Université Démocrite de Thrace
- Komotini
Saint Constantin dans l'Eglise d'Orient:
Saints Constantin et Hélène,
protecteurs de
Il y a quelques semaines,
au cours d'un congrès tenu à l'Université de Varna, en Bulgarie, au sujet de
l'histoire et des transformations modernes du droit de famille, notre ami le
Prof. Ivan Biliarsky, en traitant son sujet: «The Sacrament of Marriage in the
Christian Community. Notes on the Nature and the Ritual of the Christian
Marriage», a signalé, en passant, le caractère profondement «impérial» du
rituel nuptial dans l'Eglise d'Orient.
La célébration du mariage
dans l'Eglise d'Orient a connu trois phases historiques, qui se sont succédé:
a) célébration du mariage au cours de la liturgie eucharistique, dans une
«messe nuptiale» dont la bénédiction nuptiale constitue une partie intégrante
les nouveaux mariés reçoivent l'eucharistie au cours de la communion à la fin
de la messe. b) célébration du mariage indépendamment de la liturgie
eucharistique, au cours d'une sorte de "messe des présanctifiés"
privée; les nouveaux mariés reçoivent en communion des espèces eucharistiques
présanctifiées[1].
c) la bénédiction nuptiale est complètement dissociée de l'eucharistie:
célébration du mariage au cours d'une cérémonie nuptiale ad hoc, sans caractère
eucharistique; les nouveaux mariés ne communient pas, mais ils reçoivent de
simple vin béni, d'un calice commun, symbole désormais de leur unité spirituelle
et physique et réminiscence de l'ancienne communion eucharistique. Ce dernier
rituel fut créé (ou, au moins, définitivement instauré) lorsque la bénédiction
religieuse s'est établie en Orient comme la seule forme possible de contracter
un légitime mariage (Novelle 89 de l'empereur Léon VI), et par conséquent la
célébration religieuse du mariage, devenue obligatoire, ne présupposait plus
nécessairement la piété personnelle des mariés, donc leur participation sincère
et consciente à l'eucharistie. Ce rituel est aujourd'hui est pratiquement le
seul à observer. Mais chaque phase de cette évolution historique, y compris la
dernière, n'a pas fait complètement disparaître les pratiques plus anciennes;
qui plus est chaque phase a conservé certains éléments des phases antérieures.
La célébration nuptiale non-eucharistique d'aujourd'hui est un peu calquée sur
la liturgie eucharistiques, dont elle conserve encore certains éléments et
surtout la structure générale - donc un souvenir, ne fût-ce qu'assez vague, de
ses origines eucharistiques.
Or, dans tous ces cas, le
caractère "impérial" de la célébration nuptiale est très évident.
a) Le point le plus
solennel, le point essentiel même, de la célébration nuptiale c'est précisément
le "couronnement" quasi impérial (ou quasi royal) du jeune couple. Le
nom même de la cérémonie, dans les livres liturgiques et dans le langage
courant c'est "le couronnement" (stephanôma,
stepsis): 'Akoulouq…a toà stefanèmatoj
("Officium coronationis nuptiarum")[2]; dans
le langage perlé les verbes “couronner”(stefanènw, stefanèmai) sont les synonymes courants de “marier, se marier”. Si
dans la pratique grecque moderne et actuelle ce couronnement est fait
ordinairement par des couronnes de fleurs (ou des couronnes qui imitent des
fleur de citronnier), dans la pratique grecque byzantine et post-byzantine le
couronnement se faisait par de- véritables couronnes quasi royales ou
impériales; c'est toujours la pratique courante dans le Eglises orthodoxes
slaves.
La formule du sacrement de
mariage est justement: Stšfetai Ð doàloj toà qeoà Ð
de‹na t»n doàlhn toà qeoà t»nde (et:
Stšfetai º doàlh toà qeoà ¹ de‹na tÕn
doàlon toà qeoà tÕnde) e‹j tÕ ×noma toà PatrÕj kaˆ toà Uƒou kaˆ toà 'Ag…ou
PneÚmatoj. Coronatur seuus Dei N. propter ancillam Dei N. (et:
Coronatur ancilla Dei N. propter sevum Dei N.) in nomine Patris et Filii et
Spiritus Sancti[3].
