Clermont Université, Université d’Auvergne
Gestion municipale et assistance
dans les villes du Midi de la France au bas Moyen
Âge
Sommaire: 1. Enjeux. – 2. Acteurs. – 3. Moyens.
Jacques Le Goff a récemment rappelé dans son ouvrage Le Moyen Âge et l’argent la
place essentielle que la caritas et
le don ont occupé dans la société médiévale
occidentale. «La charité constitue le lien social essentiel entre
l’homme médiéval et Dieu et entre tous les hommes du Moyen
Âge»[1].
Elle a trouvé à s’exprimer par l’intermédiaire
de différentes formes dont l’assistance. Daniel Le Blévec
la présente comme la «manifestation concrète de
l’amour du prochain par des attitudes visant à secourir ceux qui
sont dans le besoin»[2].
Elle vise la prise en charge du secours des plus nécessiteux, de leur
nourriture mais aussi parfois de leur accueil dans des établissements
spécialisés. L’assistance trouve à s’exprimer
par l’intermédiaire de fabriques, confréries,
charités ou luminaires, hôpitaux et maladreries. Ces
différentes institutions ont donné lieu à de belles
études à partir notamment des recherches menées par Michel
Mollat, André Vauchez ou encore Jean Imbert[3].
L’un de leurs apports a été de mettre en lumière le
progressif investissement des institutions d’assistance et de
charité par les laïcs, en particulier les gouvernements municipaux,
selon une chronologie aujourd’hui bien établie. Avec une diffusion
plus large du message évangélique à partir du milieu du
XIIe siècle, le don et l’action en faveur des malheureux se sont
développés. On assiste à partir du XIIIe siècle au
développement de la «la pratique de l’aumône, antidote
de l’amour de l’argent» (N. Bériou)[4].
Ce siècle, où selon l’expression de Jacques Le Goff,
intervient «la descente des valeurs du ciel sur la terre»[5],
marque aussi l’intervention des pouvoirs municipaux puis leur mainmise
sur les différentes formes d’organismes d’assistance.
L’étroite imbrication entre l’évolution municipale et
le mouvement hospitalier a été particulièrement
remarquée[6].
Le succès de l’intervention des autorités municipales est
parfois précoce comme à Narbonne[7]
à la fin du XIIIe siècle. Plus généralement, il
intervient dans le cours du XIVe siècle[8].
Les villes du Midi ont connu un développement du nombre et des formes
des institutions d’assistance et de charité. On assiste à
l’intervention, à l’immixtion et à la substitution
progressive du monde laïc à celui du clergé.
L’assistance connaît alors une évolution dans sa nature
passant d’activité charitable à un service social[9].
Les études qui se sont intéressées à
l’existence et aux formes d’assistance pour les villes du Midi se
rejoignent pour considérer un phénomène de
"laïcisation"[10],
de "municipalisation" ou de "communalisation"[11].
Les deux phénomènes entretiennent alors des liens étroits
sans pour autant former une seule réalité.
Les villes du Midi à travers leurs dirigeants
s’intéressent à l’assistance alors que les
autorités religieuses avaient assuré seule cette charge. Ici
où là, selon une chronologie assez semblable, l’assistance
devient source d’enjeux au sein de la ville (I). Cette concurrence dans
la gestion des formes d’assistance se manifeste par l’intervention
croissante de laïcs pour leur gestion. De nouveaux acteurs assurent cette
mission sociale (II). Des liens étroits se nouent entre eux et les
dirigeants municipaux. Pas divers moyens, les responsables urbains
contrôlent l’action des personnes chargées de la gestion de
l’assistance dans la ville (III).
La question de l’assistance en particulier dans les villes du
Midi met en lumière principalement trois enjeux: symbolique, politique
et financier.
Tout d’abord, la notion de caritas et le lien social qui y est attaché connaissent
à mon sens une évolution symbolique. Un glissement intervient
avec le passage d’actions charitables à l’émergence
d’un devoir social d’assistance et sa "municipalisation".
A partir des travaux d’Anita Guerreau-Jalabert[12],
on perçoit mieux que la caritas
est essentielle pour comprendre l’importance du don et l’admission
de l’argent par l’intermédiaire de l’aumône. Un
lien étroit existe entre le caractère et l’expression
matérielle de la richesse et un «système de valeurs soumis
à la caritas». Une forte
imbrication existe entre le monde matériel, économique et le
monde religieux. Cette approche reprend la thèse de Polanyi pour qui
«l’économie était encastrée dans le labyrinthe
des relations sociales» récemment rappelée par J. Le Goff[13].
