N° 2 - Marzo 2003 – Lavori in corso – Contributi

 

 

COMMUNAUTES RELIGIEUSES ET SYSTEME POLITIQUE AU LIBAN

 

NABIL MAAMARI

Université Saint Joseph – Beyrouth

 

 

 

Sommaire: Introduction 1- La formation du système communautaire - 1.1- Les origines des communautés religieuses au Liban - 1.2 - Le système communautaire dans le Liban moderne – 2 - Vers la suppression du système communautaire? - 2.1- La révision de la Constitution - 2.2 - Le contre-courant - Conclusion

 

 

Introduction

C’est sans doute au «pays du cèdre» que les relations entre traditions religieuses et institutions politiques présentent le plus d’originalité. Il ne s’agit d’ailleurs pas de simples influences indirectes des premières sur les secondes: les groupes religieux dominants eux - mêmes y jouissent en effet d’une assise constitutionnelle incomparable, à tel point qu’on peut dire sans exagération que ce sont eux qui forment jusqu’à présent l’Etat. Il suffit pour s’en convaincre de remarquer que la possession de la nationalité libanaise ne peut être dissociée de l’appartenance, au moins formelle, à l’une des dix-huit communautés religieuses qui y sont reconnues officiellement. Ceci, on s’en doute aisément, ne va d’ailleurs pas sans poser à l’heure actuelle certains problèmes, qu’il faudra un jour ou l’autre se résoudre à régler. Quelles sont donc ces communautés et d’où viennent-elles? Par quel cheminement en sont-elles venues à acquérir le statut qu’elles possèdent de nos jours? Quel est et quel sera dans l’avenir leur rôle et leur place dans l’Etat? La révision de la Constitution libanaise, opérée par la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990, annonçait un processus de suppression par étapes du système de partage du pouvoir politique par les communautés. Mais neuf ans plus tard, il faut constater que ce processus marque le pas et que le dernier mot n’a pas encore été dit, car si l’abolition de ce que les Libanais appellent le confessionnalisme (en arabe at-taïfia) a ses raisons et ses défenseurs, son maintien a également ses défenseurs et ses théoriciens. Aussi convient-il de tenir compte de cette charnière de 1990 pour organiser le présent exposé, en parlant d’abord de la formation du système communautaire et de sa consolidation jusqu’en 1990 (1), pour poser ensuite la question de son avenir (2).

 

1. La formation du système communautaire

 

Le système communautaire adopté au Liban provient principalement de la conjonction de deux données: d’un côté, la multiplication, en Orient, des Eglises chrétiennes à la suite des schismes des premiers siècles et du Grand schisme de 1504 et la survie de ces Eglises, en plus du judaïsme, à l’ombre de l’islam (1.1), et de l’autre, l’organisation de ces groupes, auxquels se sont ajoutés des groupes musulmans, non pas comme un ensemble groupe dominant - minorité, mais comme une mosaïque de minorités dans le Liban agrandi de 1920 (1.2).

 

1.1-   Les origines des communautés religieuses du Liban

 

L’histoire des communautés religieuses du Liban est complexe, voire obscure dans certains de ces éléments, tels que les débuts de la communauté maronite, qui constitue actuellement le groupe majoritaire parmi les communautés chrétiennes. Mais en même temps qu’elle explique les origines du système politique actuel au Liban, cette histoire se confond dans une large mesure avec l’histoire des groupes religieux dans toute la région du Proche - Orient. Elle remonte au IVe siècle après Jésus-Christ, à l’époque où les querelles théologiques, notamment christologiques, aux suites souvent sanglantes, ont divisé les chrétiens d’Orient et provoqué les premiers schismes. A ces débats sur la nature du Christ venaient d’ailleurs se mêler des considérations d’ordre politique, et on peut dire nationalistes, reflet de l’opposition entre Constantinople d’un côté, et les chrétiens de Syrie, de Mésopotamie, d’Arménie, d’Egypte et d’Ethiopie de l’autre[1].

