Testatina-internaseconda-rassegne

 

 

identite uniteLa citoyenneté romaine des vaincus

Notes de travail

 

LAURENT HECKETSWEILER

Université Montpellier I

open in pdf

 

Sommaire: 1. La question générale de l’état de nature entre les hommes. – 2. La problématique spéciale du rapport juridique vainqueurs/vaincus. – 3. Recours à la méthode comparatiste dans le temps (confrontation doctrine/sources). – 4. Principe. – I. ROUSSEAU (PRINCIPES DU DROIT DE LA GUERRE; EXTRAIT DU PROJET DE PAIX PERPETUELLE)a) – PRINCIPES DU DROIT DE LA GUERRE – 5. La guerre, produit de société (d’Etat à Etat). – 6. Hommes, terre, argent: principaux objets d’hostilité entre puissances. – 7. L’asservissement des vaincus par les vainqueurs. – 8. Le vaincu asservi ne peut pas en droit être mis à mort. – b) EXTRAIT DU PROJET DE PAIX PERPETUELLE – 9. Le choix romain d’une union resserrée vainqueur/vaincu: le droit de cité. – 10. L’Empire romain comme chaîne civile entre les hommes. – 11. La «juridiction» jusqu’à aujourd’hui du droit civil romain en Europe. – II. JUSTINIEN (LIVRE I DES INSTITUTES SUR LA JUSTICE, LE DROIT ET LES PERSONNES) – a) GUERRE, CAPTIVITE ET SERVITUDE DES VAINCUS: DES «INSTITUTIONS» DE DROIT HUMAIN CONTRAIRES AU DROIT NATUREL – 12. La guerre, désinstallation par l’homme du droit naturel (I. 1.2.2). – 13. La liberté comme faculté naturelle (I. 1.3.1). – 14. Prisonniers de guerre gardés en vie, vendus et asservis (I. 1.3.3-4). – 15. Occupation/prise de possession par la guerre et évasion (I. 2.1.17). – b) LA TENSION JUS-IMPERIALE ROMAINE: HUMANITÉ, LIBERTÉ ET CITOYENNETÉ DES VAINCUS – 16. Puissance de vie et de mort du dominus sur son servus? La distinction historique romaine (I. 1.8.1-2). – 17. La manumission: une institution de droit humain rendant aux hommes leur état juridique naturel (I. 1.5.pr.). – 18. Tous les «libérés» deviennent citoyens romains (cives) à part entière (I. 1.5.3).

 

 

1. – La question générale de l’état de nature entre les hommes

 

La citoyenneté romaine des vaincus[1] peut se concevoir comme partie d’une plus vaste question: le rapport entre les hommes dans l’état de nature. Depuis Th. Hobbes (Léviathan, 1651), l’école du droit naturel moderne conçoit la guerre entre les hommes comme l’état de nature (avec, de façon correspondante, recours aux notions d’Etat social et de traité pour instaurer l’ordre)[2]. Au contraire, les auteurs anciens (romains notamment) conçoivent la paix comme l’état premier, naturel, des rapports humains (v. infra). Malgré les sources, le grand romaniste allemand Th. Mommsen, dans sa reconstruction scientifique du Droit de l’Etat romain (1871-1888)[3], a recours au postulat fixé au XVIIe siècle par Hobbes. Depuis quelques décennies, l’historiographie juridique, très attentive aux sources des Romains eux-mêmes, reconsidère ce postulat appliqué au droit romain[4]. Dans son effort, elle a eu recours à la pensée de J.-J. Rousseau qui, dès le XVIIIe siècle, avait relevé (contre Hobbes) la spécificité de la ligne de pensée antique.

 

2. – La problématique spéciale du rapport juridique vainqueurs/vaincus

 

Les rapports de droit existant, au sortir de la guerre, entre les vainqueurs et les vaincus s’apprécient évidemment en fonction de la conception que l’on a du droit (naturel) de la paix et de la guerre. C’est sur ce point précis (et néanmoins central pour la question générale paix/guerre) que l’on s’arrêtera ici, en considérant particulièrement l’outil de la citoyenneté, c’est-à-dire du droit de cité (civitas) conféré à Rome aux vaincus. C’est une donnée que Rousseau a relevée et qui a déterminé chez lui une reconstruction (historiographique) a priori correcte du point de vue du droit romain[5].

 

3. – Recours à la méthode comparatiste dans le temps (confrontation doctrine/sources)

 

Etant donnée la position (finalement) singulière de Rousseau dans la pensée de son/notre temps, il s’agira d’abord d’en comprendre les tenants et les aboutissants en ce XVIIIe siècle européen[6] à la recherche d’une paix universelle. Et puisque Rousseau, historiographe, se réfère dans son Extrait du projet de paix perpétuelle (e.p.p.p.) au droit des «livres de Justinien»[7] pour étayer ses propres thèses, une évocation (comparatiste) des sources que nous a laissées le grand compilateur du ius s’imposera. Dans un souci d’efficacité, on se limitera néanmoins (et provisoirement) à n’évoquer que les principes généraux livrés par la partie du Corpus Iuris que sont les Institutes[8] (manuel d’enseignement à destination des étudiants en Iurisprudentia, promulgué à Constantinople en 533 ap. J.-C.)[9].

