justinien confirme: la majesté fut d’abord un attribut
divin puisque, déclare-t-il, sa majesté d’empereur,
associée ici à son humanité, est une imitatio de Dieu (C. 5.16.27.1). On retrouve à plusieurs
reprises cette maiestas impériale
et Justinien (C. 1.14.12.1) s’en sert techniquement, associée
à l’avis des auteurs du droit ancien (selon les veteris iuris conditores, les
constitutions du prince ont force de loi), pour fonder la valeur
législative, donc universelle, de ses jugements: car « quoi de
plus grand, quoi de plus saint que la majesté impériale? (quid enim maius quid sanctius imperiali est
maiestate?) ».
[67]
Commentaire de G. Dumézil,
op. cit., 140 et s.: « On aura pu remarquer que, sous la
République, la maiestas
reconnue aux plus hauts magistrats se trouve ainsi avoir deux sources
confluentes, en relation avec les deux sens ou nuances du mot. D’une
part, ils sont les délégués de Rome, du populus Romanus, auquel appartient la maiestas; d’autre part ils sont
les héritiers du rex. En
dernière analyse, les deux sources conduisent d’ailleurs à
Juppiter, puisque la maiestas Populi
Romani vient du pacte initial, des auspices et des promesses de Juppiter,
valables pour toute la durée de Rome, et que, si le rex avait la maiestas,
c’est comme réplique terrestre de Juppiter. Mais la théorie
et la pratique républicaines ont constamment tendu à voir et
à montrer dans les hauts magistrats l’émanation provisoire
du peuple plutôt que celle de Juppiter; de là vient la
règle constante, incontestée, que la maiestas des magistrats, même des consuls, s’efface
devant celle du peuple; la tradition rapporte même à l’un
des fondateurs de la ‘liberté’, à Valerius Publicola,
l’usage d’abaisser les faisceaux devant le peuple assemblé;
cette mesure, dit Tite-Live avec un curieux pléonasme, et dans un
contexte où maiestas sera
traduit au mieux par ‘souveraineté’, constituait
l’aveu populi quam consulis
maiestatem uimque maiorem esse ».
[68] Cf.
L. Reverso, « La
souveraineté du peuple Romain dans la République de Jean Bodin », Les représentations du droit romain en Europe aux temps modernes,
Aix-en-Provence, 2007, 83-99.
[69] Pomponius
D. 1.8.8.1 qui explique que « saint » (sanctum) dérive de sagmina,
ces herbes que les légats du peuple romain avaient coutume de porter
ostensiblement afin qu’on ne les outrage pas:…quaedam herbae quas legati populi romani ferre solent ne quis
eos violare. Cf. précédemment Marcien 1.8.8. pr.: Sanctum est quod ab iniuria hominum defensum
atque munitum est (sens de « saint » qui est distinct de
« sacré » et de « religieux »).
[70] Constitution Deo auctore § 10 (= C. 1.17.1.10): … quae deo propitio cum melioribus condita est auguriis.
[71] Cf. P. Catalano, « Aspetti spaziali del sistema
giuridico-religioso romano. Mundus,
templum, urbs, ager, Latium, Italia », Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, II. 1, Berlin-New
York, 1978, 440-553.
[74] Paul D.
47.23.1: eam popularem actionem dicimus
quae suum ius populi tuetur. Le Digeste distingue très clairement
l’actio tout court de
l’action dite « populaire » (à laquelle un titre
complet est réservé: D. 47.23).
[75] Comme par
exemple l’action de violation de sépulture ou encore
l’action contre ceux qui répandent ou jettent quelque-chose sur la
voie publique: voir respectivement D. 47.12.3.12 et D. 9.3.5.5. Voir bien sûr C. Fadda, L’azione popolare. Studi di diritto romano e attuale, Torino,
1894.
[76] Cf. Ulpien
D. 1.1.1.2 pour qui la distinction publicum/privatum ne sont que deux positiones studii d’un seul et même ius.
[77] Cf. Titre
du Livre Ier des Institutes de Justinien: De
iure naturali, gentium et civili. Voir P. Catalano, Diritto e persone, Torino, 1990, 53-87
ss. (« Ius Romanum. Note sulla
formazione del concetto »), notamment 54 ss. sur les types de «
droits » compris sous l’expression iura populi romani.
[78] Le
parallèle entre les deux termes est établi par Constantin (C.
1.40.3): l’empereur donne à tous (omnes) le pouvoir de louer par des acclamations (adclamationes) les juges très
justes et très vigilants et, a contrario, d’accuser verbalement (voces) les injustes et les malfaisants.
[79] Même
si vox, verbum, opinio s’opposent
à res (la
réalité): voir A. Ernout-A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la
langue latine. Histoire des mots4, Paris, 2001 (retirage de
l’édition de 1959),
571.
