Le grand
poète latin Horace et sa culture juridique
De delictis
Université de Sofia
“St. Kliment Ohridski”
La poésie d’Horace se caractérise
avec une richesse de lexique juridique et de motifs de droit. Dans beaucoup de
ses œuvres, même dans les odes, mais spécialement dans les
satires et les épîtres on peut trouver quelque terme et quelque
allusion liés au droit.
Il y a des vers dans lesquels les lecteurs peuvent voir
des exemples d’usage très curieux du terme latin delictum. La sixième ode (l. III)
est une des plus belles odes d’Horace. Elle est consacrée aux
projets législatifs de l’empereur Auguste sur le
rétablissement des bonnes moeurs dans la société romaine.
L’ode commence par la frase delicta
maiorum:
Carm., III, 6, 1-4 :
Delicta maiorum immeritus lues, / Romane,
donec templa refeceris / aedisque labentis deorum et / foeda nigro simulacra
fumo.
“Innocent, tu
expieras, Romain, les fautes des aïeux, jusqu'à ce que tu aies
reconstruit les temples et les autels croulants des Dieux, et leurs images
souillées d'une fumée noire”[1].
Certains commentateurs considèrent que sous la
frase delicta maiorum Horace a eu en vue principalement les crimes des guerres
civiles [2].
Les crises politiques ont provoqué des conséquences
différentes. Il est très probable que le poète ait fait
allusion sur la violation contre les bonnes mœurs, c'est-à-dire sur
les adultères (adulteriа),
sur ces contacts ayant dépassé les limites établies par la
tradition et la morale, qui ont acquis une vaste diffusion à Rome. Les
deux lois proposées par Auguste, l’une pour encourager les
citoyens au mariage et à la procréation des enfants (lex Julia maritandis ordinibus) et
l’autre pour réprimer l'adultère et
l’impudicité (lex Julia de
adulteriis coercendis), ont occupé un point considérable dans
son programme législatif. En outre dans la même ode il y a encore
deux vers qui mènent d’une manière claire à une
interprétation semblable:
Carm., III, 6, 17-18 :
Fecunda culpae saecula nuptias / primum inquinavere et
genus et domos.
“Des
siècles féconds en crimes ont d'abord souillé les
mariages, la race, les familles”.
Dans une autre ode d’Horace il y a un exemple qui
vise le délit adulterium. Il
s’agit de vers dédiés de nouveau à l’empereur
Auguste qui se retourne de sa marche contre Antonius et les Parthes. Il trouve
l’Etat romain affaibli d’incrédulité et
d’immoralité. C’est à l’empereur de surmonter
cette situation grave. Voilà comment Horace décrit la situation
et l’espoir des Romains:
Carm., III, 24, 28-32 :
indomitam audeat / refrenare licentiam, / clarus
postgenitis, quatenus, heu nefas, / virtutem incolumem odimus, / sublatum ex
oculis quaerimus invidi.
“Qu’il
ose refréner la licence indomptée et qu'il s'illustre ainsi parmi
nos descendants! Car, hélas! Envieux, nous haïssons la vertu
vivante et nous cherchons des yeux celle qui a disparu”.
Les vers suivants, de la cinquième ode (l. IV),
nous parlent déjà d’une amélioration par rapport aux
mœurs de la société romaine et Horace essaye de faire
l’insinuation que cette amélioration est un effet de
l’approbation et de l’action des lois d’Auguste. Mais on sait
des fonts historiques et des analyses des savants que les mesures
d’Octavien n’ont pas donné un résultat de longue
durée. Cependant ces lois avaient préparé le changement
quant au degré du danger public d’adultère. Peut-être
pendant l’époque d’Horace l’adultère
n’était pas encore crimen:
Carm., IV, 5, 21-24 :
Nullis
polluitur casta domus stupris, / mos et lex maculosum edomuit nefas, /
laudantur simili prole puerperae, /culpam poena premit comes.
“Les chastes
foyers ne sont plus souillés par les adultères; les moeurs et la
loi ont effacé les taches criminelles; les accouchées sont
glorifiées par des enfants qui ressemblent à leur père; et
la peine suit toujours la faute”.
Dans le 21ème vers le poète s’est servi du
terme stuprum. La traduction plus
correcte en français serait par le mot impudicité et pas par adultère.
Les textes poétiques d’Horace témoignent ce qu’il
utilise les deux termes – adulterium
et stuprum [3].