 

4. – Principe

 

Cette stricte autolimitation aux «éléments» (premiers) du droit romain[10] se justifie d’autant plus que Rousseau se conçoit lui-même à la recherche du principe des choses, à l’encontre du temps, de l’histoire ou des préjugés (autant d’obstacles qu’il perçoit chez les jurisconsultes de son temps): «je me bornerai, écrit-il dans ses Principes du droit de la guerre (p.d.g.), comme j’ai toujours fait à examiner les établissements humains par leurs principes et à corriger, s’il se peut, les fausses idées que nous en donnent les auteurs intéressés; et à faire au moins que l’injustice et la violence ne prennent pas impudemment le nom de droit et d’équité»; «que le lecteur songe seulement qu’il s’agit moins ici d’histoire et de faits que de droit et de justice, et que je veux examiner les choses par leur nature plus tôt que par nos préjugés»[11]; car «il semble qu’on ait pris à tâche de renverser toutes les vrayes idées des choses»[12].

 

 

I. – ROUSSEAU (PRINCIPES DU DROIT DE LA GUERRE; EXTRAIT DU PROJET DE PAIX PERPETUELLE)

 

a) – PRINCIPES DU DROIT DE LA GUERRE

 

5. – La guerre, produit de société (d’Etat à Etat)

 

Dans ses Principes du droit de la guerre (et dans les ébauches fragmentaires leur correspondant), Rousseau pose d’entrée son projet: dénoncer «l’horrible système»[13] de Hobbes (selon lequel l’instinct naturel «destructeur de l’espèce» nous pousse vers les chaînes sociales), système qui, relayé par les jurisconsultes modernes (Grotius, Droit de la guerre et de la paix, 1625)[14], ne fait que servir la domination (fondement du politique)[15]. Au contraire pour Rousseau, la guerre, précisément parce qu’elle n’est qu’une relation (consensuelle) d’Etat à Etat, de personne publique à personne publique (ou morale), relève de l’ordre social, pas naturel[16].

 

6. – Hommes, terre, argent: principaux objets d’hostilité entre puissances

 

Le but de la guerre consiste en la destruction mutuelle des Etats[17]; elle implique le principe de dissolution de l’Etat social. C’est pourquoi les hommes, mais aussi la terre et l’argent (et tout ce qui conserve le pacte social), sont les principaux «objets des hostilités réciproques» entre puissances concurrentes[18]. Rousseau insiste néanmoins (contre Hobbes) sur l’idée que ce «désir effréné de s’approprier toutes choses est incompatible avec celui de détruire tous ses semblables», la richesse supposant effectivement l’échange (donc la valeur) entre les hommes[19].

 

7. – L’asservissement des vaincus par les vainqueurs

 

Que faire des peuples vaincus? C’est ce point-là qui, selon Rousseau, change l’état de la question: car, si au lieu de massacrer son trésor/butin humain (les captifs), le vainqueur l’asservit, alors l’état de guerre (entre corps politiques) est anéanti puisqu’à cet instant il n’est (manifestement) plus question de détruire[20]: la passion sociale de guerre s’éteint avec son objet (étant postulé que la guerre générale d’homme à homme est un «faux principe»: elle n’est qu’«accidentelle» au regard de la «loi naturelle»[21]).

 

8. – Le vaincu asservi ne peut pas en droit être mis à mort

 

Après avoir commenté durement le pouvoir des Spartiates sur les Hilotes (nécessité d’une déclaration formelle de guerre pour les mettre à mort)[22], Rousseau entreprend de dénoncer sur ce point les erreurs des jurisconsultes de son temps qui, selon lui, excusent bien des crimes[23]. Car, le droit de tuer étant lié à l’état de guerre, le droit de tuer des hommes tombés en servitude ne résulte aucunement de l’état de guerre: dès que le vaincu dépose les armes, il cesse d’être ennemi[24]. Une phrase forte des Principes résume à elle seule l’idée et la méthode: «Quand mille peuples féroces auraient massacré leurs prisonniers quand mille Docteurs vendus à la Tyrannie auraient excusé ces crimes qu’importe à la vérité l’erreur des hommes et leur barbarie à la justice. Ne cherchons point ce qu’on fait mais ce qu’on doit faire»[25].

 

 

b) – EXTRAIT DU PROJET DE PAIX PERPETUELLE

 

9. – Le choix romain d’une union resserrée vainqueur/vaincu: le droit de cité

 

Le monde ancien n’est pas unanime sur le problème de la servitude (Rousseau parle d’«esclavage»[26]). Quand les Grecs ont clairement distingué ceux qui commandent, c’est-à-dire eux-mêmes, et ceux qui servent, le reste du monde (à l’époque, la qualité d’homme est «ravalée» par l’esclavage[27]), les Romains ont pour leur part réalisé: 1) une union politique de commandement (par le joug technique de l’imperium); 2) une union civile de communauté de droit en communiquant au vaincu/étranger le droit de cité du vainqueur[28].

 

10. – L’Empire romain comme chaîne civile entre les hommes

 

Cette naturalisation romaine des vaincus a du reste déterminé l’outil spécifiquement romain d’organisation de la paix universelle (paix qui est le grand sujet de Rousseau[29]): la confédération, que Rousseau conçoit généralement comme une sorte d’extension du Contrat social, non plus entre hommes mais entre cités, les peuples (l’Imperium romain). En termes de confédération, les Romains ont donc été bien plus loin que les autres peuples anciens (Grecs ou Etrusques) en doublant le lien politique par le lien civil, par la chaîne civile[30].