Le mariage est un couronnement.
b) Cet élément, à savoir le
caractère du mariage en tant que couronnement", est souligné
continuellement dans les prières de la bénédiction nuptiale: on cite l'exemple
des Quarante Martyrs de Sébaste (320; fête le 9 mars) «qui ont reçu des
couronnes d'en haut» (katapšmyaj aàto‹j oÙranÒqen toÝj
stef£nouj, caelitus eis coronis demissis)[4];
Dieu «a orné la couronne de tout ce qu'il acréé» (Ð kosm»saj tÕn stef£non p£ntwn tîn pepoihmš non ØpÕ soà, qui omnium a te
productorum adornasti coronam)[5];
on prie: stef£nwson aÙtoÝj e„j s£rka m…an (corona illos in
carnem unam)[6] ;
¢n£labe toÝj stef£nouj aÙtîn e„j t¾n basile…an sou ¢sp…louj kaˆ
¢mènouj kaˆ ¢nepibouleÚtoj diathrîn
e„j toÝj a„înaj tîn a„înwn (coronas eorum in
regno tuo illibatas et immaculats assume et insidiis libras eas conserva, in
saecula saeculorum)[7].
Parfois il y a, avant le couronnement, une prière particulière pour la
bénédiction des couronnes, par l'opération du Saint-Esprit: 'Uper toà eÙlogeqÁnai t£ stšfana taàta tÍ din£mei, tÍ
™pifoit»sei kaˆ tÍ ™nerg…v toà 'Agiou PneÚmatoj. Ut benedicantur coronae
istae virtute, adventu et et operatione sancti Spiritus[8].
Un rituel spécial est prévu
pour l'enlèvement des couronnes (après huit jours!): eÙc¾ e‹j lÚsin stšfanwn tÍ ÑgdÒV ¹mšrv Oratio cum solvuntur
coronae octava die[9].
c) Immédiatement après le
"couronement" des mariés on chante un vers emprunté au Psaume 8.6
"Tu le couronnes de gloire et d'honneur", mis à l'impératif et au
pluriel: "Dieu notre Seigneur, couronne-les do gloire et d'honneur":
(KÚrie Ð qeÕj ¹mîn, dÒxV kaˆ timÍ
stšfanoson aÙtoÝj. Domine Deus noster, gloria et honore corona illos)[10].
On a mis aussi au pluriel les vers psalmiques (prokeimenon) qui précèdent le lectures (Éphes. 5.20-33; Jean
2.1-11), empruntés au Psaume "royal" 21 (20).4-5 («Tu as mis sur sa
tête une couronne d'or fin; tu lui as accordé la vie qu'il demandait, longueur
de jours, encore et à jamais»), précisément un psaume de la "liturgie de
couronnement" d'après
d) Dans de vieux rituels
nuptiaux on rencontre parfois un rite "royal" ou "impérial"
de plus: le rite de l'épée de l'époux. Le prêtre fait coindre une épée à
l'époux[14],
en récitant un autre psaume "royal", le Psaume 45 (44), précisément
un "Epithalame royal", comme le veut
e) L'usage de couronnes, au
cours de la cérémonie nuptiale, est connu aussi dans l'église arménienne. Qui plus est, selon la coutume arménienne,
le jeune mari est appelé pendant les huit jours qui sui vent le mariage takhavor, le roi[17].
Dans les chansons populaires grecs de mariage le mari et son épouse sont
souvent appelés basilias = basileus et basilissa[18].
Les liturgistes ne sont pas
d'accord quant à l'interprétation historique de ce caractère fortement
"impérial" de la célébration nuptiale. Selon les uns, il s'agirait
d'un calque de la véritable cérémonie des noces impériales: le rituel prévu
pour le mariage de l'empereur se serait graduellement étendu à tous les citoyens
de l'Empire. C'est, semble-t-il, l'opinion dominante[19],
fondée sur plusieurs indices. Dans un bon nombre de manuscrits ce rituel est
intitulé: «Rituel à observer pour les noces de l'empereur et des autres gens» (T£xij ginomšne ™pˆ mn»stroij basilšwj kaˆ loipîn ¢nqrèpwn)[20]. D'autres opteraient pour un rapprochement avec le rituel
du couronnement impérial, ordinairement accompagné d'un couronnement de
l'impératrice, l'Augusta - bien que
dans le rituel du mariage les deux époux aient, par contre, un rôle égal et que
leur couronnement soit exactement de la même
nature.
On a proposé une
interprétation théologique: le jeune couple entre, par le mariage, en
possession de la nature et du monde entier, sur lequel il exerce un véritable imperium, qui est précisément lié à sa
mission de faire étendre le genre humain, selon le précepte divin "Soyez
féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la; dominez sur les
poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la
terre"(Gen. l. 28)[21].