A partir du renouveau économique, des échanges commerciaux du
XIIIe siècle mais aussi des prélèvements fiscaux plus
nombreux à partir de la fin du XIIIe et le début du XIVe
siècle, l’argent occupe une place plus importante dans les
relations sociales notamment urbaines. Cet argent qui est perçu
tantôt comme vice tantôt comme vertu[14]
va susciter une «pauvreté nouvelle» (J. Le Goff)
rattachée à la caritas
qui trouve à s’exprimer de manière communautaire. Alors que
l’Eglise connaissait seule de l’assistance aux plus démunis,
les pouvoirs municipaux en développement vont, me semble-t-il,
s’approprier la notion de caritas.
L’immixtion puis l’intervention plus directe et enfin
l’affirmation du rôle de direction des autorités municipales
sur les institutions d’assistance et charitable sont sans doute le reflet
de la volonté de prendre en charge collectivement l’assistance.
Cette assistance mutuelle, dont les formes peuvent être variées,
peut renvoyer à l’action de l’universitas destinée à la satisfaction d’un
service communautaire qui intéresse aussi bien le corps (alimentation,
assistance, santé) que l’âme et l’esprit
(enseignement, services religieux). Jacqueline Caille énonce pour le cas
de Narbonne l’hypothèse d’une "communalisation"
des hôpitaux entre la fin du XIIe s. et le début du XIIIe s. dont
l’une des manifestations est une évolution dans leur nomination.
L’Hôpital Saint-Just devient l’hôpital des pauvres de
la cité, l’hôpital Saint-Paul devient l’hôpital
des pauvres du bourg[15].
La création ou l’intervention dans un organisme
chargé de porter assistance peut être perçue comme un
élément de «prise de conscience identitaire par les
[…] représentants de la communauté des habitants»[16].
Ils constituent une forme d’expression de leur revendication
d’accès ou d’affirmation de l’autonomie municipale, de
la gestion en commun de ce type d’activité par et au nom du corps
des habitants formant l’universitas.
Dans le cadre des villages du Bas-Languedoc, et en particulier du castrum biterrois, M. Bourin-Derruau a
mis en lumière l’apparition d’institutions paroissiales et
charitables avant que syndicat et consulat ne prennent forme. On a pu voir dans
ces institutions un "laboratoire"[17].
Participant à la genèse du sentiment communal, ces organismes de
piété et de charité éclairent l’intervention
de laïcs dans la gestion de «biens communs et publics»[18].
L’unanimité et l’unité politique et sociale sont
recherchées à travers le devoir d’assistance mutuelle:
«les magistrats municipaux [apparaissent comme] les piliers, les
ordonnateurs et les garants de la religion civique»[19].
L’intérêt des dirigeants urbains est à rapprocher de
leur volonté d’encadrer et de contrôler les formes
d’assistance dans la ville dans un but de «paix sociale et
politique»[20].
Les registres de délibérations des conseils urbains et les livres
de comptes des trésoriers municipaux révèlent la
variété et les formes d’intervention relative aux
hôpitaux, aux écoles, aux médecins[21].
A Tarascon, l’autorité municipale veille à la distribution
de pains[22].
Variable selon le temps et l’espace, l’affirmation du rôle de
direction supérieure des magistrats urbains sur les institutions
charitables et d’assistance s’accroît. Il a souvent
été précédé par l’action de laïcs
pour venir en aide aux plus pauvres. Dans le cadre du quartier, d’un
village ou d’une ville, la caritas
se développe. Ainsi, par exemple, Daniel Le Blèvec rapporte
l’existence d’une association de plusieurs chefs de famille de
Bourg-Saint-Andéol au milieu du XIIe siècle au profit d’une
charité[23].
Avignon ne compte pas moins de 17 aumônes de métier ou de quartier
dont plus de la moitié existe avant la fin du XIIIe siècle[24].
Les magistrats municipaux peuvent aussi être à l’origine de
la création d’un établissement ou d’une institution
d’assistance. Ainsi à Millau, les consuls fondent en 1266 la
charité Saint-Marc et, en 1278, ils interviennent dans la gestion de
l’hôpital du Larzac[25]
au moment où les institutions consulaires ne sont pas encore pleinement
déterminées. En 1344, les consuls d’Aigues-Mortes
créent un hôpital.
Les serments prêtés par les dirigeants urbains au
moment de leur entrée en charge révèlent leur rôle
dans la direction supérieure et plus particulièrement les liens
financiers qui existent entre d’une part les institutions
d’assistance ou charitable et d’autre part l’administration
municipale. A Narbonne, à partir du milieu du XIIIe siècle, le
serment prêté par les consuls de la Cité affirme leur
rôle financier. Ils ont compétence pour connaître de
l’utilisation des ressources des institutions charitables[26].
A Najac, les consuls recueillent les revenus des charités[27].