C’est très intéressant le fait que le poète tient
compte de l’emploi distinct de ces termes. Quand il utilise adulterium le lexique du contexte est
différent de celui duquel il se sert dans le contexte avec stuprum:
Coniunx nec
nitido fidit adultero (Carm., III,
24, 20)
refrenare indomitam licentiam (Carm., III, 24, 28-29)
mais / polluitur
casta domus stupris, maculosum edomuit nefas (Carm., IV, 5, 21-22)[4].
Il serait juste de mentionner les mots de E. Henriot, qui
appelle Horace: “Ce poète, éminemment juriste ... ”[5].
Ainsi l’auteur caractérise le poète à la base du
commentaire de deux vers d’Horace de la troisième satire (l. I).
Au milieu de 1er s. av. J.-C. une controverse commença entre les
moralistes et les juristes concernant la dimension de la responsabilité
résultant d’un délit[6].
Cicéron et certains de ses contemporains soutenaient que les peines
devaient être proportionnelles à la gravité des
délits. Mais d’autres partageaient la thèse contraire et
considéraient que la peine devait avoir le même degré de sévérité
pour tous les délits. La controverse continuait à durer pendant
l’époque d’Horace. Le poète lui aussi intervint dans
le débat par les vers suivants:
Sat., I, 3, 77-79 :
сur non / Ponderibus modulisque suis ratio utitur, ac res / ut
quaeque est, ita suppliciis delicta coercet?
“pourquoi la
raison n'use-t-elle pas de son poids et de sa mesure, afin, selon la valeur des
choses, de proportionner les peines aux délits?”
Sat., I, 3, 117-118 :
adsit / regula, peccatis quae poenas inroget aequas
“Il faut une règle qui applique des peines
équitables aux délits”.
Par égard à la détermination du
degré de la culpabilité, les juristes romains commençaient
à se rendre compte de l’inexpérience ou d’une fausse
idée de l’accusé quant à la réalité et
à d’autres raisons objectives qui l’avaient poussé
à commettre un délit. La recherche de détermination du
degré de la culpabilité et de la dimension du délit commis
avait continué longtemps. L’objet final du débat sur la
comparaison de ces deux catégories était de trouver des moyens
pour infliger des peines adéquates.
Dans les deux vers de la seizième
épître (l. I) Horace réfléchit sur le degré
de la culpabilité par un cas concret:
Epist. I, 16, 55-56:
Nam de mille fabae modiis cum surripis unum / damnum
est, non facinus mihi pacto lenius isto.
“Sur mille
mesures de fèves si tu m'en enlèves une, ma perte est peu de
chose, mais non ton crime”[7].
Les stoïciens considéraient que les fautes
étaient identiques – paria
esse peccata:
Sat. I, 3, 96-98:
Quis paria esse
fere placuit peccata, laborant, / cum
ventum ad verum est: sensus moresque repugnant / atque ipsa utilitas,
iusti prope mater et aequi.
“Ceux
qui assimilent toutes les fautes sont fort en peine quand il s'agit de
vérifier; le sens commun et les moeurs s'y refusent, et même
l'utilité, qui est en quelque sorte la mère de la justice et de
l'équité”.
Ce texte contient une métaphore
très expressive. La mère de la justice et de
l'équité est utilitas[8].
Le lexème utilitas qui
signifie en latin “utilité, avantage, rationalité, service,
bien” en rapport avec le contexte, crée quelques
difficultés dans l’interprétation de ce passage. En ce cas
il s’agit de ce qui fait naître la justice et
l'équité, et le mot utilitas
devrait être peut-être perçu comme une
“rationalité” qui est propre et inhérente autant
à la justice qu’à l’équité.
Dans un autre passage, Horace met l’accent sur la
circonstance où quelqu'un dérobe pendant la nuit,
particulièrement des objets sacrés. En ce cas l’acte est
fait de manière plus coupable et plus condamnable
qu’écraser les jeunes choux du jardin d'autrui.
Sat. I, 3, 115-118:
Nec vincet ratio hoc, tantundem ut peccet idemque, / qui teneros caules alieni fregerit horti / et qui nocturnus sacra divum legerit. adsit /
regula,
peccatis
quae poenas inroget
aequas.
“La raison ne prouvera jamais
que le crime soit le même d'écraser les jeunes choux du jardin
d'autrui ou de piller, la nuit, les temples des Dieux. Il faut une règle
qui applique des peines équitables aux délits.”
Le poète compare le type du vol nocturne (furtum nocturnum) avec le délit plus léger – dommage
causé de manière illicite (damnum
iniuria datum). D’après Horace en ces deux cas on ne doit pas
infliger des punitions pareilles, mais quelques juristes et moralistes romains,
comme on l’a souligné au-dessus, ne partageaient pas cette opinion
[9].