C'est justement le sujet de ce Psaume 8, que nous avons rencontré, récité en
entier ou par des versets isolés dans la cérémonie nuptiale: "Qu'est donc
le mortel que tu t'en souviennes, le fils d'Adam que tu le veuilles visiter? A
peine le fis-tu moindre qu'un dieu; tu le couronnes
de gloire et de beauté, pour qu'il domine sur 1'oeuvre de tes mains; tout fut
mis par toi sous ses pieds: brebis et bœufs, tous ensemble, et même les bêtes
des champs, l'oiseau du ciel et les poissons de la mer, quand il va par les
sentiers des mers".
En tout état de
cause, il s'agit d'un imperium. En
termes de droit public et d'idéologie politique romains, le rapprochement du
rite byzantin de mariage avec le cérémonial proprement impérial (qu'il s'agisse
du rite de couronnement impérial ou des noces impériales) pourrait refléter un
élément fondamental, qui subsiste. ne fût ce que sous une forme sous-jacente,
tout le long de l'histoire institutionnelle de Byzance. à la fois le caractère
"démocratique" du pouvoir impérial ou, vice-versa, la notion de l'imperium, de la souveraineté suprême,
qui réside essentiellement dans le peuple romain, dont le noyau est la familia romaine, même cette familia transformée maintenant en
famille chrétienne byzantine[22].
Les citoyens romains, que sont toujours les Byzantins, malgré tout
l'absolutisme du pouvoir, qui en a fait en réalité de simples sujets, partagent
donc institutionnellement cet imperium.
En effet, on connaît
bien que, nonobstant l'existence d'un rituel byzantin de
culte"impérial", d’"adoration impériale" ou de
"liturgie du palais" d'origine hellénistique et orientale – ce sont
des termes employés par le byzantiniste français Louis Bréhier[23]
–, sur le plan juridique la res publica romaine
se continue, théoriquement sans interruption. Si dans l'idéologie politique
byzantine, ce qu'on a appelé "la théologie impériale", l'Empire est
l'image terrestre, la seule image possible, du Royaume de Dieu, destinée donc
comme telle à l'universalité et, pour ce qui est de ce monde, à 'éternité, sur
le plan "constitutionnel" l'Empire "n'est pas une théocratie
mais une institution ou moins depuis humaine", pour citer encore Louis
Bréhier. Si la succession par voie héréditaire ou quasi héréditaire est une
réalité largement établie dans la pratique et dans la conscience byzantines, au
moins depuis une certaine époque, au point même de créer une notion
de"légitimité dynastique", celle-ci n'est jamais devenue dans
l'Empire d'Orient une institution ou une nécessité constitutionnelle".
C'est "le caractère providentiel du pouvoir" voire "le caractère
démocratique" de l'avènement à l'Empire qui «explique à Byzance aussi bien
qu'à Rome l'absence d'une loi de succession au trône»[24].
Théoriquement tous les citoyens orthodoxes de l'Empire peuvent avoir des aspirations
au trône - même les femmes n'en sont
pas exclues; Byzance, profondément romaine en matière de droit, n'a jamais
connu de "loi salique". C'est ainsi que jusqu'à la fin de l'Empire,
l'avènement du nouvel empereur est resté, de ce point de vue juridique voire
"constitutionnel", une procédure "démocratique" et
"laïque", où la volonté de
L'extension voire la
généralisation de l'emploi du cérémonial de couronnement ou plutôt de mariage
impérial ne serait pas le seul vestige, de ce genre, du caractère
"démocratique" inhérent a l'Empire. ne fût-ce qu'à l'état latent,
voire du caractère "impérial" qui appartient au peuple romain, et
dont serait, théoriquement, investi chacun des citoyens.
On en voit, par
exemple, un vestige dans le rôle des factions de l'hippodrome (les dèmes) lors de la célébration de
l'Anniversaire de la fondation de Constantinople, le 11 mai - dix jours avant
la fête de saint Constantin, le 21 mai. Pour citer le grand spécialiste en la
matière, Gilbert Dagron: «tout nous conduit à penser que les jeux du 11 mai ont
été conçus comme un rituel de renouvellement dynastique et comme une sorte de
contrat mystique liant l'empereur au peuple de sa ville... Même lorsque cette tradition s'est affadie, le Livre des cérémonies [de l'empereur Constantin VII Porphyrogénète
(912-959)] nous avertit que la faction la plus populaire, celle des Verts,
garde le 11 mai une prééminence qui lui est refusée aux autres fêtes. Ce
jour-là le peuple de Constantinople devait se sentir plus particulièrement
l'héritier de la victoire constantinienne et de la légitimité impériale»[27].