Elles présentent ainsi un intérêt financier pour la ville
en ce que leurs revenus peuvent être mobilisés au profit de
l’universitas. Les caisses
particulières sont sollicitées par le trésorier de la
ville. Ainsi, à Millau, les revenus des charités sont
affectés pendant cinq ans aux fortifications urbaines au milieu du XIVe
siècle[28].
Pour faire face à ces dépenses importantes de mise en
défense de la ville, le conseil autorise en 1356 les consuls à
procéder à la vente du bétail de l’hôpital et
de certaines de ses possessions immobilières. Semblable opération
est renouvelée en août 1375 [29].
Elle concerne aussi les charités[30].
Dans les dépenses des villes du Midi, la part de l’assistance peut
être appréciée de manière partielle notamment
à l’occasion du ravitaillement de la ville avec l’achat de
blé en vue de la distribution de pains. Le seul examen des registres de
comptes du trésorier municipal ne suffit pas à rendre compte de l’ensemble
de la nature et des formes de l’assistance[31].
Des liens étroits semblent exister entre administration municipale et
établissement ou institution d’assistance dont il n’est pas
toujours aisé d’en saisir l’importance en raison de sources
parfois insuffisantes. Tout aussi intéressante mais délicate est
la question des acteurs de l’assistance dans le cadre municipal.
Les membres des gouvernements urbains se sont
intéressés tout particulièrement aux différentes
formes d’assistance dans la ville et sont entrés en concurrence
avec les ecclésiastiques. Des liens forts ont pu être
tissés entre le milieu des dirigeants municipaux et les personnes
chargées de la gestion des différentes institutions
d’assistance. Une même réalité sociale semble se
rencontrer. L’hypothèse de la participation aux activités
charitables comme étape dans le cursus
honorum municipal peut être formulée en certains lieux.
A Saint-Gilles, alors que le pouvoir ecclésiastique a obtenu
la suppression du consulat au début du XIIIe siècle, une
charité laïque (caritas seu
communitas) existe, elle est différente et concurrente de
l’assistance mise en place par l’abbaye locale[32].
L’affirmation de pouvoirs locaux qui s’intéressent à
une même forme d’activité que celle assurée jusque
là par les ecclésiastiques ne pouvait pas manquer de susciter des
relations plus ou moins conflictuelles. La gestion de l’hôpital des
pauvres, de la charité et de la léproserie à Agde est
assurée par les consuls permettant à l’universitas d’apparaître et d’intervenir comme
une «institution indépendante, peut-être concurrente du
pouvoir épiscopal»[33].
Le XIIIe siècle voit en de nombreuses localités le passage sous
la coupe municipale d’hôpitaux et de charités. Tel est le
cas dans la région de Béziers à partir des années
1230 [34],
dans la vallée du Rhône[35]
mais aussi à Narbonne. Sans doute de manière plus précoce
qu’ailleurs, les probi homines
s’intéressent dès le dernier quart du XIIe siècle
à l’administration d’hôpitaux mais leur rôle
n’est véritablement affirmé qu’à partir du
dernier quart du XIIIe siècle[36].
Ils sont confrontés au pouvoir des chanoines cathédraux sur
l’hôpital Saint-Just encore fort au milieu du XIIIe siècle.
Une "résistance ecclésiastique" se manifeste.
C’est le cas aussi à la même époque à Avignon
où l’évêque, n’admettant pas
l’éviction par la Commune des recteurs des hôpitaux
nommés par lui, décide de transformer ces institutions en
bénéfices[37].
Cependant il existe aussi des situations où une gestion commune
fonctionne comme pour l’hôpital Saint-Jacques à Rodez[38].
L’intervention des probi homines
annonce le rôle plus affirmé encore des consuls qui connaissent
des affaires relatives aux hôpitaux, aux léproseries et aux
charités. C’est le cas notamment à Narbonne à partir
de l’union des consulats de la Cité et du Bourg en 1338.
L’évolution est sensiblement la même pour les villes du
Rouergue[39],
d’autres villes du Sud-Ouest[40]
mais aussi de la Méditerranée comme Marseille[41].
Pour cette dernière, des indices à la fin du XIIIe siècle
de la «profondeur du mouvement de laïcisation des œuvres
charitables»[42]
sont perceptibles tout comme en d’autres lieux au Nord du Royaume[43].
En Rouergue, au cours de la première moitié du XIVe
siècle, les léproseries ont été une source
d’enjeu entre pouvoir seigneurial et pouvoir municipal dont celui-ci sortit
renforcé[44].
Cette concurrence dans l’existence et la gestion des institutions
charitables et d’assistance trouve un terrain d’expression dans la
désignation des personnes chargées d’en assurer la
direction.