[80] La
portée de ce droit à la parole est toutefois limitée en ce
que les sources le conditionnent à une (juste) pression: en ce sens C.
9.47.12. Le reste s’apprécie négativement: les injustes
« vociférations » (voces)
du peuple ne doivent pas être écoutées et ses « cris
» séditieux (adclamationes)
doivent être réprimés: voir différemment D. 40.9.17.
pr., D. 48.19.28.3 ou encore C. 9.30.2.
[82]
Généralement A. Magdelain,
Recherches sur l’ « imperium ». La loi curiate et les auspices
d’investiture, Paris, 1968.
[83] Sur le
rapport entre la lex de imperio
Vespasiani et la lex regia (de
imperio), consulter B. Parsi,
Désignation et investiture de
l’empereur romain (Ier et IIe siècles après J.-C),
Paris, 1963.
[84] Pomponius
D. 1.2.2.11: Igitur constituto principe
datum est ei ius ut quod constituisset ratum esset; Gaius 1.5: Nec umquam dubitatum est quin legis vicem
optineat cum ipse imperator per legem imperium accipiat (cf. C. 1.14.12.1
sur les veteris iuris conditores);
Ulpien D. 1.4.1 pr.: Quod principi
placuit legis habet vigorem: utpote cum lege regia quae de imperio eius lata
est populus ei et in eum omne suum imperium et potestatem conferat.
[85] Cf. I.
1.2.6 et C. 1.17.1.7 (= c. Deo auctore
§ 7); mais déjà Pomponius D. 1.2.2.11 pour le ius.
[86] Voir par exemple V. Mannino, Studi sul defensor civitatis, Milano, 1982 et G. Lobrano, Il potere dei tribuni della plebe, Milano, 1982.
[88] Voir à ce sujet P. Catalano, « Alcuni sviluppi del
concetto giuridico di imperium populi
romani », Popoli e spazio
romano tra diritto e profezia, Atti
del III seminario internazionale di studi storici « Da Roma alla terza
Roma » (21-23 aprile 1983), Napoli, 1986, 649-675,
particulièrement 651.
[89]
Communiquer l’ensemble de ces systèmes, tous ici et maintenant,
est la fonction du droit comparé dans le temps: fonction aux durs
réflexes synchroniques, étant entendu que
l’écoulement du temps humain a une valeur (absolue) qui n’a
toujours pas été démontrée. Seule et unique raison
pour laquelle le juriste, qui n’est ni un poète ni un
manœuvre devant le droit positif, ne peut sérieusement accompagner
l’entreprise de persuasion engagée par la cléricature de
l’établi - tête chercheuse de l’adaptation du temps au
système donné: une entreprise qui convainc que
l’actualité positive (c’est-à-dire: positivement mise
en place) est le critère de vrai et, par suite, la ligne de
démarcation entre l’acceptable et l’inacceptable alors
qu’il serait plus simple d’opposer « ce qui est » et
« ce qui n’est pas ». Le juriste, qui ne peut se
définir par l’empire sur lui des faits (positifs) dans leur
perpétuel mouvement, le juriste se refuse - au moins par profession, au
plus par destin - à collaborer au grand oubli des temps passés:
sélection moins des temps pour eux-mêmes que pour ce qu’ils
contiennent d’outils, de techniques, d’armes et de chants et plus
encore de visions du monde. Temps rendus inutiles par leur préalable
historicisation - la nouvelle caverne de la philosophie du temps contre le
temps. Pour la mémoire des juristes et des peuples, nous disons au
contraire: Memento! Cf. R.
Knütel, « I compiti della romanistica nel nostro tempo
», Dieter Nörr e la
romanistica europea tra XX e XXI secolo (a cura di E. Stolfi), Torino,
2006, 133-152 et Les Grecs, les Romains et nous. L’Antiquité est-elle moderne? (textes
réunis et présentés par R.-P. Droit), Paris, 1991.
[90] Cette
référence à Kant apparait dans E. Perrot, Précis
élémentaire d’histoire du droit français public et
privé, Paris, 1930, IX qui, précisément, fonde sur ce
point la différence - et à son avis l’évolution -
entre les disciplines que sont le droit romain et l’histoire du droit:
« C’est seulement au cours de la seconde moitié du XIXe
siècle qu’il a été fait place, dans
l’enseignement des Facultés de droit, à un exposé
historique des transformations qu’a connues le droit français au
cours des siècles précédents. Le droit romain lui-même
n’était pas enseigné, avant cette date, sous une forme
historique et n’apparaissait encore que comme la grammaire des principes
du droit. On considéra à juste titre alors que
l’enseignement historique du droit devait élever le niveau
intellectuel de ceux qui le recevraient, en leur permettant de mieux comprendre
les institutions du droit actuel, replacées dans le temps. En effet, le
droit d’une époque donnée n’est pas un tout
homogène, cohérent, logiquement déduit d’un principe
initial, sorte d’impératif catégorique de nature juridique.