On nous dit, en effet qu'à l'origine ces représentants du peuple, les chefs des
factions (les démarques), portaient,
ce jour-là, des vêtements presque impériaux
– «dont Tibère s'inquiète et qu'il fait proscrire» d'assez bonne heure à la fin
du VIe siècle[28].
Or, même ainsi, dans les acclamations des factions lors de l'anniversaire de
Un
autre exemple plus récent. On sait que l'une des prérogatives plus importantes
de l'empereur byzantin, au niveau d'idéologie politique, a toujours été la
commémoration de son nom au cours des services religieux de l’église orthodoxe, même dans des
régions qui ne rêvaient pas - ou ne relevaient plus - de son pouvoir, marque du
caractère supraterritorial et universel de l'Empire. Or, après la prise de
Constantinople, dans la pratique liturgique, les commémorations prévues pour
"l'empereur pieux" ont été ordinairement remplacées par une
commémoration des "chrétiens pieux et orthodoxes" – une évolution
qu'on peut facilement suivre à travers les manuscrits liturgiques de la période
ottomane. De la même manière, dans la liturgie pontificale. l'acclamation
solennelle: "Seigneur, sauve les pieux empereurs" a été écourtée en:
"Seigneur, sauve les pieux" – soit pour faire allusion à la
"vacance" de la dignité impériale des Romains soit en se référant
directement au peuple chrétien orthodoxe comme son véritable dépositaire –
dépositaire de la continuité et de la perpétuité impériales. On dirait: une
survivance latente ou sous-jacente, à travers le siècles, du concept
juridico-politique de la souveraineté du populus
romanus. En termes de théorie politique ou "constitutionnelle"
romaine: l'imperium, qui appartient
au peuple romain", est, á l'absence d'empereur, simplement et automatiquement
restitué à ce peuple - déguisé maintenant sous le nom du corps ecclésial.
Et saint Constantin?
C'est cet aspect
particulier. et quelque peu ignoré, du culte de saint Constantin et de sainte
Hélène dans l'Eglise d'Orient (les deux saints sont fêtés et commémorés
toujours en commun) que nous désirons évoquer ici. Les deux saints sont un peu
considérés comme les protecteurs du lien conjugal et de la famille chrétienne!
a) Au cours de la
célébration nuptiale "la bienheureuse Hélène" est spécialement évoquée:
Kaˆ Ÿlqoi ™p/aÙtoÝj ¹ car¦ ™ke…nh,
¼n œscen ¹ makarˆa 'Elšnh Óte eáre tÕn t…mion staurÕn (Superveniat
illis gaudium illud quod affecta est beata Helena cum pretiosam crucem advenit)[30].
b) A la bénédiction
finale (apolysis,
"dimissio") de l'office de mariage les deux saints sont
particulièrement invoqués pour la protection des jeunes mariés: ta‹j presbe…aij...tîn ¡g…wn qeostšptwn Basilewn kaˆ
„sapostÒlwn Kwnstant…nou kaˆ 'Elšnhj (intercessionibus ...sanctorum divinitus
coronatorum regum et apostolis aequalium Costantini et Helenes)[31].
Jacques Goar fait remarquer cette fonction spéciale des saints protecteurs du
mariage: «Costantinum autem et Helenam ut privatos sibi a caelo datos
protectores, hic vero ut coniugio insignes, Graeci invocant»[32].
c) Comme l'office de
mariage ne comporte pas d'hymnes propres, on y insère souvent
traditionnellement, pendant la célébration nuptiale, des hymnes empruntées à
d'autres offices de la liturgie. Or, selon un usage liturgique assez répandu,
confirmé aussi par un bon nombre de manuscrits[33],
les deux hymnes principales de la fête de saint Constantin (21 mai), le kontakion et surtout l'apolytikion, le "tropaire"
typique ou caractéristique de la fête, sont parfois chantées au début de la
célébration du mariage[34].
Apolytikion: «Ayant vu dans le ciel l'image de ta Croix et ayant reçu, comme Paul, un
appel qui n'était pas d'origine humaine, l'empereur devenu Ton apôtre,
Seigneur, a confié la ville impériale en Tes mains. Garde-la toujours dans la
paix, par l'intercession de
Kontakion:
«Aujourd'hui Constantin avec sa mère Hélène nous montrent
Curieuse fonction
réservée à ces saints, qui. tous les deux, ne, sauraient jamais être regardés,
en tout état de cause, comme des exemples d'heureuse vie familiale ni comme des modèles de vie conjugale...