 

11. – La «juridiction» jusqu’à aujourd’hui du droit civil romain en Europe

 

Rome, en doublant le lien de force par le lien de droit et en distinguant clairement le rapport politique prince/sujets du rapport civil de citoyen à citoyen (détermination dans l’orbe romain des droits et des devoirs de chacun selon l’équité), donna les institutions civiles et les lois au monde connu[31]. Plus encore, elle posait de la sorte les éléments de sa survie: «Le code de Théodose, & ensuite les livres de Justinien furent une nouvelle chaîne de justice et de raison, substituée à propos à celle du pouvoir souverain, qui se relâchoit très-sensiblement. Ce supplément retarda beaucoup la dissolution de l’Empire, et lui conserva long-tems une sorte de jurisdiction sur les Barbares même qui le désolaient»[32]. Des lois (romaines) qui participent avec la religion, les mœurs, les coutumes à la «société réelle» des peuples d’Europe au siècle de Rousseau: des lois (i.e. le droit romain) «dont aucun des peuples qui la composent [l’Europe] ne peut s’écarter sans causer aussi-tôt des troubles»[33].

 

 

II. – JUSTINIEN (LIVRE I DES INSTITUTES SUR LA JUSTICE, LE DROIT ET LES PERSONNES)[34]

 

a) – GUERRE, CAPTIVITE ET SERVITUDE DES VAINCUS: DES «INSTITUTIONS»[35] DE DROIT HUMAIN CONTRAIRES AU DROIT NATUREL

 

12. – La guerre, désinstallation par l’homme du droit naturel (I. 1.2.2)

 

Justinien, qui distingue d’entrée les droits naturel, humain et civil (I. 1.2.pr.-3)[36], énumère les grandes institutions du ius gentium (§2). L’usage et les nécessités humaines ont en effet impliqué la production de tels iura: de là sont venues les guerres (bella), logiquement suivies des captivités (capitivitates) et des servitudes (servitutes: au sens ici de mise au service d’hommes au bénéfice d’autres hommes). Il s’agit là de iura (communs aux peuples, au genre humain) contraires, contrariae, au droit naturel: car, en droit naturel, tous les hommes, à l’origine (ab initio: c’est-à-dire dans le principe), naissaient libres. Suit une précision importante: c’est le droit des gens qui a introduit presque tous les contrats, à commencer par la vente[37].

 

13. – La liberté comme faculté naturelle (I. 1.3.1)

 

Selon Justinien (I. 1.3.1)[38], la liberté est la naturalis facultas (comprendre, à la lumière du droit naturel[39]: la possibilité de mettre en œuvre les dispositions que nous a données la nature, que l’on soit oiseau, poisson ou animal qui se meut sur terre comme l’homme, faculté qui peut être empêchée ou par la force ou par le droit: vis/ius[40]). A la suite (§2) et de façon cohérente, la servitude est définie comme une constitutio, c’est-à-dire un établissement du droit des gens, par laquelle un homme est assujetti contre la nature au domaine (dominium) d’un autre[41].

 

14. – Prisonniers de guerre gardés en vie, vendus et asservis (I. 1.3.3-4)

 

Justinien indique que les asservis/serviteurs (lat. servi) sont ainsi nommés parce que les chefs d’armée (vainqueurs) avaient coutume de vendre ceux qu’ils avaient fait prisonniers/rendus captifs (captivi) pour qu’ils servent, au lieu de les tuer (servare nec occidere). ‘Servi’ mais aussi ‘mancipia’ (pris/appropriés physiquement; gens de main-prise) car les vaincus, par la main, sont saisis parmi les ennemis et ainsi ramenés en captivité (…ab hostibus manu capiuntur)[42]. Ce qui justifie plus loin (§4)[43] que la dite captivitas, institution du droit des gens[44] comme l’est la guerre, soit une des modalités par laquelle on devient servus (car on peut aussi l’être par la naissance ou le devenir par le droit civil en se vendant soi-même).

 

15. – Occupation/prise de possession par la guerre et évasion (I. 2.1.17)

 

A titre de complément, on peut évoquer la cohérence systématique de Justinien entre les aspects de droit personnel et de droit réel (droit des biens): dans les deux cas un «butin»[45]. C’est l’objet du § 17 Livre II Titre 1 des mêmes Institutes (De occupatione in bello, de ce dont on s’empare à la guerre): en substance, ce que nous prenons (capimus) par la guerre sur les ennemis devient nôtre par droit des gens (et «les biens du vaincu et le vaincu lui-même» pourrait-on dire avec C. Accarias[46]); ainsi les hommes libres (liberi homines) soumis à notre (droit de) servitude; mais s’ils s’évadent (si evaserint) ou s’échappent à notre puissance et reviennent chez eux, ils reprennent le premier état (la liberté) qu’ils avaient perdu (…pristinum statum recipiunt)[47].