C’est une mosaïque d’éléments divers par leur
nature, leur origine, leur âge […] ».
[91] Expression
de C.-J. de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique
contenant l’explication des termes de droit, d’ordonnances, de
coutume et de pratique, Paris, 1754 (4e éd.), vol. II, 175, V°
« Majesté ».
[92] Une
analyse structurale pourrait faire penser à une déstructuration.
G. Mounin, Clefs pour la linguistique, cit., 94 s. nous rappelle qu’
« en linguistique, le mot structure n’a pas de profondeurs
métaphysiques. Il signifie essentiellement construction, au sens courant du terme. Analyser une structure
linguistique, c’est isoler les unités véritables de la
construction en question […]. Prenons l’exemple banal et simple
d’une table en bois blanc. Analyser la structure de cette table,
c’est chercher les unités véritables de la construction de
cette table, la démonter pièce par pièce de façon
à pouvoir la remonter en tant que
table (car je peux aussi la déstructurer tout autrement, pour lui
faire assurer une autre fonction, à la hache, pour faire du bois
d’allumage par exemple. Mais alors, de ces structures
dégagées à la hache, je ne pourrai pas reconstruire une
table en fonction de table) ».
[93] Il peut
être opportun de poursuivre la citation (voir supra n. 90) de l’ouvrage très éclairant de E.
PERROT, op. cit., IX expliquant ce qu’est le droit: « […]
C’est une mosaïque d’éléments divers par leur
nature, leur origine, leur âge, éléments parfois
d’ailleurs encadrés dans une construction synthétique et
formant un Code. Parmi ces éléments, les uns sont des institutions
déjà vieillies, en voie de désadaptation, qu’il faut
adroitement réajuster au milieu social ou supprimer sans heurts; les
autres sont des institutions vigoureuses qu’il faut développer
judicieusement en les préservant des contaminations et des
déviations malencontreuses; d’autres enfin sont des institutions
encore à l’état embryonnaires qu’il faut pouvoir
distinguer, diriger, protéger, ou au contraire radicalement extirper
pendant qu’il en est temps encore. Le discernement nécessaire pour
démêler ces divers éléments résulte, dans une
large mesure, de la connaissance des procédés de
développement du droit, par conséquent de l’histoire du
droit en général. Celle-ci forme le jugement, développe la
clairvoyance, facilite l’alliance si rare de l’esprit de tradition
et du sens de l’innovation. Or, sans ces qualités, un juriste, un
homme d’affaires, un politique surtout, restent
irrémédiablement au second plan ».
[95] Cf. F.-K. von Savigny, Vom Beruf unserer Zeit für Gesetzgebung und Rechtswissenschaft,
1814 (traduit en français sous le titre De la vocation de notre temps pour la législation et la science
du droit).
[97] Sens des
mots qui bien sûr pourra varier selon l’outil que l’on
utilisera: très différents de ce point de vue seront un
dictionnaire étymologique de latin et un dictionnaire historique de la
langue française: voir par exemple, pour notre sujet, A. Ernout-A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la
langue latine. Histoire des mots4, cit., 521 et s. (V° « Populus » et « Populō ») et le Dictionnaire historique de la langue
française (dir. A. Rey), Paris, 1992, vol. II, 1496 et s. (V°
« Peuple »).
[98] Au sens
large du mot « doctrine » (comme effort doctrinal) car il
s’agit ici du travail de la jurisprudence romaine (Iurisprudentia), c’est-à-dire de l’opinion des
auteurs anciens: cf. D. 1.1.10.
[99] J.-L. Lamboley, Lexique d’histoire et de civilisation romaines, Paris, 1995,
317 (l’auteur se fait écho de la philosophie
hégélienne de l’histoire, tant en bien qu’en mal).
Pour une analyse plus soutenue des notions, voir J. Gaudemet, Les
gouvernants à Rome. Essai de droit public romain, Napoli, 1985
(notamment « Le peuple et le gouvernement de la République romaine
»: 1-63).
[101]
C’est-à-dire son histoire. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne
puisse tenir compte de l’histoire du concept (Begriffgeschichte), bien au contraire.
[102] Pour une
présentation complète de l’instrument sociétaire
romain, voir M. Talamanca,
« Società in generale. Diritto romano », Enciclopedia del diritto XLII, 1990,
815-860.