Les personnes désignées pour la gestion et l’administration
des institutions d’assistance et charitable peuvent variées
d’un lieu à l’autre. A Narbonne jusqu’au XIVe s., les
consuls choisissent un administrateur parmi les membres des communautés
hospitalières. Avec les XIVe et XVe siècles, des membres
extérieurs sont davantage choisis marquant une
"laïcisation" de la direction de ces institutions[45].
L’origine sociale des gestionnaires de l’assistance dans les villes
du Midi semble correspondre à celle des personnes qui assument la
direction des affaires municipales[46].
Daniel Le Blévec remarquait pour les pays du Bas-Rhône que
«ce sont souvent les noms des familles les plus en vue de la
société urbaine ou villageoise qu’on retrouve à la
tête de ces différents organismes» d’assistance. A
Marseille, de riches marchands sont désignés par le conseil de
ville pour la gestion de l’hôpital du Saint-Esprit[47].
Le souci de la gestion du bien commun qu’il s’agisse de celui de
l’universitas mais aussi du
patrimoine rattaché à une institution charitable est
partagé par des personnes, des familles pour lesquelles
l’intérêt social, politique voire économique peuvent
se rejoindre.
L’exercice de responsabilités urbaines ou
professionnelles au nom et dans l’intérêt de la
communauté se retrouve. Un lien peut-il être établi entre
gestion municipale et gestion d’institutions d’assistance? Leur
gestion peut être confiée à une partie du personnel
politique de la ville après l’exercice de leur charge. De simples
constatations et hypothèses peuvent être formulées au
regard de quelques monographies pour certaines régions. Ainsi à
Millau en Rouergue, près de 40 % des titulaires des bassins
d’aumônes ont déjà été consuls[48].
Semblable situation se rencontre dans les pays du bas-Rhône[49].
On peut y voir la manifestation d’une mainmise laïque bien
établie. Il semble aussi qu’en certains lieux cette gestion puisse
s’insérer dans un cursus
honorum municipal. L’étude prosopographique plus
systématique des élites urbaines devrait permettre de formuler
des conclusions plus sûres. L’hypothèse peut être
formulée, à partir des exemples des villes du Gers
(Montréal)[50],
du Rouergue des XVe et XVIe siècles[51]
et en particulier du consulat de Millau[52],
que les bassins d’aumône constituent des «jalons du parcours
édilitaire»[53].
La gestion des aumônes permet aux jeunes hommes des familles consulaires
de construire leur notabilité. Pour les années 1360-1380, les
liens avec le consulat de Millau sont forts pour plus de la moitié des
bassiniers. La mise en parallèle du rang consulaire occupé lors
de leur première charge et du premier bassin dont ils ont eu la gestion
révèle que les bassins s’intègrent dans les parcours
qui mènent aux charges consulaires. Ils ne permettent pas cependant de
prétendre aux rangs les plus importants. L’intérêt
porté par certains membres des patriciats urbains à ces
institutions reflète leur insertion dans la sphère municipale. A
travers des moyens divers, les acteurs entretiennent alors des liens
étroits aux différents moments de la vie de l’institution.
Les autorités municipales agissent en tant que
"seigneurs et patrons" ou recteurs. Leur intervention se manifeste
tout d’abord au moment de la désignation des administrateurs, puis
durant l’exercice de leur charge et enfin avec l’obligation souvent
imposée de rendre compte de la gestion aux représentants de la
ville.
Les autorités municipales pouvant désigner les
recteurs, bayles, bassiniers… peuvent être variées suivant
que l’assemblée des habitants de l’universitas[54]
intervient ou bien qu’il s’agisse du conseil[55].
Les autorités municipales nomment les administrateurs des
charités à Cavaillon, ils sont choisis au sein des
représentants de métiers à Apt[56].
Au moment de l’entrée en fonction, les consuls prêtent
serment de s’occuper des hôpitaux et institutions charitables en
particulier d’instituer et de destituer leurs gestionnaires[57].
Ils sont nommés soit comme régisseur soit comme fermier. Les
personnes désignées par les autorités municipales
s’engagent de manière générale à régir
et administrer les personnes, les biens et les possessions de
l’institution. On connaît parfois le contenu des clauses comme par
exemple en 1276 lors de l’établissement du recteur de
l’hôpital Saint-Jacques d’Aix[58],
en 1344 pour la désignation du responsable de l’hôpital de
Puissalicon[59]
ou en 1435 pour celui de Millau[60].
Outre l’administration des biens, il a l’obligation d’assurer
la défense et la préservation des propriétés. Des
dispositions relatives au bétail et aux outils insistent sur la
nécessité de les préserver et de les restituer en quantité
et en qualité équivalente à celles qui lui sont
baillées. Obligation lui est faite de respecter certaines mesures
d’hygiène en cas d’épidémies touchant le
bétail de l’hôpital. Il doit en outre s’occuper des
donats.