Les Byzantins, bien qu'ils ne le disent pas souvent, ont,
semble-t-il, pleine conscience des péripéties de la vie familiale de Constantin
- réelles ou légendaires; l'histoire de la mort de son fils, par la concubine
Minervina, le césar Crispus (exécuté à Pola en Istrie avant le 18 juillet 326),
de la mort aussi, violente ou accidentelle (avant cette date), de la seconde
femme de Constantin. Fausta, la fille de Maximien. C'est surtout le récit,
"palen" de Zosime qui sert de texte de base: les deux
"meurtres" (?) y sont associés dans une seule histoire d'amour et de
vengeance, calquée sur la fable d'Hippolyte et de Phèdre. Bien que des auteurs
chrétiens "dès l'époque de Cyrille d'Alexandrie, de Sozomène ou d'Evagre,
[aient] réfuté ces allégations qui ternissaient l'image de saint Constantin, en
les qualifiant de mensongères et en les attribuant parfois aux ariens", la
tradition chrétienne n'a pas définitivement rejeté le prétendu noyau historique
du récit: Parastaseis syntomoi chronikai, § 7, dans les Patria Constantinopoleos (éd. Th.
Preger, Scriptores originum constantinopolitanarum, Leipzig
1901-1907, p. 23-24). sans mentionner explicitement l'histoire des amours de
Fausta et de Crispus. Un remanieur du Xe siècle, dans les Patria (II _§
93) fait même entrer ce dernier élément dans la narration; il fait même de
Fausta la mère propre de Crispus [appelé ici: Crescens]: di¦ tÕ e„j Øpoy…an ™lqe‹n ™pˆ
FaÚstV tÍ mhtrˆ aÙtoà (éd. Preger,
200-201). Mais les narrations chrétiennes ne reprennent pas l'accusation
formulée par Zosime contre sainte Hélène comme instigatrice du meurtre de
Fausta[36];
en revanche, ils attribuent à Hélène, la pénitence de Constantin, tout au moins
pour ce qui est de la mise à mort de
Crispus: (éd. Preger, ibid.). En
effet les auteurs chrétiens, loin de réfuter la narration traditionnelle, y ont
vu plutôt un exemple de la puissance de la pénitence (qui plus est: des effets
du baptême!) - ce qui ne va pas beaucoup à l'encontre de l'interprétation de
Zosime: "L'âme de l'empereur est alors en proie au remords; il s'adonne au
christianisme comme à la seule religion qui accorde le pardon de crimes aussi
odieux. Il renie le paganisme de ses pères" et "comme il ne
supportait plus les injures qu'on lui adressait pour ainsi dire de toute part,
il chercha une ville qui fût le contrepoids de Rome et où il pût établir le
siège de son Empire", même si, comme le fait signaler Gilbert Dagron,
«l'explication psychologique de Zosime repose sur une erreur chronologique»[37].
On a aussi parfois proposé des raisons politiques pour justifier le double
meurtre: ce serait la raison d'etat,
sans doute une conspiration contre le pouvoir impérial, et non pas des
considérations d'ordre personnel voire une vengeance personnelle, qui se trouve
derrière ces actes...
Les sources
ecclésiastiques byzantines connaissent aussi la vérité quant aux réalités peu
exemplaires de l'état personnel et familial de sainte Hélène, celui de
concubine ou de femme "semi-légitime", par la suite répudiée - bien
qu'elles le disent encore moins souvent. Un liturgiste grec de nos jours
souhaitait, il y a une trentaine d'années, que l'usage au moins de chanter des
hymnes de saints Constantin et Hélène au cours de la cerimonie nuptiale, un
usage qui relève de la simple coutume qui ne se trouve pas dans les livres
liturgiques officiels, ne fût pas encouragé: «le rapprochement qu'on essaie y
faire est tellement curieux et recherché», dit-il [38].
En fait, dans la région d'Athènes cet usage, si jamais établi, a depuis
longtemps été oublié.
Comment donc cette
fonction de protecteurs du mariage a-t-elle été attribué à nos saints?
Des synaxaires (ou Vies de Saints) ont essayé faire des allusions à des réalités
historiques: «Par la suite, [Constantin] encouragea l'institution de la
famille, comme base de l'édifice social, en limitant le divorce, condamnant l'adultère
et en légiférant sur les droits d'héritage... [il] soutenait les veuves et se
faisait le père des orphelins»[39].