 

 

b) – LA TENSION JUS-IMPERIALE ROMAINE: HUMANITÉ, LIBERTÉ ET CITOYENNETÉ DES VAINCUS

 

16. – Puissance de vie et de mort du dominus sur son servus? La distinction historique romaine (I. 1.8.1-2)

 

Catégorie de personnes non libres, les asservis sont sous la puissance de leurs maîtres (in potestate dominorum). Cette potestas[48] relève techniquement du droit des gens car, comme l’indique Justinien, on remarque chez la plupart des peuples que les maîtres ont eu la puissance (illimitée) de vie et de mort sur leurs serviteurs (la vitae necisque potestas)[49]. Or, précisément, le § 2 [50] rend compte d’un avant et après empire romain: désormais (sed hoc tempore…), nul homme sujet d’empire (sub imperio nostro) ne peut sévir de cette manière (supra modum–saevire) et tuer son servus sans cause légalement prévue. Le long paragraphe s’achève sur une citation in extenso d’un rescrit de l’empereur Antonin le pieux (138-161) sur le thème, rescrit adressé au proconsul de la Bétique et déjà bien connu de Gaius (1.53)[51]: si la potestas du maître sur ses asservis doit être maintenue et qu’à aucun homme ne doit être retiré son ius, il est de l’intérêt des domini (et de la Res publica ajoute Justinien) que l’on vienne au secours des servi injustement maltraités ou affamés. Le traitement qui dépasse les bornes de l’aequum privera le maître de sa potestas au moyen de la vente forcée[52].

 

17. – La manumission: une institution de droit humain rendant aux hommes leur état juridique naturel (I. 1.5.pr.)

 

Les «affranchis»[53] sont des hommes libérés (manumissi) d’une juste servitude, rendus par conséquent libres de potestas. Et Justinien de préciser que la manumission est une institution du droit des gens comme l’est la servitude à laquelle elle met fin: car, en droit naturel, les hommes naissant libres (…utpote cum iure naturali omnes liberi nascerentur), servitude et libération ne se conçoivent pas[54]. Il s’agit toutefois d’une institution humaine «positive» (au contraire de la guerre : cf. I. 1.2.2) puisque, perfectionnée par les Romains, le favor libertatis, elle est censée corriger le destin humain (les calamités : cf. I. 1.4.pr.) pour faire retourner l’homme à son état premier (d’homme purement et simplement[55]).

 

18. – Tous les «libérés» deviennent citoyens romains (cives) à part entière (I. 1.5.3)

 

Justinien informe qu’il y avait autrefois (antea) trois statuts d’affranchis à Rome: 1) ceux qui, recevant une grande et juste liberté, devenaient consécutivement citoyens romains (cives Romani); 2) ceux qui, recevant une moindre liberté, devenaient latins (par la loi Iunia Norbana[56]); 3) enfin, ceux qui, recevant seulement une liberté inférieure, avaient la condition déplorable (pessima conditio) de déditiens (par la loi Aelia Sentia[57]). Mais l’empereur[58] indique qu’il fait pour sa part (référence à la pietas: nostra pietas omnia augere et in meliorem statum reducere…) revivre le plus ancien usage, celui des commencements de la cité, par lequel le libertinus recevait la même liberté que le manumissor, sans distinction (una atque simplex libertas): aussi, l’affranchi-libertinus dispose-t-il définitivement du titre de citoyen romain (…et omnes libertinoscivitate Romana decoravimus). Et Justinien de conclure ce long § 3: la libertas du servus va de pair avec la citoyenneté romaine, l’unique qui est à présent – en 533 (libertas servis cum civitate Romana, quae sola in praesenti est)[59].

 

 



 

[1] Support matériel d’une communication présentée au XXXIVe séminaire international Da Roma alla Terza Roma («Empire: migrations, citoyennetés, gouvernements régionaux. De Rome à Constantinople à Moscou», Rome, 22-23 avril 2014) sous le titre «La citoyenneté romaine des vaincus. De Rousseau à Justinien».

 

[2] Voir plus généralement Les fondateurs du droit international. F. de Vitoria, A. Gentilis, F. Suarez, Grotius, Zouch, Pufendorf, Bynkershoek, Wolf, Wattel, Martens, Paris, 1904 (réédition «Introuvables», éditions Panthéon-Assas, Paris, 2014).

 

[3] Trad. fr. (P.-F. Girard) du célèbre Römisches Staatsrecht, Leipzig, 1871-1888.

 

[4] Voir par exemple P. CATALANO, Linee del sistema sovrannazionale romano, I, Torino, 1965 (ouvrage dont différentes parties sont reprises par l’A. dans Diritto e persone, Torino, 1990, 5-52).

 

[5] J.-J. ROUSSEAU, Principes du droit de la guerre, Ecrits sur la paix perpétuelle. Edition nouvelle et présentation de l’établissement des textes par B. Bernardini et G. Silvestrini (dir. B. Bachofen et C. Spector), Paris, 2008. Qu’il nous soit permis, à titre informatif, de reporter ici la présentation synthétique de cette nouvelle édition (quatrième de couverture): «Parmi les projets de Rousseau figurait un ouvrage intitulé Principes du droit de la guerre. On a longtemps cru cet ouvrage perdu ou resté à l’état d’ébauches fragmentaires. Or un travail sur des manuscrits (jusqu’alors publiés séparément et dans le désordre) a permis de reconstituer un texte très abouti, qui est manifestement la première partie de cet ouvrage. La redécouverte de ce texte et son rapprochement avec les écrits sur le Projet de paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre, sur lesquels Rousseau a travaillé immédiatement après, éclairent d’un jour nouveau sa conception des rapports entre les Etats».

 

[6] Siècle évidemment délicat à interpréter en ce qu’il prépare intellectuellement le passage (sinon la coupure) entre l’ «ancien droit» et le «droit contemporain»: cf. J.-M. CARBASSE, Manuel d’introduction historique au droit, Paris, 2013 (pour la 5e éd.), 223 et ss. Plus généralement, P. CHAUNU, La civilisation de l’Europe des Lumières, Paris, 1971.

 

[7] Extrait du projet de paix perpétuelle = EPPP, cit., 90.