Le poète, qui a connu le droit en détail, a réussi de
s’opposer à l’opinion de ces juristes et moralistes par une
argumentation spéciale, par ses possibilités poétiques.
Dans la troisième satire (l. I) il y a encore un
exemple qui fait de nouveau une impression chez le lecteur, concernent les
connaissances profondes d’Horace sur le droit romain. Ici le poète
a fait l’attention au degré de la culpabilité, mais on peut
voir aussi quelque chose quant à la différence entre le vol et le
brigandage:
Sat. I, 3, 121-122:
cum dicas esse paris res / furta latrociniis.
“puisque tu égales le vol
au brigandage”
Le poète romain n’a pas fait par hasard
cette comparaison précise. Le texte témoigne que pendant
l’époque d’Horace dans le droit romain il y avait une
différence entre le vol et le vol
à main armée. Ce dernier a été
considéré comme un acte criminel plus grave [10].
Les termes latins ont été latrocinium
et rapina. Voilà encore un
exemple par lequel Horace démontre la différence entre les deux
actes:
Quid refert, morbo an furtis
pereamque rapinis! (Sat. II, 3, 157)
“Qu’importe
que je meure par la maladie, ou par les vols, ou par les rapines? ”
La quatrième satire (Sat. II, 4, 79) contient un
autre usage intéressant. Le poète y a utilisé la phrase
“dum furta ligurrit”. Il
s’agit d’un esclave qui a très envie de boire un peu du
verre de son patron avant le lui offrir, mais il voudrait le faire à la
dérobée, c'est-à-dire secrètement ou sans
être aperçu. Horace a utilisé le substantif furtum au pluriel – furta au lieu de quelques-uns des
adverbes clam, occulte, secreto etc.,
qui s’emploient d’habitude dans des cas analogiques. On pourrait
supposer que l’emploi en latin des adverbes furtim, furtive, furto (furtivement) auraient son origine
de la langue juridique[11].
Et quand il décrit l’homme sage
et honorable, Horace se sert d’une comparaison par une figure de droit.
Dans le premier épître et aussi le seizième (l. I), pour
peindre vir bonus le poète
déclare que cet homme peut être reconnu encore par ce qu’il
ne serait pas mordu et ne rougirait pas, si par hasard il serait accusé
injustement d’avoir commis un vol ou un homicide. Voilà les vers
de la seizième épître (l. I):
Epist. I, 16, 36-4:
Idem si clamet furem,
neget esse pudicum, / contendat laqueo
collum pressisse paternum, / mordear opprobriis falsis mutemque colores? /
Falsus honor ivuat et mendax infamia terret / quem nisi mendosum et medicandum?
“Si ce même peuple crie que je suis un voleur et un impudique, et m'accuse d'avoir serré d'un lacet le cou de mon père, serai-je
mordu par ces outrages immérités et changerai-je de couleur? La
fausse louange ne réjouit et l'outrage injuste n'épouvante que
celui qui est déjà souillé et corrompu”.
Le terme iniuria
s’utilise souvent dans les textes du droit romain avec la
sémantique d'atteinte l'intégrité de la personne et sa
sécurité physique et morale[12].
A la période archaïque n’était poursuivies que les
atteintes à la sécurité physique des personnes. Au 1er
siècle av. J.-C. les violations de la sécurité morale
étaient déjà punies. Le plus souvent
c’étaient des attaques nominatives publiques (contumelia, convicium),
l’écriture d’épîtres pour nuire à la
réputation et inventer des calomnies (mala carmina). Dans les
vers suivants il s’agit au fait de médisance ou de calomnie:
Sat. I, 4, 81-85 :
absentem qui rodit, amicum / qui non defendit alio
culpante, solutos / qui captat risus hominum famamque dicacis, / fingere qui
non visa potest, commissa tacere / cui nequit: hic niger est, hunc tu, Romane,
caveto.
“Celui qui
déchire son ami absent, qui, un autre l'accusant, ne le défend
point, qui provoque le rire et ambitionne la réputation de plaisant, qui
peut inventer ce qu'il n'a point vu, qui ne saurait taire les secrets
confiés, celui-là est noir, et c'est de lui, Romain, qu'il faut
te défier”.
Horace approuve la dérision des personnes, mais
pas la dérision acérée et nominative qui pourrait
provoquer des chocs à la vie publique. Delignon, qui fait une
comparaison intéressante concernant la liberté de parole entre la
société athénienne et celle des romains, écrit que
la liberté à Rome еst “louée en théorie
et réprouvée en pratique” [13].