Les manifestations de l’immixtion des autorités
consulaires sont parfois malaisées à saisir dans le
détail. La lecture des registres de délibérations, des
comptes urbains et des archives hospitalières éclaire
quelques-unes des différentes formes et l’intensité des
relations, des interventions municipales[61].
Les autorités urbaines s’intéressent aussi à
l’assistance en relation avec leur pouvoir de police et de
réglementation mais aussi par leur action directive et/ou
partagée avec les responsables des institutions hospitalières et
charitables. La capacité normative, variable selon les espaces et le
temps, s’exprime en la matière. Ainsi les consuls de la
Cité de Narbonne édictent dans la seconde moitié du XIIIe
siècle des "ordonnances" ou "établissements"
qui intéressent la vie des institutions d’assistance et charitable[62].
Ceux d’Uzès font de même pour de la distribution de
nourriture[63].
Les fabriciens de Saint-Affrique reçoivent et distribuent les dons en
faveur des pauvres, ils exécutent les travaux et les achats
décidés par le conseil de la ville[64].
Le conseil de ville peut leur recommander de lever des blés et de
collecter des arriérés[65].
Voici un marchand millavois qui doit chaque année, à ses propres
frais, organiser la distribution des charités, acheter 100 setiers de
froment, lever les arriérés et rénover la maison des
charités[66].
Un autre doit tous les ans au mois de janvier, donner 100 setiers de froment,
trois setiers de seigle et trois setiers d’avoine. Il le moud, le cuit
à ses propres dépenses et fait porter le pain à certaines
portes de la ville. Le jour de la Saint-Marc, il offre également un
dîner aux consuls[67].
Disposant d’un patrimoine et percevant des revenus sous des formes
variées, le contrôle de leur gestion et de leur utilisation
n’échappe alors pas aux autorités municipales.
C’est à la fin de la mission confiée aux
comptables particuliers, au moment de l’audition de leur compte, que la
place des consuls peut être le mieux appréciée et
qu’elle généralement la mieux saisie. Comme pour les
comptables urbains, les statuts municipaux peuvent prévoir
l’obligation de rendre compte pour les gestionnaires des institutions
charitables et d’assistance[68].
C’est là une marque de l’imbrication étroite entre
les deux sphères sous la coupe municipale. A Narbonne, dans le dernier
quart du XIIIe siècle, ont trouve mention de redditions de compte devant
les consuls[69].
Dès le début du XIVe siècle, le sénéchal du
Rouergue impose aux consuls de Villefranche qui entrent en charge de faire
rendre compte aux bassiniers de l’église paroissiale[70].
On note à Foix[71],
à Rodez[72]
et à Millau[73]
comme en bien d’autres lieux, la même obligation de rendre les
comptes aux consuls par les bayles des hôpitaux et confréries
ainsi que du tronc des âmes du Purgatoire. Les statuts urbains et les
ordonnances municipales fixent le cadre de ce contrôle comptable mais il
n’est pas toujours facile d’en apprécier
l’effectivité. Les livres de comptes urbains permettent la
collecte de données éparses sur la périodicité des
contrôles, les techniques des redditions empruntées aux administrations
municipales et les auditeurs choisis par les élites dirigeantes de la
ville. Le développement de ce contrôle municipal à partir
du XIVe siècle doit être rapproché de la position de
l’Eglise. Avec le concile de Vienne (1311), la décrétale Quia contigit[74]
qui cherche à améliorer l’administration des hôpitaux
en évitant leur don à titre de bénéfice
prévoit, outre la révocation ad
nutum des gestionnaires, l’audition annuelle des comptes des recteurs
devant l’autorité ecclésiastique. Elle exclue encore pour
un temps l’intervention laïque et municipale en ce domaine.
C’est au XVIe siècle avec le concile de Cologne (1536)[75]
qu’une reddition des comptes devant les magistrats municipaux en
présence du curé est admise. Le Concile de Trente (1547), comme
l’a montré Jean Imbert, reprend les textes anciens en
prévoyant l’examen des comptes des hôpitaux hors des
laïcs et en apportant quelques nouveautés au cours de ces
dernières sessions[76].
Ces apports tirent leur origine d’ordonnances princières et
municipales mais sans prévoir ensuite leur participation dans
l’exécution[77]
alors que ces deux pouvoirs connaissaient de la question depuis longtemps. Il y
avait là une des manifestations les plus fortes des liens entre gestion
municipale et assistance. Les juridictions royales, comme en d’autres
domaines, intervenaient aussi pour exercer une surveillance et un
contrôle[78].