 

La doctrine orthodoxe

La doctrine de l’Eglise officielle des premiers siècles du christianisme, celle de Rome et de Constantinople, telle qu’elle sera précisée lors des premiers conciles (et telle qu’elle existe encore de nos jours), considérait que le Christ réunit en sa personne unique deux natures intimement liées: une nature divine et une nature humaine. Cette Eglise était organisée en quatre Patriarcats qui sont, en plus de Rome: Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Le Liban et la Syrie sont compris dans le patriarcat d’Antioche.

 

L’arianisme

On sait que la doctrine d’Arius, selon laquelle le Christ n’a pas existé de toute éternité, mais a été créé par Dieu le Père, a été condamnée comme hérésie par le concile de Nicée en 325 (je renvoie ici à l’excellente communication de M. Antonio Piras). Mais Arius sera rappelé d’exil par l’empereur Constantin lui-même et on a continué, pendant les siècles qui ont suivi, à se poser les mêmes questions: le Christ avait-il deux natures, divine et humaine, ou une nature unique et laquelle? Dans le premier cas, n’avait-il pas une seule volonté?

 

Le nestorianisme

Parmi les doctrines qui ont été élaborées à ce sujet, il faut mentionner le nestorianisme (du nom de Nestorius, archevêque de Constantinople de 428 à 431) doctrine selon laquelle les deux natures du Christ s’unissaient par la volonté de Dieu, mais bien qu’agissant comme une seule personne, elles ne formaient pas l’unité d’un seul individu. C’est pour cette raison que la vierge Marie ne peut être nommée «mère de Dieu», la nature divine du Christ ne venant pas d’elle, mais de Dieu le Père. Seule la nature humaine du Christ a subi les souffrances de la crucifixion. Le nestorianisme fut donc condamné comme hérésie au Concile d’Ephèse en 431. Le nestorianisme se développa alors loin de Constantinople, en Perse et en Mésopotamie. L’Eglise nestorienne indépendante fut proclamée, qui eut son patriarche et ses évêques, sa théologie, sa liturgie et son droit canonique. La foi de ses adeptes les conduisit en Arabie et même, au XIIIe siècle, en Inde, en Chine et en Mongolie. La majorité des nestoriens, appelés également assyriens, se trouve actuellement en Irak. On trouve également des assyriens en Syrie. Au Liban, ils constituent, sous la nouvelle dénomination de «Communauté orientale assyrienne orthodoxe», l’une des dix-huit communautés dites historiques, c’est-à-dire reconnues officiellement et prenant part au système communautaire qui sera décrit plus loin.

 

Les nestoriens de l’Inde finirent par rejoindre l’église catholique au XVIe siècle à la suite de l’occupation portugaise. Certains nestoriens d’Irak firent de même; ils supprimèrent naturellement le terme de nestoriens de leur dénomination et conservèrent celui de chaldéens. Mais les chaldéens ont également leur Patriarcat au Liban, et constituent, eux aussi, l’une des communautés officielles. D’autres nestoriens rejoignirent le Patriarcat jacobite d’Antioche qui adopte la doctrine monophysite.

 