Quelques vers de la première satire (l. II) où le poète se
sert de la phrase mala carmina, font l’objet d’une
controverse vivante entre les savants:
Sat.
II, 1, 80-83 :
Sed tamen ut monitus caveas, ne forte negoti / incutiat
tibi quid sanctarum inscitia legum: / si mala
condiderit in quem quis carmina, ius
est / iudiciumque. esto, siquis mala;
“TRÉBATIUS
Mais, cependant, sois averti et prends garde que l'ignorance de nos saintes
lois ne t'attire quelque malheur. Si quelqu'un fait des vers méchants
contre un autre, il y a poursuite et jugement. HORATIUS Soit! si les vers sont
méchants”;
En relation avec ces vers, E. Peruzzi a commenté
l’un des premiers textes en latin de l’époque
archaïque, connus aux savants, qui représente une inscription sur un trio de petites vases
découverts par des archéologues sur la colline de Quirinal
à Rome. [14]
Interprétant une phrase de l’inscription, Peruzzi se
réfère aux vers d’Horace au-dessus (82) et fait un lien
avec le délit décrit dans
Horace mentionne le même délit dans une
autre épître:
Epist. II, 1, 152-155 :
Quin etiam lex / poenaque lata, malo quae nollet carmine
quemquam / describi: vertere modum, formidine fustis / ad bene dicendum
delectandumque redacti.
“On porta une
loi et une peine contre celui qui écrirait des vers infamants sur
quelqu'un. Les satiriques changèrent de ton par crainte du bâton
et furent réduits à bien dire et à plaire”.
Les chercheurs dans le domaine de la littérature
latine constatent la haute culture d’Horace et sa bonne connaissance
évidente de la signification des termes juridiques, de même du
contenu et de l’usage de la langue du droit. Ils remarquent aussi que
tout cela a donné au poète la possibilité d’attacher
à son style une expressivité originale et une énergie
spéciale.
À son tour les chercheurs dans le domaine du droit
romain, qui ont peu de sources juridiques de l’époque du 1er s.
av. J.-C., peuvent trouver dans la poésie d’Horace des arguments
pour éclaircir des questions liées à la technique
juridique et aux idées des juristes romains[17].
[1] La traduction de tous les passages d’Horace
appartient à Leconte de Lisle, Ch.-M. (1818-1894). http://www.mythorama.com
[2] Sommer, E. Q. Horatius Flaccus. Texte latin avec arguments et des notes en français. Paris, libr. Hachette et Cie, 1888, р.105: “Horace fait principalement allusion aux crimes des guerres
civiles. Le gouvernement d’Auguste était déjà regardé comme
un commencement de régénération de l’empire”.
[4] Cf. Daremberg et Saglio. Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, 1877, s.v. adulterium et stuprum: “En droit romain, ce mot (stuprum) désigne au sens large le
commerce illicite avec une personne de l’un ou de l’autre sexe, et
en ce sens il comprend même l’adultère, auquel plus tard
s’opposa”.
[5] Henriot, Е. Les poëtes juristes ou remarques des poëtes latins. Paris, 1858, réimpr.1970, 115-116.
[7] Cf. Dig. 44, 7, 4: Gaius 3 aur.: Ex maleficio nascuntur obligationes, veluti ex furto, ex damno, ex rapina, ex iniuria. quae omnia unius generis sunt: nam hae re tantum consistunt, id est ipso maleficio, cum alioquin ex contractu obligationes non tantum re consistant, sed etiam verbis et consensu.
[8] Cf.
[9] Cf. Henriot.
Op. cit., p. 115: “Les uns,
imbus des doctrines stoïciennes, n’admettaient, quant à la
pénalité, aucune distinction entre les diverses espèces de
méfaits, et voulaient, pour tous, un même degré de
sévérité. Les autres, partisans de la philosophie
d’Epicure, soutenaient que les peines devaient être
proportionnées à la gravité des délits”.
[10] Pennington,
K. Roman and Secular Law in the Middle Ages. - In: Medieval Latin: An
Introduction and Bibliographical Guide. Washington, D.C., 1996, 254-266: “Roman jurists distinguished between furtum and rapina (theft and theft with violence)”
[11] Cf. et Dig. 47, 2, 1: Paulus libro 39 ad edictum pr.: Furtum a furvo, id est nigro dictum Labeo ait, quod clam et obscuro fiat et plerumque nocte: vel a fraude, ut Sabinus ait: vel a ferendo et auferendo: vel a Graeco sermone, qui φωράs appellant fures: immo et Graeci από του φέρειν φωράs dixerunt.