 

[8] Edition Krueger, Mommsen, Schoell, Kroll, 1892.

 

[9] Sur la place des Institutes au sein du Corpus Iuris et l’histoire de leur réception dans chacun des pays d’Europe du XIIIe au XIXe siècle, consulter Justinian’s Institutes. Translated with an Introduction by PETER BIRKS & GRANT MCLEOD, Londres, 1998 (pour la 3e éd.), 7-28.

 

[10] Plus généralement, P. KRUEGER, Histoire des sources du droit romain, Paris, 1894 (traduit de l’allemand par M. Brissaud), notamment 431 et ss. pour l’œuvre juridique de Justinien. Sources qu’il faut appréhender elles-mêmes plus globalement à l’intérieur du système juridique romain abordé historiquement: voir par exemple, pour ce type de traitement, G. HUGO, Geschichte des Römischen Rechts bis auf Justinian, Berlin 1832. Cf. J. GAUDEMET - E. CHEVREAU, Les institutions de l’Antiquité, Paris, 2014 (pour la 8e éd.), notamment 473 et ss.

 

[11] Principes du droit de la guerre = P.D.G., cit., respectivement 44 et 52 (nous conservons le texte de Rousseau dans sa version originale, orthographe et ponctuation comprises).

 

[12] P.D.G., cit., 54; mais aussi 65 (Fragments annexes): «Pour connoitre exactement quels sont les droits de la guerre examinons avec soin la nature de la chose et n’admettons pour vrai que ce qui s’en deduit nécessairement».

 

[13] P.D.G., cit., 45 : «Mettons un moment ces idées en opposition avec l’horrible sistême de Hobbes, et nous trouverons, tout au rebours de son absurde doctrine que bien loin que l’état de guerre soit naturel à l’homme, la guerre est née de la paix ou du moins des précautions que les hommes ont prises pour s’assurer une paix durable».

 

[14] Voir P. HAGGENMACHER, Grotius et la doctrine de la guerre juste, Paris, 1983. Sur Hobbes et Grotius, on pourra aller voir «au-delà» de l’opinion qu’en a Rousseau en son siècle (cf. R. DERATHE, Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps, Paris, 1951): par exemple, pour une première approche (avec la bibliographie correspondante), V. «droit des gens», V. «droit international public», V. «droit naturel», V. «esclavage», Dictionnaire de la culture juridique (dir. D. ALLAND - S. RIALS), Paris, 2003, respectivement 463 et ss. (article E. JOUANNET), 497 et ss. (D. ALLAND), 507 et ss. (A. SERIAUX), 638 et ss. (G. BIGOT).

 

[15] P.D.G., cit., 48: «[…] Voilà pourtant jusqu’où le désir ou plutôt la fureur d’établir le despotisme ou l’obéissance passive ont conduit un plus beaux genies qui aient existé. Un principe aussi féroce etoit digne de son objet». On pourra sur ce vaste sujet consulter le commentaire donné par B. BACHOFEN, «Les raisons de la guerre, la raison dans la guerre. Une lecture des Principes du droit de la guerre», dans J.-J. ROUSSEAU, Principes du droit de la guerre, Ecrits sur la paix perpétuelle, cit., 131-192.

 

[16] Sans cette condition (la nature artificielle, civile, des ennemis), il n’y a pas de guerre à strictement parler (qui suppose des soldats, des citoyens) mais seulement un meurtre, un homicide (entre des hommes): voir généralement P.D.G., cit., 46 et ss. Cf. F. RAMEL et J.-P. JOUBERT, Rousseau et les relations internationales, Paris, 2000.

 

[17] P.D.G., cit., 47 et 55.

 

[18] P.D.G., cit., 59.

 

[19] P.D.G., cit., 50. Et Rousseau d’ajouter: «Les richesses elles mêmes à quoi sont elles bonnes si ce n’est à être communiquées ; que lui serviroit la possession de tout l’univers s’il en étoit l’unique habitant?».

 

[20] P.D.G., cit., 50 : «Que fera-t-il de ses trésors, qui consommera ses denrées, à quel yeux étalera-t-il son pouvoir? J’entends. Au lieu de tout massacrer, il mettra tout dans les fers pour avoir au moins des Esclaves. Cela change à l’instant tout l’etat de la question et puisqu’il n’est plus question de détruire l’etat de guerre est anéanti».

 

[21] P.D.G., cit., 51: «Il n’y a point de guerre generale d’homme à homme et l’espéce humaine n’a pas été formée uniquement pour s’entredetruire. Reste à considérer la guerre accidentelle et particuliére qui peut naître entre deux ou plusieurs individus. Si la loi naturelle n’étoit écrite que dans la raison humaine elle seroit peu capable de diriger la pluspart de nos actions, mais elle est encore gravée dans le cœur de l’homme en caractéres inéfacables et c’est là qu’elle lui parle plus fortement que tous les préceptes des Philosophes; c’est là qu’elle lui crie qu’il ne lui est permis de sacrifier la vie de son semblable qu’à la conservation de la sienne et qu’elle lui fait horreur de verser le sang humain sans colere, meme quand il s’y voit obligé». Voir généralement V. GOLDSCHMIDT, Anthropologie et politique. Les principes du système de Rousseau, Paris, 1974.

 

[22] P.D.G., cit., 60-61.