Le monophysisme

Celle-ci était prêchée par le moine Eutychès, pour qui le Christ n’avait qu’une seule nature: la nature divine. En 449, un Synode des plus agités, réuni à Ephèse, réussit à proclamer la vérité de cette doctrine. Mais le Pape Léon 1er, qualifiant l’événement de «brigandage» (latrocinium), fit réunir en 451 par l’empereur d’Orient Marcien le concile de Chalcédoine. Celui-ci, groupant six cents évêques, annula les décisions du «faux synode d’Ephèse», et condamna l’eutychianisme. La controverse ne fit alors que s’amplifier. Excommuniés au début du VIe siècle sous la pression de l’empereur Justinien, les monophysites formèrent leur propre Eglise. Les Patriarcats d’Antioche et d’Alexandrie (mais non celui de Jérusalem) se divisèrent chacun en deux Patriarcats ennemis: tandis que les fonctionnaires et les familles d’origine ou de culture grecque, en Syrie, en Palestine ou en Egypte, restaient fidèles aux quatre Patriarches impériaux «chalcédoniens», les autres Syriens, les Arméniens, les Coptes et les Ethiopiens, donnant aux premiers le surnom de Melkites (du syriaque mlaka et de l’arménien malik, «roi», pour dire qu’ils sont partisans de l’empereur), se ralliaient aux patriarches monophysites. Ces Eglises nouvelles créèrent chacune sa hiérarchie, sa liturgie et son droit canonique: Eglise jacobite en Syrie (du nom de Jacob Baradaï, moine syrien, évêque d’Edesse), Eglise arménienne, Eglise copte, Eglise d’Ethiopie.

 

Les maronites

Quant aux maronites, c’est une communauté qui a pris naissance au nord de la Syrie aux environs de la ville de Hama, autour d’un moine anachorète du nom de Maro, ou Maron (mort vers 410). On a avancé l’hypothèse qu’ils aient adopté, à un moment de leur histoire, le monothélisme, doctrine qui affirme que si le Christ possède deux natures, il a en revanche une seule volonté: la volonté divine (doctrine réfutée par les auteurs maronites actuels)[2]. Mais ce qui est certain, c’est qu’ils se sont opposés aux monophysites. Vers 685, les maronites éliront un des leurs, Jean-Maron, «Patriarche d’Antioche», élection qui reçut l’assentiment du pape, mais que l’empereur Justinien II, aurait considérée comme un défi à son autorité[3]. Ceci expliquerait les persécutions dont cette communauté aurait fait l’objet de la part de l’armée de l’empereur, persécutions qui seraient venues s’ajouter à celles provenant des monophysites, auxquelles s’ajouteront plus tard les persécutions des Mamelouks; ceci expliquerait en même temps que l’Eglise maronite appartiendra après le Schisme d’Orient, et dès le XIIe siècle, à la grande Eglise catholique romaine. Mais on ne sait pas exactement sous l’effet de quelle persécution les maronites se sont mis à émigrer vers le Liban à partir de 625. Parmi les chrétiens de ce pays, ils constituent de nos jours la communauté majoritaire.

 

L’arrivée de l’islam en Syrie et en Palestine en 636, puis en Egypte quelques années plus tard, loin de mettre fin à l’existence des communautés chrétiennes et juives dans la région, leur a assigné un statut spécifique, en raison de l’enseignement du Coran qui exigeait que l’on tolère les «gens du Livre». Certes, ce précepte sera très souvent transgressé, notamment par les Mamelouks, mais les communautés chrétiennes et juives, qui ne pouvaient pas faire partie de la Oumma, communauté des fidèles constituant la nation islamique, étaient reconnues en tant que sociétés indépendantes, ayant chacune sa propre organisation religieuse, sociale et juridictionnelle. Leurs membres constituaient les Dhimmis, personnes sous protection, soumises à une taxe spéciale, la Jizya. Ce statut, on le voit, était de nature à les préserver dans leur identité[4].

 

Mais l’islam eut à son tour ses schismes et ses dissidences, et certains groupes de chiites, d’alaouites, d’ismaélites et de druzes ont fini par trouver leur chemin vers les montagnes boisées du Liban, si propices à l’isolement.