L’Etat royal s’occupe davantage du domaine de
l’assistance et de ces institutions. Les édits de 1543 et de 1545
prévoient que les juridictions royales connaissent du contrôle de
la gestion des institutions d’assistance. L’édit de 1561
relatif à la désignation des administrateurs puis
l’ordonnance de Blois de 1579 précisent qu’ils seront de
«simples bourgeois, marchands et laboureurs et non personne
ecclésiastique». Une évolution se fait jour où
l’assistance n’est plus une simple question ecclésiastique
et municipale. Elle devient une affaire qui préoccupe davantage le
pouvoir royal et qui nécessite son intervention plus directe.
[I contributi della
sezione “Memorie” sono stati oggetto di valutazione da parte dei
promotori e del Comitato scientifico del Colloquio internazionale,
d’intesa con la direzione di Diritto
@ Storia].
[Testo della relazione
svolta al Colloquio internazionale La
laicità nella costruzione dell’Europa. Dualità del potere e
neutralità religiosa, svoltosi in Bari il 4-5 novembre 2010 per
iniziativa della Facoltà di Giurisprudenza dell’Università
di Bari “Aldo Moro”, del Centre d’études
internationales sur la romanité Université de La Rochelle e
dell’Unità di ricerca “Giorgio La Pira” CNR –
Università di Roma “La Sapienza”]
[1] J. Le Goff, Le Moyen Âge et l’argent, Paris, 2010, 224-225.
[2] Dictionnaire du Moyen
Âge, Cl. Gauvard, A. de Libera, M. Zink (sous la direction de), Paris,
2002, 102. D. Le Blévec, La part du pauvre. L’assistance dans
les pays du Bas-Rhône du XIIe s. au milieu du XVe s., vol. 1, Rome,
2000, 290-291.
[3] Parmi une riche bibliographie: J. Imbert, Les
hôpitaux en droit canonique (du décret de Gratien à la
sécularisation de l’administration de l’Hôtel-Dieu de
Paris en 1505), Paris, 1947 et Histoire
des hôpitaux en France, Toulouse,
1982. M. Mollat, Etude sur l’histoire de la
pauvreté (Moyen Âge-XVIe siècle), Paris, 1974, du
même auteur, Les pauvres au Moyen
Âge. Etude sociale, Paris, 1978; Les
Pauvres dans la société médiévale, Paris, 1978
ou encore «L’hôpital dans la ville au Moyen Âge en
France», Bulletin de la
Société française d’histoire des hôpitaux,
47 (1983). A. Vauchez,
«Assistance et charité en Occident, XIIIe-XVIe
siècle», Domande e consumi,
livelli e strutture, sec. XIII-XVIII (Prato, 1974), Prato, 1978, 151-162.
Voir aussi Assistance et charité,
Cahiers de Fanjeaux, 13, 1978, et pour un bilan historiographique, L’histoire médiévale en
France. Bilan et perspectives, M. Balard
(Textes réunis par), Paris, 1991, 61 et 69-70. Parmi les nombreuses
publications postérieures, mentionnons en particulier Fondations et œuvres charitables,
Congrès national des Sociétés savantes (Nice, 1996), J. Dufour
et H. Platelle (dir.), Paris,
C.T.H.S., 1999 et Hôpitaux et
maladreries au Moyen Âge: Espace et environnement, Actes du colloque
international d’Amiens-Beauvais, 22-24 novembre 20002, éd. P. Montaubin, C.A.H.M.E.R., vol. 17,
Amiens, 2005.
[4] N. Bériou,
«L’esprit de lucre entre vice et vertu: variations sur
l’amour de l’argent dans la prédication du XIIIe
siècle», L’argent au
Moyen Âge (XXVIIIe Congrès de la Société des
Historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur,
Clermont-Ferrand, mai 1997), Paris, 1998, 267-287. Voir aussi N. Bériou, J. Chiffoleau, Economie et religion. L’expérience des ordres mendiants,
XIIIe-XVe siècle, Lyon, 2009.
[6] J. Le Goff, Histoire de la France urbaine, t. 2, La ville médiévale, Paris
1998 [1980], 339 («Le mouvement urbain se double d’un mouvement
hospitalier»). M. Mollat,
«L’hôpital dans la ville au Moyen Âge en France»,
Bulletin de la Société
française d’histoire des hôpitaux, 47 (1983), 6
(«les étapes de l’histoire hospitalière urbaine
correspondent étroitement à l’histoire de la ville
elle-même»). R. Favreau,
«Réseau hospitalier et fait urbain (début XIVe
siècle)», Mondes de
l’ouest et villes du monde (Mélanges André
Chédeville), Rennes, 1999, 593-598.