[12] Le
termine iniuria a beaucoup de significations. Cf. Berger, A. Encyclopedic Dictionary of Roman Law. American Philosophical
Society, Philadelphia, 1953, p. 502; Heumann – Seckel. Handlexikon zu den Quellen des römischen Rechts. 11th, Graz, 1971 s. v. iniuria, S. 269; Cf. Gai Institutiones 3, 211. -
In: Iurisprudentiae anteiustinianae. T. I, Leipzig: Teubner, 1988.
[13] Delignon, B. Les satires d’Horace et la
comédie gréco-latine: une poétique de
l’ambiguïté, ed. Peeters, collection BEC, Louvain-Paris-Dudley, 2006, 521-522: “Il convient de revenir à l’histoire du franc-parler à Athènes et à
Rome. Il ne faut pas considérer avec trop de naïveté la
liberté de parole dont les poètes athéniens font preuve au
Vè siècle. S’ils s’en prennent
systématiquement au parti démocrate, c’est sans doute en raison
des affinités intellectuelles et politiques qui les lient à
l’aristocratie, mais c’est aussi le résultat de la
dépendance matérielle dans laquelle ils se trouvent à
l’égard de l’archonte et du chorège, dont ils
épousent ainsi les idées. Il n’en reste pas moins que le
peuple lui-même prend plaisir à ses attaques et que les
poètes, malgré l’existence d’une action
κακηγορίας, jouissent
d’une parfaite impunité, car la παρρησία
constitue dans l’Athènes de Vè siècle un
véritable idéal politique que nul ne voudrait avoir l’air
de remettre en cause. La situation est différente à Rome. Si
l’on en croit le témoignage des orateurs, la libertas et louée en théorie et
réprouvée en pratique, considérée comme eloquentia canina si elle ne se justifie pas par les nécessités
d’un procès. Cette réprobation est suffisamment
partagée par tous pour que Cicéron et Horace puissent croire, ou
laisser croire, que la loi des XII Tables punissait l’attaque nominative
publique de la peine capitale. Dans un tel contexte, on ne
s’étonne pas de voir se mettre peu à peu en place un cadre
juridique visant à interdire de telles attaques. C’est
l’édit du préteur qui, au plus tard vers la fin du Ier
siècle avant J.C., les inscrit dans le cadre de l’actio de iniuria verbis. C’est
alors un délit privé qui relève des tribunaux ordinaires
et se trouve ainsi davantage soumis à l’arbitraire des juges. On
en a parfois conclu qu’Horace, parce qu’il
bénéficiait de la protection de Mécène, ne risquait
pas les poursuites et pouvait s’autoriser à attaquer nommément
qui bon lui semblait. C’est ne pas tenir compte de la complexité de
la période dans laquelle il écrit”.
[14] Peruzzi, E. L'iscrizione di Duenos. - In: La parola del passato. Rivista di studi antichi, 1958, No13, 328 ss.
[15] Delignon, B. Op. cit., p. 53, soutient l’opinion de Usener, H., Huvelin, P.,
Beckmann, F. (Zauberei und Recht in Roms Frühzeit. Osnabrück, 1923, 27-28) et de Strachan–Davidson, J. L. (Problems of the Roman Criminal Law. Oxford, 1912, p. 107) : “H. Usener et
Huvelin, s’appuyant un fragment des XII Tables cité par Pline dans
lequel carmen a le
sens d’incantation magique, considèrent que la loi condamnait les incantations
magiques e que Cicéron et Horace ont
tout simplement mal interprété le sens de carmen”. D’autres auteurs comme Fraenkel, E. ("Anzeige zu Beckmann, E. Zauberei und Recht in Roms Frühzeit". – In: Gnomon, 1925, No1, 185-200), Karlowa, O. (Römische Rechtsgeschichte II. Leipzig, 1901, S. 788), Girard, P. F. (Manuel élémentaire de droit romain. Paris, 1901, p. 397) pensent que dans le texte de
[16] Cf. le commentaire des mêmes
vers aussi chez Tatum, W. J. “Ultra legem”: law and literature in Horace, Satires II, 1. - In: Mnemosyne, 1998, No51, 688-699. L’auteur fait l’analyse
sur l’état de la société
romaine et souligne l’ambiguïté que le poète a
montré. D’une part Horace a pour but le sens critique, mais d’autre part il s’intéresse à la bienveillance
de l’empereur.