 

Le schisme d’Orient, qui vit la rupture, en 1054, entre l’Eglise catholique romaine et l’Eglise d’Orient, n’eut pas de répercussions immédiates sur les Eglises dont la formation a été décrite plus haut. A l’exception de l’Eglise maronite, qui a toujours conservé ses liens avec l’Eglise latine, celles qui étaient fidèles à l’orthodoxie de Rome et de Constantinople se sont ralliées par la nature des choses à Constantinople, sous la houlette de l’islam qui, en raison des croisades, se méfiait de l’Eglise latine. Mais le Vatican a commencé à partir du XVIIe siècle à s’intéresser à la région en y envoyant des missionnaires, ce qui conduisit à de nouvelles scissions au sein de certaines des Eglises établies, dont certains de leurs membres se sont ralliés à Rome, en créant de nouveaux Patriarcats, rivaux des Patriarcats existants. C’est ainsi qu’on voit apparaître les arméniens catholiques, les syriaques catholiques, les «grecs» catholiques melkites (unis à Rome en 1724), les chaldéens (déjà mentionnés, unis à Rome en 1681): ce sont les Eglises dites de rite oriental ou Eglises uniates, auxquels sont venus s’ajouter les latins. Toutes ces communautés font partie du système communautaire libanais.

 

Sous l’Empire ottoman, le Sultan accorde son assentiment à l’élection des patriarches ou des grands rabbins par un Firman qui leur donne l’autorité de gouverner chacun sa Millet ou communauté. La protection des chrétiens, et plus particulièrement celle des uniates était renforcée par le régime des capitulations, établi par une série de traités successifs avec le Sultan, inaugurée par François 1er et Soliman le Magnifique. Ce régime concernait à l’origine les seuls ressortissants catholiques européens, mais c’est étendu graduellement aux membres des Eglises unies à Rome. Mais les membres de toutes les minorités de l’Empire ottoman ont vu par la suite leurs libertés consacrées par les Tanzimats, premières dispositions constitutionnelles de l’empire, établies sous la pression des puissances occidentales[5].

 

Au Liban, les conflits sanglants qui ont commencé en 1840 entre chrétiens et druzes ont conduit à une nouvelle organisation: le Mont Liban fut divisé par les ottomans en deux circonscriptions: celle du nord, à majorité chrétienne, et celle du sud, à majorité druze, chacune étant administrée par un Kaïmmakam de la confession majoritaire. Les heurts s’étant renouvelés, on établit sous le contrôle des puissances européennes concernées par ce qu’on a appelé la question d’Orient le système dit du Moutassarifat: le Mont Liban était administré par un gouverneur dit Motassarref, ressortissant ottoman étranger au Mont Liban, mais de religion chrétienne. Celui-ci était entouré d’un Conseil administratif de douze membres représentant les différentes communautés[6]. La nouvelle organisation privait le Liban d’une partie de son territoire qui fut rattachée à la province syrienne de l’Empire ottoman.

Le 1er septembre 1920, le haut-commissaire de le France au Liban proclame l’Etat du Grand Liban, en vertu de quoi le Liban retrouve ses frontières naturelles.

 

1.2-   Le régime communautaire dans le Liban moderne

 

La «Déclaration du Mandat», adoptée le 24 juillet 1922 par le Conseil de la Société des Nations (S.D.N.) en vertu de l’article 22 du Pacte de la S.D.N., imposait à la France, puissance mandataire, l’élaboration, dans un délai de trois ans d’un statut organique pour le Liban. La Puissance mandataire devait, entre autres, respecter les obligations suivantes:

Instituer «un système judiciaire assurant, tant aux indigènes qu’aux étrangers, la garantie complète de leurs droits», étant entendu que «le respect du statut personnel des diverses populations et de leurs intérêts religieux sera entièrement garanti(...)» (article 6 de la Déclaration du Mandat).

S’abstenir de porter aucune atteinte aux droits des communautés, (...) conserver leurs écoles, en vue de l’instruction et de l’éducation de leurs membres (...) (art. 8, 3).

S’abstenir de «toute intervention (...) dans la direction des communautés religieuses (...) dont les immunités sont expressément garanties» (art. 9).

 

La «Commission législative», mise en place en 1920 par la Puissance mandataire en vertu de la Déclaration du Mandat était composée de membres désignés en fonction de leur appartenance aux différentes communautés ou confessions. De même, le «Conseil représentatif», créé en 1922 et qui a adopté la constitution de 1926, était formée de représentants élus sur la base de la répartition des sièges entre les communautés.