[7] J. Caille, Hôpitaux et charité publique à Narbonne au Moyen
Âge, Toulouse, 1977, «Hospices et assistance à Narbonne.
XIIIe et XIVe siècle»,
Assistance et charité, Cahiers de Fanjeaux, 13, 1978, 261-280 et
pour une précision quant à la chronologie plus tardive de cette
mainmise des consuls, «Hôpitaux, assistance et vie urbaine au Moyen
Âge: le cas de Narbonne revisité», Mondes de l’ouest et villes du monde (Mélanges
André Chédeville), op.
cit., 585-592.
[9] Histoire de l’Europe
urbaine, I, De l’Antiquité au XVIIIe siècle, J.-L. Pinol (sous la direction de),
Paris, 2003, 565-567.
[10] D. Le Blévec,
La part du pauvre…, op. cit., 290-291. F. Michaud, «Le pauvre
transformé: les hommes, les femmes et la charité à
Marseille, du XIIIe siècle jusqu’à la Peste noire», Revue Historique, n° 650, avril
2009, 244.
[11] J. Caille,
«Hôpitaux, assistance et vie urbaine au Moyen Âge: le cas de
Narbonne revisité», op. cit.,
591.
[12] A. Guerreau-Jalabert,
«Spiritus et caritas. Le baptême dans la
société médiévale», F. Héritier-Augé, E. Coet-Rougier (sous la
direction de), La Parenté
spirituelle, Paris, 1995, 133-203 et «Caritas y don en la sociedad medieval occidental», Hispania. Revista Española de Historia, 60/1/204, 2000, 27-62. Pour
une présentation synthétique, voir J. Le Goff, Le Moyen
Âge et l’argent…, op.
cit., 223-226.
[14] N. Bériou, «L’esprit de
lucre entre vice et vertu: variations sur l’amour de l’argent dans
la prédication du XIIIe siècle», op. cit., 267-287.
[15] J. Caille, Hôpitaux et charité publique
à Narbonne au Moyen Âge, Toulouse, 1978, 34-35. GIUSTIFICARE
NOTA
[17] M. Gramain,
«Les institutions charitables dans les villages du Biterrois aux XIIe et
XIIIe siècles», Assistance
et charité, Cahiers de Fanjeaux, 13, 1978, 124.
[18] M. Bourin-Derruau, Villages médiévaux en
Bas-Languedoc, t. I, 273-310. Sur la formulation de l’idée que
les conseils «d’œuvres», de «fabriques» sont
à l’origine des conseils des communes et des consulats, R. Grand, «La genèse du
mouvement communal en France», R.H.D.F.E.,
1942, 163-166.
[19] D. Le Blévec,
La part du pauvre…, op. cit., 297 note 142. La religion civique à
l’époque médiévale et moderne
(Chrétienté et Islam), Rome, 1995.
[20] S.F. Roberts,
«Les consulats du Rouergue et l’assistance urbaine au XIIIe et au
début du XIVe siècle»,
Assistance et charité, Cahiers de Fanjeaux, 13, 1978, 136.
[22] M. Hébert, Tarascon au XIV siècle. Histoire
d’une communauté urbaine provençale, Aix-en-Provence,
1979, 169.
[25] J. Artières, Documents…, op. cit., 9 et 23. J.
Frayssenge, «Évolution de l’histoire
hospitalière à Millau: XIIe-XVIIIe
siècles», Société
d’Études Millavoises, 1992, 32.
[27] S.F. Roberts,
«Les consulats du Rouergue et l’assistance urbaine au XIIIe et au
début du XIVe siècle»,
op. cit., 138.
[29] Arch. hosp. Millau, E 15-6, f° 2 r°-Recettes, le
régisseur de l’hôpital fait état de la vente du
bétail de l’hôpital sur l’ordre du conseil et le
versement de l’argent au boursier.
[34] M. Gramain,
«Les institutions charitables dans les villages du Biterrois aux XIIe et
XIIIe siècles», op. cit.,
111-130.
[36] Voir J. Caille, Hôpitaux et charité publique
à Narbonne, op. cit.,
64-70 et les précisions apportées par J. Caille, «Hôpitaux, assistance et vie urbaine au Moyen
Âge: le cas de Narbonne revisité», op. cit., 588-591.
[37] J. Chiffoleau,
«Charité et assistance en Avignon et dans le Comtat Venaissin, fin
du XIIIe-fin du XIVe siècle»,
Assistance et charité, Cahiers de Fanjeaux, 13, 1978, 69.
[38] S.F. Roberts,
«Les consulats du Rouergue et l’assistance urbaine au XIIIe et au
début du XIVe siècle»,
op. cit., 144.