Mais il s'agit plutôt là de constructions ou d'interprétations récentes ou
modernes, ignorées, semble-t-il, de la tradition byzantine.
Il ne faut pas voir
ici non plus ce que Gilbert Dagron a ingénieusement remarqué. Hélène se serait
substituée, dans la conscience collective byzantine, à une épouse chrétienne de
Constantin, qui faisait défaut, mais dont la présence était nécessaire dans l'ordre
des choses: «Hélène, à laquelle le Constantin de la légende se trouve
finalement associé comme à une épouse dans la fondation de Constantinople et
dans la sainteté, ajoute à cette histoire une dimension supplémentaire et
conduit à interpréter cette élimination du fils et de la femme au profit de la
mère comme une régression aedipienne»[40].
A plus forte raison, on la ne saurait voir ici un véritable malentendu
historique qui eût fait vraiment d'Hélène épouse de Constantin: les
représentations iconographiques fréquentes des deux saints en
"couple" hagiographique, le culte commun, auraient été théoriquement
da nature à créer un tel gros malentendu dans la conscience populaire, mais il
n'en existe pas, autant que je sache, da traces, et, en tout cas, cela ne
saurait pas se produire dans la liturgie de mariage.
Ce n'est donc pas
dans le caractère proprement "matrimonial" da la célébration nuptiale
qu'on devrait placer l'invocation de la protection des saints Constantin et
Hélène, mais plutôt au caractère "impérial" de la célébration, que
nous avons essayé de décrire. Les saints, premiers empereurs chrétiens da
l'Empire chrétien, empereurs "couronnés par Dieu" (theosteptoi), sont invoqués presque
naturellement dans une cérémonie da fort caractère "impérial", laquelle
consiste essentiellement dans le "couronnement" quasi impérial ou
royal du jeune couple.
[1] Un rituel analogue, à savoir une sorte de «messe des
présanctifiés» privée voire personnelle, réduite au minimum, est prévu pour la communion des malades. Dans
les deux cas on devrait placer les
espèces eucharistiques présanctifiées (le pain consacré et du vin) sur l’antimension ou autel portatif et en
opérer l'élévation par l'acclamation liturgique: Ta (prohegiasmena) hagia tois hagiois ("Praesanctificata
sancta sanctis" ou, d'après Jacques Goar, Praeconsecrata sancta sanctis): J.Goar, Euchologion sive Rituale
Graecorum, (Paris 1647), 2Venise 1730,
p. 162, 168. Voir P.N. Trempélas, MikrÕn EÙcolÒgion, Athènes 1940, 21998, p. 21-24; 68-72. Sur l'emploi des présanctifiés au
cours de la célébration nuptiale, comme pratique courante encore au XVe siècle,
voir Syméon de Thessalonique: (PG 155, col. 507).
[2] Goar, p. 314 (-325);
Trempélas, p. 47 (-102).
[3] Goar, p.
317-318; Trepélas, p. 29-31, 63-64. - Dans une tradition secondaire: Et
coronat eos dicens. Coronatur sevus Dei N. incorruptionis corona, in nomine
Patris... eodem pacto coronatur
et femina (Goar, p. 321-322). Cf. Trempélas, p. 61 cf p. 64.
[4]. Goar, p. 317; Trempélas, p. 58
[5]
Goar, p. 319;
Trempélas, p. 71.
[6] Goar, p. 317;
Trempélas, p. 60. Dans une tradition secondaire: Corona illos tua gratia (Goar,
p. 321-322). Cf. aussi kaˆ par£scou to‹j doÝloij sou
toÚtoij...tÕn ¢mar¢ntinon tÁj dÒxhj stšfanon. Et famulis tui
immarceSsibilem gloiae coronam praebe [I Pierre 5.4] (Goar, p. 316; Trempélas, p. 55).
[7] Goar, p. 320; Trempélas, p. 78.
[9]
Goar, p. 325-326; Trempélas. p.
80-81 cf. p. 77-78. Encore une allusion
biblique à un "couronnement": KÚrie
Ð qeÕj ¹mîn Ð toà ™niautoà tÕn stšfanon eÙlog»saj...(Ps. 65
[64]. 12: "Tu couronnes l'année de tes bontés", Vulgate: benedices coronae anni benignitatis tuae).
Voir aussi infra n. 22.
[10] Goar, p. 318 cf. p. 322 (infra n. ll); Trempélas, p. 29-31, 64 cf. p. 61
[11] Goar, p. 318; Trempélas, p. 65 cf, p. 61-62. - Dans une
tradition secondaire c'est encore le verset Ps.