 

L’arrêté N° 60/LR du haut - commissaire de France au Liban, daté du 13 mars 1936, consacre le statut des communautés religieuses dites historiques et désigne dans un tableau annexe ces communautés. Cette liste, qui a subi ultérieurement quelques modifications, se présente actuellement comme suit[7]:

 

Communautés chrétiennes

Patriarcat maronite

Patriarcat grec orthodoxe

Patriarcat grec catholique melkite

Patriarcat arménien grégorien (orthodoxe)

Patriarcat arménien catholique

Patriarcat syriaque orthodoxe [jacobite]

Patriarcat syriaque catholique

Communauté orientale assyrienne orthodoxe

Patriarcat chaldéen

Eglise latine

Eglise copte orthodoxe

Communautés musulmanes

Communauté sunnite

Communauté chiite (jaafarite)

Communauté alaouite

Communauté ismaélite

Communauté druze

Communauté israélite

 

La Constitution libanaise, promulguée le 23 mai 1926, confirme les garanties dont jouissent les communautés. L’article 9 dispose que:

«La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très-Haut, l’Etat respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice, à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public. Il garantit également aux populations à quelque rites qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et leurs intérêts religieux».

 

L’article 10 dispose:

«L’enseignement est libre, en tant qu’il n’est pas contraire à l’ordre public et aux bonnes moeurs et qu’il ne touche pas à la dignité des confessions. Il ne sera porté aucune atteinte aux droits des communautés d’avoir leurs écoles, sous réserve des prescriptions générales sur l’instruction publique et dictées par l’Etat».

L’article 95, avant sa modification par la révision constitutionnelle du 21 septembre 1990, disposait que: «à titre transitoire et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère, sans que cela puisse cependant nuire au bien de l’Etat».

 

Il existe donc deux formes de confessionnalisme au Liban: le confessionnalisme concernant le statut personnel et le confessionnalisme politique.

 

Le premier signifie que tout ce qui touche l’état des personnes ou la famille: le mariage, la filiation et dans une certaine mesure, les successions, relève de lois établies par les diverse communautés par une délégation de l’Etat. De même, les problèmes touchant ces questions sont tranchées par les tribunaux religieux.

Le second implique que les emplois politiques et administratifs sont répartis entre les différentes communautés. A l’article 95 de la Constitution s’ajoute une coutume constitutionnelle en vertu de laquelle le Président de la République, élu pour six ans par la Chambre des députés, doit être de confession chrétienne maronite, que le président de la Chambre des députés est élu par ces derniers parmi les musulmans Chiites, que le Premier Ministre doit être un musulman sunnite. Les portefeuilles ministériels sont également répartis suivant des quotas spécifiques réservés à chaque communauté.

 

A son tour, la loi électorale dispose que les sièges parlementaires à pouvoir dans chaque circonscription sont répartis suivant des quotas spécifiques aux différentes communautés se trouvant dans la circonscription, en proportion de leur importance numérique respective.

 

Mais il faut noter que dans chaque circonscription, l’électeur d’une confession donnée ne vote pas uniquement pour le ou les candidats de sa confession, mais pour une liste entière comprenant des candidats de différentes confessions selon les sièges à pourvoir, ce qui est de nature à atténuer les cloisonnements et à sauvegarder l’unité nationale. D’ailleurs, l’article 27 de la Constitution consacre le principe que le député la Nation toute entière.

On a un exemple d’une solution du même genre en Egypte ou des sièges parlementaires sont réservés aux coptes.

Enfin, on doit respecter les mêmes équilibres s’agissant des nominations aux emplois de l’administration. Cette dernière règle a été limitée depuis 1990 aux emplois d la haute fonction publique.

 

 

2. Vers la suppression du confessionnalisme?

 

La révision de la Constitution en 1990 prévoit la suppression graduelle du confessionnalisme (2.1), mais ce processus n’emporte pas l’adhésion de tous (2.2).