[39] S.F. Roberts,
«Les consulats du Rouergue et l’assistance urbaine au XIIIe et au
début du XIVe siècle»,
op. cit., 138-139.
[40] M. Fournié,
«Confréries, bassins et fabriques dans le Sud-Ouest de la France:
des œuvres municipales», La
religion civique à l’époque médiévale et
moderne (Chrétienté et Islam), Rome, 1995, 245-263. J.-H. Mundy,
«Hospitals and Leprosaries in Twelth and Early
Thirteenth-Century in Toulouse», Essays
in Medieval Life and Thought, ed. J.H. Mundy,
R.W. Emery and B.N. Nelson, New York, 1965, 181-205.
[41] F. Michaud,
«Le pauvre transformé: les hommes, les femmes et la charité
à Marseille, du XIIIe siècle jusqu’à la Peste
noire», op. cit., 278-279 et
note 144.
[42] F. Michaud,
«Le pauvre transformé: les hommes, les femmes et la charité
à Marseille, du XIIIe siècle jusqu’à la Peste
noire», op. cit., 244.
[43] C. Vincent, Les charités bien ordonnées.
Les confréries normandes de la fin du XIIIe siècle au
début du XVIe siècle, Paris, 1988, 91.
[44] S.F. Roberts,
«Les consulats du Rouergue et l’assistance urbaine au XIIIe et au
début du XIVe siècle»,
op. cit., 140-141.
[47] P. Amargier,
«La situation hospitalière à Marseille», Assistance et charité, Cahiers de
Fanjeaux, 13, 1978, 239-260. F. Michaud,
«Le pauvre transformé: les hommes, les femmes et la charité
à Marseille, du XIIIe siècle jusqu’à la Peste
noire», op. cit., 243-290.
[50] N. Lemaître,
«Finances des consulats et finances des paroisses dans la France du
sud-ouest XIVe–XVe
siècles», L’hostie et
le denier. Les finances ecclésiastiques du haut Moyen Âge à
l’époque moderne, Genève, 1989, 110.
[51] N. Lemaître, Le Rouergue flamboyant…, op. cit., 303-304. N. Lemaître, «Finances des consulats
et finances des paroisses dans la France du sud-ouest XIVe–XVe
siècles», op. cit.,
111-113.
[56] J. Chiffoleau,
«Charité et assistance en Avignon et dans le Comtat Venaissin, fin
du XIIIe-fin du XIVe siècle»,
op. cit., 69.
[58] N. Coulet,
«Hôpitaux et œuvres d’assistance dans le diocèse
et la ville d’Aix-en-Provence, XIIIe- mi XIVe s.», Assistance et charité, Cahiers de
Fanjeaux, 13, 1978, 228-229. Voir aussi N. Coulet, «Œuvre d’assistance et gouvernement
urbain. La charité et l’infirmerie d’Aix-en-Provence dans la
seconde moitié du XIVe siècle», Fondations et œuvres charitables, Congrès national des
Sociétés savantes (Nice, 1996), J. Dufour et H. Platelle
(dir.), Paris, C.T.H.S., 1999, 161-174.
[59] M. Gramain,
«Les institutions charitables dans les villages du Biterrois aux XIIe et
XIIIe siècles», op. cit.,
124-126.
[61] Voir par exemple, R. Nougaret,
Hôpitaux, léproseries et
bodomies de Rodez…, op. cit.,
94-95 sur les interventions des consuls et 107-112.
[64] R. Thiers, Esquisse de l’histoire de
Saint-Affrique au Moyen Âge, mémoire DES, U.T.M, 1961,
dactyl., 33.
[68] A Millau, la réglementation est prévue aux articles
10 et 12 de l’ordonnance de 1339 et l’article 3 des
établissements de 1348. Pour un exemple, Arch. mun. Millau, EE 15-5,
f° 32 v°. Pour la reddition de comptes de l’hôpital du Pas
à Rodez, R. Nougaret, Hôpitaux, léproseries et
bodomies de Rodez…, op. cit.,
132-133.
[70] N. Lemaître,
«Finances des consulats et finances des paroisses dans la France du
sud-ouest (XIVe-XVIIe)», op. cit., 111.
[75] J. Imbert,
«Les prescriptions hospitalières du concile de Trente et leur
diffusion en France», Revue
d’histoire de l’Eglise de France, t. 42, n° 138, 1956, 7-8
et note 6.
[76] J. Imbert,
«Les prescriptions hospitalières du concile de Trente et leur
diffusion en France», op. cit.,
5-28 en particulier 9-15.
[77] J. Imbert,
«Les prescriptions hospitalières du concile de Trente et leur
diffusion en France», op. cit.,
16-17.