8.6 (DÒxV kaˆ timÍ ™tef£nwsaj aÙtoÝj) qui précède la lecture (prokeimenon): Goar, p. 322.
[12] Trempélas, p. 28, 62; J.
M. Phountoulès, 'Apant»seij e„j leitourgi¦j ¢por…aj, I, Thessalonique 1973, p. 200.
[13] Trempélas, p. 28;
Phountoulès, p. 200.
[14] Trempélas, p. 28-29, 52; Phountoulès, p. 200.
[15] Ou plutôt la première partie, jusque "ta
droite" (Trempélas, p. 52); ces mêmes
vers sont récités par l'évêque ou par des prêtres gratifiés de certaines
dignités ecclésiastiques, lorsqu'ils portent l'épigonation, ornement, liturgique en forme de losange qui
représente une épée schématique. laquelle équivaudrait à l'épée portée par des
dignitaires militaires et civils d'un rang analogue: Goar, p. 48 cf. p. 98-
[17] . C. Kallinikos, `O cristianikÕj naÕj kaˆ t¦
teloÚmena ™n autù, Athènes?, p. 652,
nouvelle éd. ( reimpr.2002), p, 514; Trempélas, p. 29.
[18] Kallinikos (nouvelle éd.), p. 514.
[20] Trempélas, p. 24;
Phountoulès, p. 200: cod. Atheniensis Bibl. Nat. 662, 1910; Parisinus Coisl,
gr. 213.
[21] Trempélas, p. 28;
Phountoulès, p. 200.
[22] Interprétation plus simpliste par Kallinikos. p. 513: les
couronnes seraient le symbole du pouvoir que le père de famille au le couple
des époux exerceront désormais dans leur propre maison, sur leurs enfants et
leurs domestiques (tÁj ™xous…aj kaˆ ¹gemon…aj ¼n ™n
tù ˜autîn oŠkw ™pˆ tîn tšknwn kaˆ o„ketîn q¦ ¢sk»swsi).
[23] Le monde byzantin.
3. Les institutions de l’Empire Byzantin, Paris (11949) 21970, p. 49-75.
[24] Cf. ibid. p.
14-15, 21-41. - Sur ce sujet voir, en dernier lieu: I. Medvedev. "`H sunodik¾ ¢pÒfash tÁj 24 Mart…ou 1171 æj nÒmoj gi¦ t¾ diadoc¾
stÕ QrÒno toà Bizant…ou", Byzantium in the 12th Century: Canon Law, State and Society, ed. by N.Oikonomides, Athénes 1991, p.
229-238.
[25] ibid.
p. 14.
[27] G. Dagron, Naissance d'une capitale: Constantinople et
ses institutions de 330 à 451, Paris 1974, 21984, p. 309.
[28] Cédrènos (éd de Bonn), I. p. 688; Dagron, Naissance, p. 309.
[29] éd. Vogt, Il, p. 149. Les chantres/crieurs
interviennent ici pour "corriger" cette impertinence: "(La foi)
d'un tel et un tel, les grands empereurs (est victorieuse), oui, dites-le: d'un
tel et un tel, grands empereurs!". Le peuple se borne à répondre: oui,
Seigneur viens à 1eur aide!".
[30] Goar, p. 317; Trempélas, p. 57-58.
[31] Goar, p. 320; Trempélas. p. 80. «Couronnés par
Dieu- (theostepotoi) et
Égaux-aux-Apôtres (isapostoloi)»
sont les attributs constamment employés pour saints Constantin et Hélène
dans toute la littérature ecclésiastique et liturgique byzantine.
[32] Goar, p. 325 n. 12. Dans cette bénédiction finale,
à l'exception de l'invocation omniprésente de
[33] Atheniensis Bibl.Nat. 829: seuls les
"tropaires" de saint Constantin; Atheniensis Bibl.Nat. S.64, Metochii
S.Sepul. 8 et 615, Athous Pantocr, 149, Sinaiticus gr. 996: conjointement avec
d'autres "tropaires".- Sur la pratique d'insérer des
-"tropaires", de provenance diverse dans le rite de mariage:
Phountoulès, p- 193-196 (N. 96). 199; cf. Trempélas, p. 100-101.