 

2.1- La révision de la Constitution

 

Le Document d’entente nationale du 22 octobre 1989, appelé également Accord de Taëf (du nom de la ville d’Arabie saoudite où les députés libanais s’étaient réunis pour mettre fin à une série de conflits armés qui ont duré 16 ans) a prévu la suppression par étapes du confessionnalisme politique. Ce document s’est traduit entre autres, par une révision de la Constitution, opérée le 21 septembre 1990. Le nouveau préambule adopté à cette occasion, prévoit dans son paragraphe 4 la suppression graduelle du confessionnalisme politique. De son côté, l’article 95, dans sa nouvelle version, dispose que:

 

«La Chambre des députés élue sur une base égalitaire entre les musulmans et les chrétiens doit prendre les décisions politiques adéquates en vue d’assurer la suppression du confessionnalisme politique, suivant un plan par étapes. Un comité national sera constitué et présidé par le Président de la République, comprenant également le Président de la Chambre des députés, le Président du Conseil des ministres, ainsi que des personnalités politiques, intellectuelles et sociales. La mission de ce comité consiste à étudier et à proposer les moyens permettant de supprimer le confessionnalisme et à les présenter à la Chambre des députés et au Conseil des ministres ainsi qu’à poursuivre l’exécution du plan par étapes.

Durant la période intérimaire:

a)   Les communautés seront représentées équitablement dans la formation du gouvernement.

b)  La règle de la représentation confessionnelle est supprimée. Elle sera remplacée par la spécialisation et la compétence dans la fonction publique, la magistrature, les institutions militaires et de sécurité, les établissements publics et d’économie mixte, conformément aux nécessités de l’entente nationale, à l’exception des postes de la première catégorie ou leur équivalent. Ceux-ci seront répartis à égalité entre les chrétiens et les musulmans, sans réserver un quelconque poste à une communauté déterminée et tout en respectant les principes de spécialisation et de compétence».

 

De son coté, l’article 22 dispose:

 

«Avec l’élection d’une Assemblée nationale élue sur une base non-confessionnelle sera créé un Sénat où seront représentés toutes les familles spirituelles; et son pouvoir sera limité aux problèmes fondamentaux».

 

Ce qui précède constitue, on le voit, une solution souple qui concilie deux soucis opposés. Ce qu’on prend aux communautés d’une main (en supprimant la représentation communautaire à la Chambre des députés), on le leur rend, mais à moitié seulement, de l’autre (en instituant le Sénat): d’un côté on dépasse le système communautaire en permettant à la Chambre de refléter les véritables soucis et les véritables aspirations économiques et sociales des citoyens, sans que chaque député soit retranché derrière des positions sectaires, et d’un autre, on ne dépouille pas brutalement les communautés de leur rôle multiséculaire.

 

A signaler enfin que l’article 19 dispose:

«Un Conseil constitutionnel est crée (...)

Il peut être saisi par le Président de la République, le Président de la Chambre des députés, le Président du Conseil des ministres ou par dix membre de la Cambre des députés, et par les chefs des communautés reconnues par la loi en ce qui concerne exclusivement le statut personnel, la liberté de conscience, l’exercice du culte, la liberté de l’enseignement religieux».

Cet article est curieux et constitue un retrait par rapport à l’intention annoncée de supprimer graduellement le système communautaire, car pour la première fois depuis l’empire ottoman, il donne aux chefs des différentes communautés (entendre les chefs spirituels de toute la communauté, qui peuvent avoir leur siège en dehors du Liban: en Syrie, en Irak ou en Egypte, et ne pas posséder la nationalité libanaise), un rôle constitutionnel officiel. En effet, depuis le Moutassarifat, les communautés sont représentées au niveau des institutions politiques par des représentants laïcs désignés ou élus, les chefs spirituels n’agissant que par leur influence morale.