 

[23] P.D.G., cit., 62 (Fragments sur la guerre) : «Grace a Dieu on ne voit plus rien de pareil parmi les Européens. On auroit horreur d’un Prince qui feroit massacrer ses prisonniers on s’indigne même contre ceux qui les traitent mal et ces maximes abominables qui révoltent la raison et font frémir l’humanité ne sont plus connues que des Juris consultes qui en font tranquillement la base de leurs sistèmes Politiques et qui au lieu de nous montrer l’autorité souveraine comme la source du bonheur des hommes osent nous le montrer comme le supplice des vaincus».

 

[24] P.D.G., cit., 67 (Fragments annexes).

 

[25] P.D.G., cit., 63 (Fragments sur la guerre).

 

[26] Cf. V. «Esclavage», Dictionnaire européen des Lumières (dir. M. Delon), Paris, 2007, 476-480 (article J. TARRADE).

 

[27] EPPP, cit., 89: «[…] avant les conquêtes des Romains, tous les Peuples de cette partie du monde [l’Europe], barbares & inconnus les uns aux autres, n’avoient rien de commun que leur qualité d’hommes, qualité qui, ravalée alors par l’esclavage, ne différoit gueres dans leur esprit de celle de brute. Aussi les Grecs, raisonneurs & vains, distinguoient-ils, pour ainsi dire, deux especes dans l’humanité; dont l’une, savoir la leur, étoit faite pour commander; & l’autre, qui comprenoit tout le reste du monde, uniquement pour servir».

 

[28] EPPP, cit., 90: «Mais quand ce Peuple [le Grec], souverain par nature, eût été soumis aux Romains ses esclaves, & qu’une partie de l’hémisphère connu eût subi le même joug, il se forma une union politique & civile entre tous les membres d’un même Empire; cette union fut beaucoup resserrée par la maxime, ou très-sage ou très-insensée, de communiquer aux vaincus tous les droits des vainqueurs, & sur-tout par le fameux décret de Claude [Caracalla], qui incorporoit tous les sujets de Rome au nombre des citoyens».

 

[29] La question du rapport juridique personnel entre vainqueur et vaincu (avec la solution du droit de cité) se conçoit pour Rousseau à l’intérieur de la plus large question de la paix universelle. Quel est l’obstacle technique à la paix? Pour Rousseau, c’est précisément la contradiction inhérente à la coexistence entre, d’un côté (côté intérieur), la police de l’Etat (c’est-à-dire l’état civil entre concitoyens) et, de l’autre (côté extérieur), la sûreté de l’Etat (c’est-à-dire l’état de nature avec le reste du monde). Quel moyen pour lever ces contradictions (source des calamités publiques)? Pour Rousseau, la confédération, sorte de contrat social étendu à l’extérieur. Une confédération assez nouvelle aux Modernes, mais bien connue des Anciens. Cf. G. LASSUDRIE-DUCHENE, J.-J. Rousseau et le droit des gens, Paris, 1906.

 

[30] C’est le message qui transparaît à la lecture des pp. 89-91 de l’EPPP (même si, en l’occurrence, le thème de la confédération n’est pas ici mentionné pour Rome alors qu’il l’est pour les Grecs, les Etrusques, les Latins, les Gaulois et les Grecs de l’époque tardive: respectivement, Amphictyons, Lucumonies, Féries, Cités, Ligue Achéenne).

 

[31] EPPP, cit., 90: «A la chaîne politique qui réunissoit ainsi tous les membres en un corps, se joignirent les institutions civiles & les lois qui donnerent une nouvelle force à ces liens, en déterminant d’une manière équitable, claire & précise, du moins autant qu’on le pouvoit dans un si vaste Empire, les devoirs & les droits réciproques du Prince & des sujets, & ceux des citoyens entr’eux».

 

[32] EPPP, cit., 90.

 

[33] EPPP, cit., 91-92.

 

[34] I. 1.1 (de iustitia et iure), I. 1.2 (de iure naturali, gentium et civili), I. 1.3 (de iure personarum). On peut concevoir que les Titres 4 à 26 de ce premier Livre (liberté personnelle, famille, tutelle, curatelle…) sont des développements du Titre 3 sur les personnes. Pour un «aperçu» très général du droit des personnes et de la famille en droit privé romain (et de la doctrine romaniste correspondante), on consultera dernièrement P. PICHONNAZ, Les fondements romains du droit privé, Genève, 2008, 87 et ss. Plus complets, V. ARANGIO-RUIZ, Istituzioni di diritto romano, Roma, 2006 (pour la 14e éd.) et P. BONFANTE, Corso di diritto romano (I – Diritto di famiglia), Milano, 1963. Sur la plus longue période, A. LEFEBVRE-TEILLARD, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris, 1996 et J.-P. LEVY-A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Paris, 2002 (pour la 1ère éd.), 46 et ss.

 

[35] Pour une approche de la question (et son traitement) à travers les catégories pandectistes, G.F. PUCHTA, Cursus der Institutionen, II, Leipzig, 1857, 425 (Chapitre 2: «Von dem Recht der Persönlichkeit»). Cf. O. KARLOWA, Römische Rechtsgeschichte, II, Leipzig, 1901, 79 et ss. (Première partie: «Die Familienherrschaftsrechte»).

 

[36] Sur cette tripartition, voir la présentation (largement critique quant à la catégorie de «ce prétendu» ius naturale) qu’en donne C. ACCARIAS, Précis de droit romain (contenant, avec l’exposé des principes généraux, le texte, la traduction et l’explication des Institutes de Justinien), I, Paris, 1879 (pour la 3e éd.), 14-17.