Particulièrement sur les "tropaires" de saint Constantin: Phountoulès,
p. 198-200 (N. 98-99)
[34] En principe, l'apolytikion
est chanté au début du rite nuptial (Phountoulès, p. 198 N. 98); le kontakion au début du rite des
fiançailles religieuses (Phountoulès, p. 198 N. 99), célébrées ordinairement
(et même en Grèce aujourd'hui par nécessité juridique et canonique) juste avant
la célébration du mariage et conjointement avec cette dernière ('Akoulouq…a ginomšne ™p„ mn»storoij ½goun toà ¢rrabînoj.. Ordo servasi solitus in sponsalibus
celebrandis videlicet in nuptiarum subarrhatione: Goar,
p. 310- 314; Trempélas, p. 34-46)
[35] Cette hymne, qui appartient à une époque postérieure,
reprend un thème de l'office ce saint Constantin qu'il n'est pas facile
d'interpréter: celui de Constantin défenseur du christianisme contre les Juifs.
Ce serait là une réminiscence imprécise des Actes
de saint Silvestre, où ce thème se rencontre aussi (cf. H. Delehaye, Synaxarium Ecclesiae Constantinopolitana e
codice Sirmondiano... adiectis synaxariis selectis = Propylaeum ad Acta
Sanctorum Novembris, Bruxelles 1902, col. 366: bien que cette littérature
n'ait joué qu'un rôle marginal dans l'établissement de la légende
constantinienne byzantine. Voir, on dernier lieu. P. Andrist, "Les Objections des Hébreux): un document
du premier iconoclasme?", Revue dles
Etudes Byzantines, 57 (1999),
99-140, un article qui va beaucoup plus loin que son titre ne l'indique. Ou
bien il s'agirait d'une continuation de la tradition des kontakia plus anciens, par excellence de ceux du maître du genre
saint Romanos le Mélode (très probablement lui – même – d'origine juive), où on
retrouve un fort esprit, d'anti-judaïsme. Il est vrai que nous ne possédons pas
de kontakion de Romanos pour saint
Constantin; mais il y a des références très importantes dans d'autres kontakia authentiques de ce grand poète.
Ici encore Constantin n'est pas le successeur des empereurs romains, mais celui
des grandes figures de l'Ancien Testament, légitime continuateur de la mission
d'Abraham et de David, puisque le peuple d'Israël en est déchu: «Celui qui
gouverne tous les siècles avec bonté, le Miséricordieux, dans son vouloir très
sage, suscita l'empereur Constantin…, un homme de foi» comme successeur á «la
race d'Abraham et à David... Il imita son ancêtre, il avéra sa filiation…».
Comme Abraham a vaincu son ennemi à la tête d'une armée de 318 hommes fidèles
(Gén. 14.14), de la même façon lui aussi, «l'empereur fidèle et vaillant» a
vaincu les hérétiques athées par une armée de 318 guerriers (les Péres
conciliaires de Nicée I) [cantique 23. 18 = 30. 18 "Hymne de l'Adoration
de
[36] La phrase des Patria: di¦ tÕ e„j Øpoy…an ™lte‹n ™pˆ FaÚstV tÍ mhterˆ aÙtoà ne signifie pas: "parce que [Crispus] a éveillé les soupçons de la
mère [de Constantin], à propos de [ses relations avec] Fausta", comme
Gilbert Dagron comprend, semble-t-il, ce passage ("précise que les
soupçons pesant sur Crispus venaient de Fausta et que cette dernière fut
exécutée à l'instigation d'Hélène": Constanitinople
imaginaire: Etudes sur le recueil des
Patria, Paris 1984, p. 94), mais: "parce que [Crispus] a
éveillé les soupçons [de Constantin; Cf. juste avant: lšgousin ¢pokefalisqÁnai ØpÕ toà patrÕj], à propos de [ses
relations avec] Fausta, sa propre mère".
[37] G. Dagron, Naissance, p. 20. Voir l'analyse détaillée de
ce sujet par Dagron, ibid., p. 19-22
et surtout Constantinople imaginaire, p. 93-97.
[38] Phountoulès, p. 199: 'Omologoumšnwj de eŒnai tÒso per…ergoj Ð suscetismÕj poÝ œgine kaˆ
paratrabhgmšnoj, éste den q¦ hÜceto kaneˆj t¾n di¦dosi aÙtÁj pr£xeoj, Óso kaˆ
¥n ¹ eÙl£bei£ tou prÕj toÝj prètouj cristianoÝj basile‹j q¦ Ãtan meg£lh.
[39] Le Synaxaire. Vies des saints de l’Eglise orthodoxe, adaptation française par le hiéromoine Macaire
de Simonos-Pétras, IV, Thessalonique 1993, p. (327-336) 334 (à titre simplement
indicatif: plusieurs "améliorations" adoptées dans le texte
traditionnel, additions modernes interpolées).