 

2.2- Le contre-courant

 

Mais la suppression du confessionnalisme, même dans son volet politique, rencontre encore des résistances, car le système est jusqu’à présent vu par beaucoup comme le seul moyen d’assurer la paix civile entre les Libanais. Certains auteurs estiment que se serait une erreur d’envisager sa suppression, même à long terme, car, associé à la notion de démocratie consociative, il constitue d’après eux un modèle susceptible de remplacer favorablement, dans toutes les sociétés multiconfessionnelles la démocratie compétitive, ou le gouvernement du plus grand nombre, où le groupe majoritaire peut porter atteinte aux droits des autres groupes.

Pour ces auteurs[8], les Libanais ne doivent éprouver aucune honte en pensant que leur système est archaïque, car il n’y a aucun mal à ce qu’il y ait des groupes sociaux intermédiaires entre le citoyen et l’Etat. La communauté religieuse serait semblable au syndicat, a l’ordre professionnel ou à la collectivité territoriale. Il s’agirait en quelque sorte d’un «fédéralisme personnel».

 

Conclusion

 

L’un des problèmes que pose le confessionnalisme, c’est qu’il suppose que chaque citoyen a fait un choix religieux délibéré en faveur de l’une des confessions officielles.

Le confessionnalisme concernant le statut personnel oblige chaque Libanais à se mettre sous la bannière de l’une des communautés reconnues. Les lois de celle-ci régiront alors obligatoirement son statut familial. Le défaut du système, c’est qu’il ne prévoit aucune place pour ceux qui ne veulent reconnaître d’allégeance à aucune des confessions présentes, car il n’existe pas de loi civile en cette matière. Les couples qui souhaitent se marier civilement n’ont qu’un seul recours: se rendre à l’étranger pour y célébrer leur mariage. Leur régime matrimonial, le statut de la famille qu’ils vont fonder seront alors régis par la loi du lieu de célébration du mariage.

La même difficulté se retrouve au niveau de la vie politique: on ne peut être candidat à un poste politique ou de la haute fonction publique que sous l’étiquette de l’une des communautés et dans les limites des postes impartis à celle-ci. Ceci va à l’encontre du principe de l’égal accès aux postes politiques et aux fonctions publiques, principe consacré d’ailleurs dans l’article 7 de la Constitution, ainsi qu’à l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le confessionnalisme empêche d’autre part la formation de partis politiques véritables car la défense par chacun de ce qu’il croit être les intérêts de sa communauté l’empêche très souvent de prendre conscience des véritables intérêts nationaux.

C’est pour cette raison que le Document d’entente nationale, dit Document de Taëf, et la révision de la Constitution qui s’en est suivie nous semblent apporter la solution adéquate pour l’avenir.

Mais les résistances restent grandes. Pour les surmonter, il faudra rééduquer la population, notamment les jeunes, et les encourager à mettre en avant ce qu’ils ont de commun au lieu d’encourager les oppositions.

 

 

 



[1] Cf. E. RABBATH, La formation historique de Liban politique et constitutionnel, essai de synthèse, Beyrouth 1973, p. 55 suiv.

 

[2] Cf. J. NANTET, Histoire du Liban, Paris 1963, p. 31 suiv.

 

[3] Cf. V. SOMMA, Sur les pas des saints au Liban, 2, Beyrouth 1994, p. 393.

 

[4] Cf. J.-M. BILLIOUD, Histoire des chrétiens d’Orient, Paris 1995, p. 107 suiv.

 

[5] Cf. E. RABBATH, op. cit., p. 69 suiv.

 

[6] Cf. D. AMMOUN, Histoire du Liban contemporain, 1860 - 1943, Paris 1997, p. 208.

 

[7] Cf. également la loi du 2 avril 1951.

 

[8] Cf. A.N. MESSARRA, Théorie générale du système politique libanais, essai comparé sur les fondements et les perspectives d’évolution d’un système consensuel de gouvernement, Paris 1994, p. 406.