[103] Une
modalité sociétaire de formation de la volonté du corpus (collectif) qui va lui permettre
de se mettre en rapport avec d’autres acteurs juridiques (singuliers ou
collectifs) par l’intermédiaire néanmoins d’un agent
à lui soumis, le magistratus
(cf. Ulpien D. 2.14.14: magistri
societatium pactum et prodesse et obesse constat). Ces deux temps
sociétaires - iussum et administratio - déterminent chez
Cicéron la différence entre la République romaine
(assemblées du peuple et magistratures) et la démocratie grecque
(tout dans l’assemblée): Graecorum
totae res publicae sedentis contionibus temeritate administrantur (Pro Flacco 7.16).
[104]
Distinction déjà vue par F.
Ruffini à la fin du XIXe siècle: « La teoria delle
persone giuridiche », Studi
giuridici in onore di F. Schupfer, 1891, 315 ss.
[105]
C’est la (nouvelle) solution forgée par Sinibaldo dei Fieschi
(Pape Innocent IV, † 1254), solution dans laquelle la
représentation/substitution de volonté se conçoit en
fonction de la nouvelle personne juridique abstraite (inconnue des Romains et
pour cause). Voir généralement la précieuse
présentation des deux solutions, tant du point de vue de
l’histoire du droit que du droit romain, par G. Lobrano, « La alternativa attuale tra i binomi
istituzionali: ‘persona giuridica e rappresentanza’ e
‘società e articolazione dell’iter di formazione della volontà’. Una ìpo-tesi
(mendeleeviana) », Diritto@Storia,
Rivista internationale di scienze
Giuridiche e Tradizione Romana, N. 10 – 2011-2012 (qui livre ici une
importante et très sélective bibliographie, à laquelle on
pourrait d’ailleurs ajouter S.
Schlossman, Persona und prosopon im Recht und im Christlichen Dogma,
Kiel, 1906). Consulter également les considérations introductives
et conclusives d’E. Chevreau,
« Quelques remarques sur la continuité des ‘personnes
juridiques’ en droit romain classique », cit., 218 («
L’avènement progressif de la catégorie intellectuelle de la
personne juridique est en germe chez les canonistes dès le XIIIe
siècle, notamment chez Sinibaldo Fieschi, plus connu sous le nom
d’Innocent IV […] ») et 231 (« […] Le droit
romain a perçu la supériorité des entités comme les
cités et les universalités – dont la
spécificité réside dans leur constitution de membres
singuliers –, à travers le prisme de la permanence, dans le temps,
de ce type de groupement. Il n’est pas allé plus en avant. Mais on
ne saurait nier que la science juridique romaine a posé le substrat de
la construction anthropomorphique de la future personne juridique sujet de
droits. En effet, les civilistes et les canonistes médiévaux
poseront les premières pierres de cette abstraction juridique en
raisonnant sur ces mêmes textes romains »). Sous un autre angle
d’analyse (français et parlementaire), on pourra aussi consulter J. Krynen, L’Etat de Justice (France, XIIIe-XXe siècle), I:
L’idéologie de la magistrature ancienne, Paris, 2009
(notamment 63-78: « De la ‘représentation’ à la
dépossession du roi »).
[106] De droit public: cf. G. Menotti de Francesco, «
Persona di diritto pubblico », Nuovo
Digesto Italiano XVII, 1939, 926-928.
[107] Sur le
concept de représentation en droit, on consultera tout
spécialement R. Quadrato,
« Rappresentanza. Diritto
romano », Enciclopedia del diritto
XXXVIII, 1987, 417-435 et, dans le même volume, P. Cappellini, « Rappresentanza. Diritto intermedio
», 435-463 et D. Nocilla-L.Ciaurro, « Rappresentanza politica
», 543-609); voir aussi P.
D’amico, « Rappresentenza. I) Diritto civile
», Enciclopedia Giuridica Treccani
XXV, 1991, 1-20. Plus généralement encore, H. Hofmann, Repräsentation: Studien zur Wort und Begriffsgeschichte bis ins
19. Jahrhundert, Berlin, 1974.
[108] Même problème
d’ailleurs pour societas/«
société »: cf. P.P.
Onida, « Tensioni non risolte nel nuovo diritto societario: una
lettura romanistica », Diritto@Storia,
Rivista internazionale di scienze
Giuridiche e Tradizione Romana, N. 10 – 2011-2012.
[109] Ce qui
suppose au préalable d’avoir compris, du point de vue
intellectuel, les raisons profondes du « déclassement »
contemporain de la catégorie populus
pour des raisons d’ingénierie politique: la
représentation politique inhérente technologiquement à la
démocratie libérale, ce qui correspond en amont à une
philosophie de l’histoire de Hegel à F. Fukuyama (La fin de
l’histoire et le dernier homme, 1992) axée autour de
l’Etat-troisième et dernière forme de l’esprit
universel.