 

[37] I. 1.2.2: (…) Ius autem gentium omni humano generi commune est. Nam usu exigente et humanis necessitatibus gentes humanae quaedam sibi constituerunt: bella etenim orta sunt et captivitates secutae et servitutes, quae sunt iuri naturali contrariae. Iure enim naturali ab initio omnes homines liberi nascebantur. Ex hoc iure gentium et omnes paene contractus introducti sunt, ut emptio venditio, locatio conductio, societas, depositum, mutuum et alii innumerabiles.

 

[38] I. 1.3.1 (cf. Florentin D. 1.5.4): Et libertas quidem est, ex qua etiam liberi vocantur, naturalis facultas eius quod cuique facere libet, nisi si quid aut vi aut iure prohibetur.

 

[39] Cf. I. 1.2 pr.: Ius naturale est, quod natura omnia animalia docuit. Nam ius istud non humani generis proprium est, sed omnium animalium, quae in caelo, quae in terra, quae in mari nascuntur…

 

[40] Lecture partiellement biaisée du passage (car centrée, entre autre, sur la loi et la volonté de l’homme) par M. ORTOLAN, Explication historique des Institutes de l’empereur Justinien, Paris, 1844 (pour la 3e éd.), 154: «Deux obstacles peuvent s’opposer à la volonté de l’homme libre: la force et la loi. Mais il y a cette différence que la loi est un obstacle moral que l’homme s’est imposé lui-même dans son état social, auquel il doit toujours se soumettre et qui restreint réellement sa liberté naturelle; tandis que la force est un obstacle physique qu’il peut parvenir à vaincre, contre lequel il peut même quelquefois demander le secours de la loi».

 

[41] I. 1.3.2: Servitus autem est constitutio iuris gentium, qua quis dominio alieno contra naturam subicitur. Sur la servitude dans le droit de Justinien, commentaire critique (toujours pour la même raison: le droit naturel, voir précédemment) de C. ACCARIAS, Précis de droit romain, cit., 85: «L’esclavage ou servitude s’analyse en un droit de propriété que la loi reconnaît à un homme sur un autre homme. D’où il résulte que la liberté consiste simplement à n’être la propriété de personne. Les Institutes, en voulant, bien inutilement, la définir, tombent dans une double confusion entre la liberté, antithèse de l’esclavage, et la liberté soit physique, soit politique ou civile. Je voudrais voyager, mais je suis enfermé entre les quatre murs d’une prison; je ne suis pas pour cela compté au rang des esclaves. Je voudrais pratiquer publiquement tel culte, faire telle publication ou tel contrat; mais je rencontre une prohibition dans la loi; cela ne fait pas que je sois la propriété d’autrui. A prendre au pied de la lettre la définition des Institutes, on arriverait sans subtilité à dire que tous les esclaves sont libres: car, d’où dérive l’obstacle à l’exercice de leurs facultés naturelles, si ce n’est de la loi qui consacre leur condition et qui autorise le maître à les y maintenir par la force?».

 

[42] I. 1.3.3 (cf. Florentin D. 1.5.4.2-3 et Pomponius D. 50.16.239.1) : Servi autem ex eo appellati sunt, quod imperatores captivos vendere iubent ac per hoc servare nec occidere solent. Qui etiam mancipia dicti sunt, quod ab hostibus manu capiuntur. Sur l’étymologie en question, voir D. DALLA, Note minime di un lettore delle Istituzioni di Giustiniano, Torino, 1998, 63-64. Le commentaire de I. 1.3.3 par M. ORTOLAN, Explication historique des Institutes de l’empereur Justinien, cit., 155 confirme à posteriori, nous semble-t-il, le lien entre Rousseau et le droit romain: «La guerre est indiquée ici comme l’origine de l’esclavage; on veut en faire sa justification. On a le droit, dit-on, de tuer l’ennemi vaincu; ne peut-on pas le conserver pour soi, et suspendre cette mort qu’on pouvait lui donner sur-le-champ? Ce raisonnement pèche par sa base. Sans doute la légitime défense est naturelle, elle peut avoir donné naissance au droit de tuer l’ennemi lorsqu’il combat; mais, est-il vaincu, l’attaque cesse, la défense doit cesser; et si on le tue, on viole toute espèce de droit».

 

[43] Cf. M. ORTOLAN, Explication historique des Institutes de l’empereur Justinien, cit., 156-8.

 

[44] Voir P. BONFANTE, Corso di diritto romano, cit., 214 et ss. (développement sur les modes de constitution de la servitude, notamment les modes iuris gentium: «procreazione» et «prigionia»).

 

[45] Cf. R. VON JHERING, L’esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, I, Paris, 1886, 3e éd. (traduit de l’allemand par O. de Meulenaere), 112 et ss. (où la notion de «butin», après celle de «force», est appréhendée par l’A. dans la cadre de la «fondation des droits par l’énergie personnelle»).

 

[46] C. ACCARIAS, Précis de droit romain, cit., 85 qui rend compte de l’ensemble des sources sur l’esclavage de la façon suivante (interprétation que nous choisissons de ne pas discuter) : «L’esclavage n’a pas toujours existé, Justinien le constate lui-même (Inst., § 2, De jur. nat., I, 2), et il y reconnaît, d’accord avec les jurisconsultes classiques, une violation du droit naturel (§ 2 sup. - L. 64, De cond. ind., XII, 6). Les Institutes (§ 3 sup.) le font dériver du droit qui appartient au vainqueur de tuer le vaincu prisonnier. Mais ce droit lui-même suppose préalablement admis que le vainqueur est propriétaire du captif. Justinien n’explique donc rien; il nous montre seulement le vainqueur préférant à un meurtre sans profit les services de l’homme qu’il tient en sa puissance. Je placerais plus volontiers l’origine de l’esclavage dans ce préjugé universel de l’antiquité qui reconnaissait aux vainqueurs un droit de propriété sur les choses prises aux vaincus (Inst., § 17, De divi. rer., II, 1). La brutalité des premiers conquérants ne fit pas de distinction entre les biens du vaincu et le vaincu lui-même. Quoi qu’il en soit, l’esclavage entra tellement dans les mœurs des peuples anciens, que le maintien de leurs sociétés cessa d’être concevable sans cette institution, et c’est pourquoi de grands esprits, aveugles par la puissance du fait, n’hésitèrent pas à la justifier (Arist., Polit., lib. I, cap. v)».

 

[47] I. 2.1.17: Item ea, quae ex hostibus capimus, iure gentium statim nostram fiunt: adeo quidem, ut et liberi homines in servitutem nostram deducantur, qui tamen, si evaserint nostram potestatem et ad suos reversi fuerint, pristinum statum recipiunt. Cf. C.-J. DE FERRIERE, Nouvelle traduction des Institutes de l’empereur Justinien (avec des observations pour l’intelligence du texte, l’application du droit françois au droit romain & la conférence de l’un avec l’autre), II, Paris, 1750, 38-40.

 

[48] Cf. D. 50.16.215.

 

[49] I. 1.8.1 (cf. Gaius 1.52): In potestate itaque dominorum sunt servi. Quae quidem potestas iuris gentium est: nam apud omnes peraeque gentes animadvertere possumus dominis in servos vitae necisque potestatem esse…

 

[50] Voir I. 1.8.2.

 

[51] Cf. Ulpien D. 1.6.2 et Coll. 3.3.1-3.

 

[52] Cf. C. ACCARIAS, Précis de droit romain, cit., 98.

 

[53] Si l’on commet l’erreur de traduire, de façon anachronique, le latin «libertini». FIEFFE-LACROIX, Les éléments de la Jurisprudence, Metz, 1807 (ouvrage qui prévoit, en la renouvelant, la «conférence» du droit romain avec le droit français – du Code civil), 7 n. 17 qui précise: «En France, on ne reconnaît pas de servitude, tous les hommes y naissent libres, et ce pays a toujours été appelé le royaume des Francs». Cf. H. LEMONNIER, Etude historique sur la condition privée des affranchis, Paris, 1887.

 

[54] I. 1.5 pr.: Libertini sunt, qui ex iusta servitute manumissi sunt. Manumissio autem est datio libertatis: nam quamdiu quis in servitute est, manui et potestati suppositus est, et manumissus liberatur potestate. Quae res a iure gentium originem sumpsit, utpote cum iure naturali omnes liberi nascerentur nec esset nota manumissio, cum servitus esset incognita… Voir généralement sur ce passage (et le «réseau» conceptuel dans lequel il s’insère) les commentaires de FIEFFE-LACROIX, Les éléments de la Jurisprudence, cit., 4-9. Bonne reformulation du passage (de par sa neutralité et sa cohérence avec les classifications justiniennes) par L. ETIENNE, Institutes de Justinien traduites et expliquées, I, Aix, 1847, 77: «Le droit naturel non-seulement ne reconnaît pas l’esclavage, mais encore le réprouve; à ses yeux tout homme naît avec la liberté et reste toujours libre: mais le droit des gens secondaire l’a introduit d’une manière assez générale; dès-lors il y a eu des esclaves et des hommes libres; et comme l’affranchissement a été également introduit pour faire cesser cette condition contre nature, on a vu les hommes divisés en hommes libres et en esclaves; les premiers se subdivisent en ingénus et en affranchis, d’où une subdivision tripartite en ingénus, affranchis et esclaves».

 

[55] Cf. I. 1.5 pr. (in fine): … sed posteaquam iure gentium servitus invasit, secutum est beneficium manumissionis, et cum uno communi nomine homines appellaremur, iure gentium tria genera hominum esse coeperunt, liberi et his contrarium servi et tertium genus libertini, qui desierant esse servi.

 

[56] 19 ap. J.-C. Voir H. LEMONNIER, Etude historique sur la condition privée des affranchis, cit., 59 et ss.

 

[57] 5 ap. J.-C.

 

[58] Sur les modalités par lesquelles l’affranchi accède à tel ou tel statut, de Servius Tullius (Denys d’Halicarnasse IV.22-24) à Justinien (Nov. 78), lire généralement C. ACCARIAS, Précis de droit romain, cit., 127-143. Cf. L. ETIENNE, Institutes de Justinien traduites et expliquées, cit., 83.

 

[59] Voir I. 1.5.3. Cf. C. 7.5.1 (a. 530) et C. 7.6.1 (a. 531). Thème qui est en lien avec l’extension du droit de cité à tous les hommes habitant l’empire à partir de Caracalla… jusqu’à Justinien: Ulpien D. 1.5.17 (In orbe Romano qui sunt, ex constitutione imperatoris Antonini cives Romani effecti sunt). Voir P. CATALANO, Diritto e persone, cit., 82 et ss. (sur l’annulation du concept de peregrinus par Justinien).